Sommes-nous réellement prêt·e·s à changer radicalement nos modes de vie ?
Hélas, la réponse est clairement NON.
Notre addiction au confort matériel, aussi artificiel que conjoncturel, de notre société est telle que notre premier réflexe nous pousse inévitablement à trouver systématiquement une alternative. Nous poursuivons alors une logique de remplacement de l’actuelle pratique, matière ou technologie, considérée comme responsable de nos tracas écolo-climatiques, par une nouvelle solution en l’habillant au passage des qualificatifs « éco-certifiés » : « propre », « vert·e », « circulaire », « durable », « vertueux·euse », « responsable », « neutre »…
Ou comment changer la forme, sans changer le fond, modifier le matériau de l’outil destructeur, tout en continuant d’utiliser l’outil, ou remplacer la peste par le choléra !
La croissance est destructrice ? OK, alors verdissons-la et le tour est joué…
NON, la croissance est une arme de destruction massive pour la planète « punta basta ». Qu’elle carbure aux métaux rares plutôt qu’aux énergies fossiles ni change strictement rien
La surconsommation est une catastrophe ? OK, alors optons pour une consommation plus éthique…
NON, consommer autant, même « mieux », ne nous sauvera pas, il nous faut impérativement consommer beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup moins ! Jean-Marc Gancille évoque dans son excellent livre « Ne plus se mentir » l’incroyable tour de force de l’industrie qui a réussi à transformer la consomm’action green en business : « L’une des plus incroyables réussites de la société industrielle et marchande est d’être parvenue à convaincre l’opinion que la consommation pouvait changer le monde. Le pouvoir d’achat s’est mué en gentil cocktail Molotov. La bonne conscience écologique sonnante et trébuchante pouvait remplir les tiroirs caisse. »
Les énergies fossiles sont toxiques, impactent le réchauffement climatique et vont finir par manquer ? OK, alors remplaçons-les par des énergies « propres »…
NON, triplement non, même car :
1. contrairement à ce que l’on pourrait spontanément penser, aucune énergie ne s’est jamais substituée à une autre… elles s’additionnent. Ainsi le mix énergétique global mondial (80/20) n’a pas évolué depuis les années 1980 !
2. aucune énergie n’est réellement « verte », ni « propre » !
En effet, si le soleil ou le vent sont bien « renouvelables », il n’en est rien des métaux rares.
3. les énergies renouvelables ne sont pas assez « puissantes » pour remplacer les énergies fossiles et nous n’avons pas assez d’énergies fossiles pour développer suffisamment les énergies renouvelables pour compenser…
Les voitures thermiques polluent trop ? OK, alors remplaçons-les par des voitures électriques…
NON, car non seulement la pollution globale sur la durée de vie totale du véhicule est au moins comparable à celle d’une voiture thermique, mais en plus n’oublions pas que chaque voiture électrique est une voiture de plus et donc une voiture de trop ! Il n’est donc nullement écologique de remplacer sa voiture thermique par une voiture électrique, tout comme il n’est pas éco-responsable non plus d’acquérir une voiture électrique pour son premier achat alors qu’il y a tant de voitures d’occasion. En fait, la seule véritable mesure écologique est de carrément se passer de voiture.
Le chômage explose ? OK, alors créons des emplois verts…
NON, inutile de développer ici, puisque les emplois verts sont directement liés aux énergies renouvelables et à la croissance verte. Et pourquoi donc les deux raisons à l’origine de la destruction actuelle d’emplois (automatisation et dividendes versés aux actionnaires préférés aux salaires versés aux salarié·e·s) ne finiraient-elles pas par s’appliquer également aux emplois verts ? Soyons audacieux et oublions l’emploi – artificiel, conjoncturel et aliénant – pour lui préférer le travail (avec un Revenu Universel) – naturel, inhérent à la nature humaine et épanouissant. Il y a tant à faire : réparer, ré-ensauvager, reboiser, dépolluer, nettoyer…
Le Capitalisme est vicieux ? OK, alors rendons-le vertueux…
NON, ce Greenwashing a pour unique objectif de poursuivre la gigantesque entreprise de destruction massive en se donnant bonne conscience. Le capitalisme et son triple moteur – croissance infinie, compétition toxique et hyperconsommation destructrice – pose un double problème : insoutenabilité et donc incompatibilité avec la préservation de la vie sur notre planète. Que certaines organisations soient labellisées « B Corp » ou « Entreprises à mission » relève selon moi de la même hypocrisie… Rien ne changera l’ADN de l’entreprise capitaliste.
