Ces dernières années, les scientifiques appellent régulièrement à agir pour l’environnement. Des collectifs différents de scientifiques ont publié par trois fois une tribune dans Le Monde, la première en novembre 2017 lançant « un cri d’alarme sur l’état de la planète[1] », la deuxième en février 2020 constatant que « face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire[2] » et enfin la troisième en décembre 2020 suppliant « que les décideurs politiques ouvrent le débat sur l’effondrement de la société pour que nous puissions commencer à nous y préparer[3] ».

L’effondrement sociétal était enfin publiquement évoqué par le milieu scientifique, et il était plus que temps car deux effondrements sont déjà en cours !

 

Biodiversité et climat, 2 effondrements déjà en cours !

Un réchauffement et changement climatique[4] avec la fin d’une ère climatique stable depuis 10 000 ans, l’Holocène. Ce changement se caractérise par une élévation avérée de la température moyenne globale terrestre de 1°C depuis le début de l’ère pré-industrielle et un réchauffement qui pourrait atteindre plus de 5°C à la fin du XXIe siècle selon le scénario RCP 8.5 le plus pessimiste du GIEC[5], soit autant en 200 ans que depuis le maximum de la dernière ère glaciaire il y a 22 000 ans. Avec le réchauffement climatique, les phénomènes extrêmes sont plus fréquents et plus intenses[6], comme des mégafeux de forêts sur tous les continents, Amazonie, bassin du Congo, Portugal, Indonésie, Sibérie, Australie, Californie en 2019 et 2020[7].

Un dangereux déclin de la nature, avec un taux d’extinction des espèces « sans précédents » qui s’accélère[8], équivalente une nouvelle extinction de masse, ce serait la sixième, après l’extinction du Crétacé-Paléogène, il y a 66 millions d’années, au terme de laquelle disparurent les dinosaures non aviaires. Concrètement, cela représente par exemple 68 % des populations de vertébrés en moins en 40 ans[9], ce qui a pour conséquence la résurgence d’épizooties qui deviennent des zoonoses lorsqu’elles se transmettent à l’humain, comme la grippe aviaire H5N8 en 2020-2021[10], puis en  épidémies, voire en pandémies, grippales H1N1 en 2009-2010 ou SARS-CoV-2 (Covid-19) depuis 2020, avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.

Par leur ampleur, ces deux phénomènes concomitants sont respectivement qualifiés d’effondrement climatique[11] et d’effondrement de la biodiversité[12]. Ces deux effondrements en cours, liées étroitement aux activités humaines[13], ont une incidence telle sur l’écosystème Terre qu’ils constituent une nouvelle ère géologique qui succéderait à l’Holocène, nommée à raison Anthropocène[14].

 

Risques majeurs ? Sous-estimés ou… méconnus !

Cette nouvelle ère d’instabilité environnementale inaugure donc celle de l’accroissement de l’occurrence et de l’intensité des événements extrêmes d’origine naturelle (tempêtes, incendies, pandémies…) mais par conséquent aussi anthropique (qui résulte de l’action humaine), car ces événements sont parfois liés. Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 8,9 sur l’échelle de Richter dévaste le nord-est du Japon, suivi de 3 répliques, et d’un grand tsunami à l’origine de la catastrophe nucléaire de Fukushima. A l’inverse, le 4 décembre 2020, l’activité de la centrale géothermique de Vendenheim en Alsace a provoqué des séismes dans l’agglomération strasbourgeoise, dont l’un de magnitude 3,5 sur l’échelle de Richter, amenant la préfecture du Bas-Rhin à ordonner l’arrêt définitif de la centrale[15]. Mais un événement extrême peut aussi déclencher une réaction en chaîne de type systémique. La pandémie de Covid-19 a provoqué un krach boursier en mars 2020[16], puis une crise et une récession économique qui se poursuit depuis lors.

Cette possibilité d’événements d’origine naturelle ou anthropique, dont les effets peuvent mettre en jeu un grand nombre de personnes, occasionner des dommages importants et dépasser les capacités de réaction de la société constituent autant de risques majeurs. Ils sont classés en cinq catégories en France : risque naturel, technologique, sanitaire, terroriste et cyber[17].

Or, ces risques majeurs, sont souvent sous-estimés car réévalués à la hausse après chaque événement encouru. Le plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale » a été réformé en profondeur après la pandémie de grippe aviaire H1N1 de 2009[18], mais a été largement dépassé par la pandémie de Covid-19 en 2020, notamment en raison d’un défaut de préparation des pouvoirs publics selon le rapport d’information de l’Assemblée nationale[19] et la commission d’enquête du Sénat[20] de décembre 2020. Une réévaluation des risques a eu lieu en France au niveau de la sécurité nucléaire, après la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986[21], et à l’international après celle de Fukushima en mars 2011[22].

