Savane ? Forêt tropicale ? Steppe ? Et non…ces extraordinaires paysages se trouvent en Alsace et dans les Vosges ! Au fil des saisons, Hugo Mairelle et Vincent Muller ont parcouru leur région (qui est aussi celle qui m’a vu naître) pour représenter des espaces naturels variés en composant dans chacun de ces lieux des masques éphémères. Une ode à la diversité et un hommage aux peuples qui vivent en relation étroite avec leur environnement. Hugo Mairelle nous (ra)conte le projet Être(s) qui en a découlé.

 

Quel a été le déclic ? Quand et comment as-tu basculé dans ta prise de conscience ?

Il s’est fait progressivement au contact du monde de l’entreprise. Je travaillais dans le pôle graphique d’une grosse imprimerie. Lorsque tu prends peu à peu conscience que le produit de ta créativité est mis au profit de grands groupes dont l’objectif 1er est de faire un maximum de bénéfices sans se soucier de l’intérêt général, tu finis par te questionner sur l’intérêt même de ton poste et sur le sens de la société dans laquelle tu évolues. J’ai fini par démissionner et par me demander « Que puis-je faire de positif dans ma vie ? ».

 
 

Comment est né le projet Être(s) ? Comment vous-êtes vous rencontrés Vincent et toi ?

Le projet est né à la suite d’un précédent projet artistique que j’ai réalisé au Mexique au sein d’une association d’agroforesterie. Passionné par les questions environnementales et alimentaires de notre époque, j’y ai découvert un tout autre modèle agricole inspiré de la forêt. À mon retour j’ai présenté les images à mon ami et ancien collègue Vincent Muller dont j’appréciais beaucoup le travail. Il a tout de suite accroché aux photos et on a rapidement évoqué l’idée de réaliser un projet ensemble où il serait le photographe et où je serais le plasticien. Après avoir griffonné ce que j’imaginais sur le coin de table d’une brasserie strasbourgeoise, on a fait une première séance photo qui nous a plu et tout s’est enchainé !

Quelles sont la philosophie et l’ambition du projet ?

Le projet Être(s) est une métaphore artistique avec plusieurs pistes de lectures. C’est un projet introspectif qui questionne le spectateur en tant qu’humain et être vivant sur la relation qu’il entretient avec l’environnement qui l’entoure. La diversité, paysagère et humaine, est au centre du projet Être(s). Le masque est le fil conducteur du projet, présent aux quatre coins du monde, inspiré des arts premiers et des peuples autochtones, il incarne le pouvoir créatif de l’humanité et la relation étroite qu’elle entretient avec son environnement proche. De notre vivant, sommes-nous là pour participer à une destruction ou au contraire à une amélioration ? La question se pose particulièrement à notre époque de l’anthropocène où nous prenons conscience de notre impact sur l’environnement au travers des secteurs industriels, de l’agriculture chimique ou encore de l’artificialisation des sols. Ce projet engagé a aussi une vocation à sensibiliser le public et à échanger avec lui sur des thématiques variées telles que l’écologie, la philosophie, l’art ou encore l’anthropologie. Nous avons d’ailleurs réalisé des expositions en maison de la nature et en milieu scolaire.

 

Être(s) ne s’écrit pas comme ça par hasard. De quel être et/ou de quels êtres s’agit-il ?

« Être » renvoie à l’humanité et à la question « Qui suis-je ? ». Le -s- évoque les autres êtres avec qui nous partageons la planète. L’idée est d’associer les deux pour évoquer cette unité dans la diversité. Le monde est rempli d’êtres (humains et non humains) dont l’origine est commune et qui s’épanouissent dans la diversité au travers des relations qu’ils entretiennent entre eux. Une incroyable « économie » du vivant basée sur des cycles et des équilibres par le biais d’interactions et de symbioses. Une économie durable et résiliente dans laquelle il semble urgent de se réinsérer. On peut également associer Être(s) aux masques, qui sont l’incarnation spirituelle et créative d’une humanité vivant en relation avec cette diversité qu’elle anthropomorphise pour mieux entrer en contact avec elle, le masque est une passerelle !

Le masque, la nudité humaine au cœur du vivant sont des parti-pris audacieux à l’origine de votre démarche. Peux-tu nous en dire plus ?