Les sacs en plastique sont une calamité ? OK, alors remplaçons-les par des sacs en plastique (soi-disant) biodégradable ou des sacs en papier…
NON, de grâce cessons le foutage de gueule organisé !!!
À l’image de cet objectif bien timide de la transition, nous cherchons donc systématiquement à remplacer plutôt qu’à accepter, une fois pour toute, d’abandonner et d’apprendre à vivre sans. Or, comme nous le savons, remplacer est inutile, voire même contre-productif. La croissance, même verte, est viscéralement destructrice, aucune énergie n’est propre et le capitalisme vertueux est une mauvaise blague.
« Il y a cinquante ans à peine, l’espèce humaine s’imaginait triomphante ; elle se découvre aujourd’hui au bord de l’extinction. À cette menace, elle ne répond que mollement, à la limite de l’indifférence ou – ce qui revient au même d’un point de vue pratique – en tentant de dégager un bénéfice commercial de toute tentative de réponse. C’est-à-dire en ignorant de facto l’urgence et l’ampleur du péril. » C’est par cette formule choc que l’anthropologue et sociologue Paul Jorion commence son livre »Le dernier qui s’en va éteint la lumière – Essai sur l’extinction de l’humanité« . Cette recherche d’un bénéfice commercial illustre parfaitement notre dévotion à la croissance économique et à la recherche de profit, avant toute autre considération.
Acceptons une fois pour toute d’abandonner toute idée de croissance !
Cela passe, comme nous venons de le voir, par l’abandon plutôt que le remplacement, mais aussi par la réparation/recyclage/réutilisation de tout ce qui existe déjà, et n’est pas/plus utilisé ou ne fonctionne plus, plutôt que toute nouvelle production nécessairement destructrice et toxique.
Plutôt que de produire du nouveau plastique – cette activité doit être purement, simplement et immédiatement interdite -, nous pourrions recycler tout le plastique existant, sans oublier celui qui se trouve à la surface et au fond des océans ou dans nos forêts et nos prairies. Nous pourrions alors utiliser cette quantité, sans doute déjà astronomique, pour faire tout autre chose que du plastique classique, jetable comme les sachets, les pailles, les couverts, les gobelets, les emballages et les bouteilles… Bravo au passage à notre gouvernement pour sa nouvelle trouvaille admirable de créer une consigne sur les bouteilles en plastique !!! Danone, Nestlé, Coca-Cola et les autres lui disent merci. En matière de foutage de gueule écolo, on avait pas fait mieux… ah si, attendez, c’est pas le même gouvernement qui a réussi à doubler nos importations d’huile de palme, en échange de vente d’armes à l’Indonésie, pour produire du biocarburant via la Raffinerie Total de la Mède ?
Par exemple, ce plastique recyclé pourrait permettre de fabriquer du tissu et remplacer ainsi le coton des chaussettes, la laine des pulls ou le duvet des doudounes, à l’instar de marques comme le français Hopaal ou l’espagnol Ecoalf. Ce plastique pourrait sans doute aussi être utilisé pour régler en partie ou en totalité la question de l’isolation thermique des logements indispensable à l’économie d’énergie. Ou encore, pour fabriquer des meubles urbains. En tout cas, je suis persuadé que vu l’utilisation intensive et incroyablement inventive que nous avons fait du plastique depuis que nous sommes devenu·e·s drogué·e·s au pétrole, le nombre d’usages réellement utiles doit être vraiment intéressant, avec par la même occasion une économie non négligeable de matériaux divers et variés auxquels le plastic recyclé se substituerait.