Mais ce n’est pas tout, car il existe des phénomènes majeurs méconnus qui ne sont pas considérés comme risques majeurs. La perspective inéluctable de la raréfaction des ressources, tant naturelles que fossiles ou minières, fait peser sur les sociétés humaines des risques de pénuries ou de rupture d’approvisionnement. Le risque alimentaire devient récurrent depuis quelques années[23], le nombre de personnes souffrant de la faim étant en lente augmentation depuis 2014[24], et l’existence de ce risque reste mésestimé, à l’image de cette proposition de résolution « Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale » rejetée par le Sénat le 12 décembre 2019[25]. Un risque de black-out énergétique est identifié par RTE le vendredi 8 janvier 2021, du fait de la crise sanitaire et du confinement du printemps, qui a retardé le calendrier de maintenance du parc nucléaire, mettant un nombre anormalement haut de réacteurs à l’arrêt (jusqu’à un cinquième du parc)[26]. Ce risque de black-out énergétique a fait lui aussi l’objet d’un débat au Sénat le mardi 12 janvier où la commission des affaires économiques appelle le Gouvernement à prendre des mesures fortes pour prévenir tout risque de coupures d’électricité cet hiver[27]. Le risque de pénurie d’énergie fossile est réel avec un risque de contraction du volume total des sources actuelles d’approvisionnement en pétrole de l’Union européenne pouvant aller jusqu’à 8 % entre 2019 et 2030[28]. Le risque de pénurie de ressources minières est tout aussi réel confronté à la nécessité de satisfaire des besoins toujours croissants, qui conduirait, par exemple, à extraire d’ici 2050 plus de cuivre que tout ce qui a été produit depuis l’aube de l’humanité[29]. Tous ces risques de pénuries ou de ruptures peuvent mener à des conflits, telle la tension sur les ressources pétrolières qui est à l’origine des plus grands déchaînements du siècle passé[30].

 

Les cygnes noirs

Et c’est sans compter la survenue de cygnes noirs[31], ces évènements hautement improbables aux répercussions considérables, mais dont a posteriori on découvre d’innombrables signes avant-coureurs. L’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de Manhattan entre aujourd’hui dans cette catégorie aux yeux des historiens qui y voient le fait emblématique de l’entrée dans le XXIe siècle[32]. Mais pourraient aussi appartenir à cette catégorie, la cyber attaque sans précédents aux Etats-Unis via une mise à jour de SolarWinds en décembre 2020[33], ou les tempêtes solaires issues d’éruptions solaires géantes, qui peuvent surgir en quelques heures et provoquer des black-out, comme dans la ville de Montréal au Québec le 15 mars 1989[34].

Alors, dans un environnement naturel en cours d’effondrement que la fuite en avant technologique ne fait qu’accélérer, les sociétés humaines doivent prévenir, réduire et se préparer aux risques majeurs en développant une culture du risque, car ces risques sont initiateurs d’événements systémiques voire d’effondrements sociétaux, qui ont des coûts incommensurables. Pour reprendre l’exemple de la pandémie, les experts estiment que le coût de la prévention et de la réduction des risques de pandémies est 100 fois moins élevé que le coût de la réponse à de telles pandémies, ce qui fournit des arguments économiques forts en faveur d’un changement transformateur[35].

 

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[1]Tribune « Le cri d’alarme de 15 000 scientifiques sur l’état de la planète », Le Monde, 13 novembre 2017.

[2]Tribune « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », Le Monde, 20 février 2020.

[3]Tribune « Que les décideurs politiques ouvrent le débat sur l’effondrement de la société pour que nous puissions commencer à nous y préparer », Le Monde, 10 décembre 2020.

[4]GIEC, 2018 : Résumé à l’intention des décideurs, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté [Publié sous la direction de V. Masson-Delmotte, P. Zhai, H. O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J. B. R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M. I. Gomis, E. Lonnoy, T. Maycock, M. Tignor et T. Waterfield]. Organisation météorologique mondiale, Genève, Suisse, 32 p.

[5]GIEC, 2014: Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Sous la direction de l’équipe de rédaction principale, R.K. Pachauri et L.A. Meyer].GIEC, Genève, Suisse, 161 p.