J’ai toujours été fasciné par cet objet mystique et anthropomorphe présent sur tous les continents. Façonné par homo sapiens depuis des millénaires, qu’il soit fait de bois, de plumes, de végétaux ou d’argile, il fait le lien entre le sensible et le spirituel et a cette capacité magique à nous en apprendre sur-nous même. Le masque, est un révélateur ! La nudité s’est imposée tout naturellement, nous ne souhaitions pas représenter d’éléments artificiels, simplement des hommes et des femmes tels que la « nature » les a faits afin « d’étroitiser » le lien entre l’humanité et son environnement. La nudité évoque aussi le dépouillement, se mettre à nu comme une introspection, pour mieux se recentrer sur l’essentiel à une époque où le matérialisme et l’accumulation des biens sont présentés comme facteur de réussite et d’épanouissement. Soyons riches de savoir-faire, de partages, de relations et de connaissances !
 

Tu cites souvent l’anthropologue Philippe Descola. Qu’est-ce qui t’inspire particulièrement, dans sa philosophie ?

Il a vécu plusieurs années en Amérique du Sud dans des tribus Achuars où le mot « nature » n’existe pas. Ces peuples sont totalement immergés dans leur environnement et ont un tout autre rapport au monde, aux paysages, aux végétaux et aux animaux qui les entourent. Le monde occidental a progressivement dissocié nature et culture, nous voyons aujourd’hui la nature comme quelque chose d’extérieur à nous-même, bien souvent hostile alors que nous en émanons au même titre qu’un oiseau, un brin d’herbe ou un ver de terre. Les religions ont également participé à façonner cette idéologie et à nous éloigner de notre essence en hiérarchisant la nature, l’humanité et Dieu. Nous vivons une époque passionnante à ce sujet, une révolution cognitive vers un autre rapport au monde et une « néo-autochtonie ». C’est en tout cas ce que nous avons souhaité incarner dans ce projet. Des philosophes tels que Diogène, Masanobu Fukuoka ou encore Satish Kumar m’ont également influencé.

Comment avez-vous choisi les décors de ces magnifiques compositions que vous avez réalisées ?

On a cherché à représenter un panel de milieux naturels de la région, l’idée était d’avoir des biotopes variés tels que lacs, forêt alluviales, prairies fleuries, rivières etc… On a aussi cherché à duper le spectateur, beaucoup de personnes ont cru reconnaitre la savane africaine ou la forêt amazonienne ! Eh non, c’est juste à côté de chez vous ! Dépasser les frontières mais localement, cette idée que l’on n’est pas obligé d’aller se dorer la pilule à l’autre bout de la planète, il suffit parfois d’ouvrir les yeux et de poser un autre autre regard sur ce qui nous entoure. On a également tenu à collaborer avec une botaniste pour recenser tous les végétaux utilisés pour la composition des masques, même l’audio-naturaliste vosgien Marc Namblard a participé au projet, au travers d’une bande sonore captée dans la forêt vosgienne, que nous diffusons lors des expositions et qui est également présente dans le livre.  
 

Après plusieurs expos, vous avez édité le livre du projet. Peux-tu nous narrer cette folle aventure ?

Le livre Être(s) c’est l’aboutissement de trois années à sillonner la région, à partir à la rencontre de paysages fantastiques mais aussi de personnes fabuleuses. Le livre est aussi le fruit d’une collaboration d’écriture, toujours dans l’objectif d’enrichir le projet. Préfacé par l’historien de l’art Paul Ardenne, on y retrouve également les textes du président de France Nature Envitonnement (FNE) Arnaud Schwartz, du critique d’art Mickael Roy et du doctorant en anthropologie Pierre Spielewoy. Nous avons pris beaucoup de plaisir à réaliser ce livre imprimé localement, mais l’aventure n’est pas terminée, d’autres expositions sont prévues et le livre est disponible en librairie sur Strasbourg et sur le site projet-etres.com !  

 

Quels sont tes prochains projets ?

Gros virage cette année pour ma part ! Inspiré par les projets auxquels j’ai participé en Afrique et au Mexique, et toujours dans ce besoin quotidien d’être en relation étroite avec le vivant, je me suis installé à la campagne pour y développer un projet d’agroforesterie. La prochaine création sera végétale et accueillera la biodiversité !

 

 

Merci Hugo ! 🙂

 

 

   

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Dès le début de l’aventure, nous souhaitions pouvoir rétribuer 3 à 4 personnes qui seraient totalement dédiées à notre grand projet. Depuis fin mars 2020, notre équipe cœur a grandement fluctué en raison notamment de la nécessité de gagner sa vie et de l’éco-anxiété qui a déjà directement touché 3 membres de notre équipe. Plusieurs personnes motivées et engagées ont dû quitter à contre-cœur notre belle épopée…
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