Plutôt que de produire encore et toujours de nouveaux vêtements – l’industrie textile est l’une des plus polluantes de la planète et ne parlons pas des conditions de travail des personnes qui bossent pour Zara, H&M ou Primark, comme d’ailleurs pour la plupart des « grandes » marques – nous pourrions déjà utiliser tout le stock mondial de vêtements disponibles en interdisant les ahurissantes destructions des invendus par les marques low-cost précitées.
Plutôt que de continuer de produire autant de nourriture, et d’en jeter le tiers… tout en dépendant dangereusement de produits pollués et polluants de par les kilomètres qu’ils parcourent pour arriver dans nos assiettes, nous pourrions adopter une gestion plus responsable, basée sur le droit à une alimentation bio, locale, de saison et exclusivement sur les circuits courts. Comme je l’ai évoqué dans ma proposition de nouvelle Déclaration des Droits Humains, la portion individuelle journalière pourrait être gratuite, ce qui limiterait considérablement la consommation et la production.
Plutôt que de continuer de produire de nouvelles voitures, qu’elles roulent à l’essence, au diesel, aux bio-carburants ou à l’électricité, peu importe finalement – cette activité doit être purement, simplement et immédiatement interdite – nous pourrions déjà faire le décompte de tous les véhicules actuellement en circulation et notamment de tous ceux qui, neufs ou d’occasion, sont disponibles dans les concessions. Évidemment, cela ne constituerait qu’une première étape avant la disparition inéluctable de la voiture.
Plutôt que de continuer à construire de nouveaux logements, nous pourrions déjà réquisitionner tous les logements inoccupés et interdire les activités, devenues clairement abusives et purement lucratives, de location de courte-durée (AirBnB et consorts). Ainsi, nous pourrions loger à coup sûr l’ensemble des personnes qui vivent dans la rue et une bonne partie des migrants déjà présents sur notre territoire. Parallèlement, nous pourrions interdire l’ouverture de tout nouvel hôtel et commencer à allouer une partie du parc total de chambres à des personnes sans logement. Cette mesure peut vous paraître trop radicale. Elle l’est, mais n’oublions pas que tôt ou tard, le tourisme lui-même, tel que nous le connaissons aujourd’hui, finira par disparaître. Bien entendu, nous pourrions commencer par « réquisitionner » les hôtels appartenant aux grandes chaines comme Accor, avant les hôtels indépendants. Et puis, autre idée tout aussi radicale que pourtant de pur bon sens, nous pourrions choisir d’établir un plafond maximal pour la surface d’un logement et diviser en 2, 3, 4… tous les logements d’une taille supérieure afin d’y loger plus de familles, de couples, d’individus. Sans oublier les résidences secondaires. Enfin, le jour où les villes se seront vidées de leurs habitant·e·s – effondrement global oblige – il nous faudra apprendre à réutiliser ce qui est réutilisable des immeubles urbains, si c’est jouable au niveau énergétique évidemment, plutôt que de reconstruire autant de logements en milieu rural ou naturel ! Les grandes civilisations antiques, égyptienne, grecque et romaine, le faisaient déjà.
Abandonnons l’extractivisme-productivisme, abandonnons le capitalisme, abandonnons le néolibéralisme, abandonnons la mondialisation et les échanges commerciaux internationaux, abandonnons la fabrication et la vente d’armes, abandonnons toute activité toxique, abandonnons la spéculation, abandonnons les intérêts, abandonnons l’avion, abandonnons les paquebots et les cargos, abandonnons les camions, abandonnons l’agriculture dite conventionnelle et tous les intrants chimiques, abandonnons l’élevage intensif tout court, abandonnons la pêche et la chasse, abandonnons le plastique sous toutes ses formes, abandonnons l’emploi et le salaire, abandonnons nos villes non résilientes, abandonnons le suffrage universel, abandonnons la (fausse) démocratie représentative…
Cessons d’essayer de remplacer à tout prix, ABANDONNONS !
100% d’accord, mais notre créativité est dramatiquement stérile à l’instar des déserts que nous fabriquons avec nos modes de vies. Nos cerveaux sont englués dans des schémas délétères, des ornières de pensées qui tournent à vide.