[6]GIEC, 2018, Ibid.

[7]Entretien avec Joëlle Zask, Mégafeux : « Nous ne vivons pas seulement dans l’Anthropocène mais dans le Pyrocène », Reporterre, 4 janvier 2020.

[8]Communiqué de presse de l’IPBES sur « Le dangereux déclin de la nature », mai 2019.

[9]WWF. 2020. Rapport Planète Vivante – 2020 : Infléchir la courbe de la perte de la biodiversité. Synthèse. Almond, R.E.A., Grooten M. et Petersen, T. (Eds). WWF, Gland, Suisse, 48 p.

[10]Axelle Bouschon, Audrey Altimare, « Haute-Corse : un premier foyer français de grippe aviaire détectée dans une animalerie », Le Monde, 16 novembre 2020 ; Le Monde avec AFP, « La Russie dit avoir identifié des cas de transmission à l’homme de la souche H5N8 de la grippe aviaire », Le Monde, 20 février 2021.

[11]Desveaux Jean-Baptiste, « La crainte de l’effondrement climatique. Angoisses écologiques et incidences sur la psyché individuelle », Le Coq-héron, vol. 242, no. 3, 2020, pp. 108-115.

[12]Bignon Jérôme, « Biodiversité, extinction ou effondrement ? » Les notes scientifiques de l’office, OPECST, note n°10, janvier 2019, 7 p.

[13]Communiqué de presse du rapport de l’IPBES : « Échapper à l’« ère des pandémies » », octobre 2020, p. 2.

[14]La notion d’anthropocène a été introduite en 2002 par Paul Crutzen, météorologue et chimiste hollandais, prix Nobel de chimie en 1995.

[15]Le monde avec AFP, « Géothermie à Strasbourg : la préfecture annonce deux « écarts » commis par l’exploitant », Le Monde, 30 décembre 2020.

[16]Nedelec Gabriel, Rolland Sophie, « Le coronavirus provoque un krach Boursier mondial », Les Echos, 9 mars 2020.

[17]Cf. https://www.gouvernement.fr/risques

[18]Plan de prévention et de lutte « pandémie grippale ». Document d’aide à la préparation et à la décision. n°850/SGDSN/PSE/PSN Octobre 2011.

[19]Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement par la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19, 2 décembre 2020.

[20]Note de synthèse du rapport de la commission d’enquête sénatoriale pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19, 8 décembre 2020.

[21]Rapport sur les conséquences de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl et sur la sûreté et la sécurité de s installations nucléaires, Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, 17 décembre 1987, 226 p.

[22]L’accident de Fukushima Daiichi. Rapport du directeur général, IAEA Autriche, août 2015, 261 p.

[23]Pouch, Thierry. « Malaise dans l’approvisionnement alimentaire du monde », Géoéconomie, vol. 50, no. 3, 2009, pp. 117-123.

[24]FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2020. Résumé de L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2020. Transformer les systèmes alimentaires pour une alimentation saine et abordable. Rome, FAO.

[25]Cf. Dossier législatif du texte n° 588 (2018-2019) de Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 20 juin 2019.

[26]Guillaume Jacquot, « Electricité : les Français appelés à la modération, le risque de black-out à l’agenda du Sénat »,  sur le site PublicSénat, 8 janvier 2021.

[27]Cf. les débats et le communiqué de presse sur le « Black out énergétique » du 12 janvier 2021.

[28]L’Union européenne risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici à 2030 – Analyse prospective prudentielle (The Shift Project, 2020)

[29]Vidal Olivier, Matières premières et énergie. Les enjeux de demain, ISTE Editions, 2018.

[30]Auzanneau Matthieu, Or Noir, la grande histoire du pétrole, La Découverte, 2016.

[31]Taleb Nassim Nicholas (tr. fr. Christine Rimoldy), Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, Les belles Lettres, 2008.

[32]« L’entreprise, le hasard et la nécessité », L’Expansion Management Review, vol. 126, no. 3, 2007, pp. 130-130.

[33]Le Monde avec AFP, « Gigantesque cyberattaque aux Etats-Unis : les pirates ont vu le code interne de Microsoft », Le Monde, 01 janvier 2021.

[34]Vahé Ter Minassian, « Météo solaire, tempêtes et black-out », CNRS Le journal, 23 juillet 2015.

[35]Communiqué de presse du rapport de l’IPBES : « Échapper à l’« ère des pandémies » », octobre 2020.

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Crédit photo illustration principale : Avec le changement climatique, des cyclones plus intenses