Fiche Pédagogique

Écosocialisme

par Jeanne Sorin

Écosocialisme

 

André Gorz (nom de plume), né sous le nom de Gerhart Hirsch, est un humaniste, ingénieur, journaliste et philosophe. Né à Vienne en 1923, il fuit le nazisme et se réfugie en Suisse. Il s’installe en France dans les années 1950 avec son épouse. Ingénieur diplômé en chimie, c’est surtout le domaine de la philosophie qui le passionne. Il s’intéresse notamment au courant existentialiste, grâce Sartre qu’il côtoie, ainsi qu’aux écrits de Marx. C’est en France qu’il commence à écrire dans plusieurs journaux. Il écrit notamment pour le Nouvel Observateur, où en 1972, il commence à parler de décroissance. André Gorz est un théoricien de l’écosocialisme. Pour lui, l’écologie rime avec rupture du capitalisme. Il critique vivement le consumérisme des Trente Glorieuses et il s’oppose petit à petit à la gauche traditionnelle productiviste.
Gorz se positionne en faveur de l’émancipation des individus et de leur liberté. Dans une interview réalisée par France Culture en 1991, il explique qu’il rejette le pouvoir :

 

« Je refuse toute forme de pouvoirs et de puissance, sauf le pouvoir que vous donne la contestation,
je suis voué à la contestation et je ne me reconnaitrai jamais dans le système. »

 

André Gorz propose une transformation radicale de la société vers un modèle écosocialiste, caractérisé par la décroissance économique, la réduction de la consommation, le partage des ressources, et une transition vers des modes de production durables. Gorz met notamment l’accent sur la nécessité de repenser le travail et de créer des formes d’emploi plus significatives.

Plan de la Fiche

  • Sa vision de l’écologie
  • La décroissance
  • Sa critique du travail, inventé par le capitalisme industriel
  • Critique de la société de consommation
  • Les livres incontournables
  • Les sources de cette fiche

André Gorz – Vers la société libérée
Marc Vidal – février 2013

Sa vision de l’écologie

En 1972, le rapport Meadows met en garde sur les limites à la croissance et les impacts négatifs de celle-ci sur l’environnement. Gorz pousse la réflexion un peu plus loin en proposant de s’extirper du capitalisme. Pour lui, il est essentiel de commencer par se demander, « pourquoi on en est arrivé au point où on en est », et ensuite « pourquoi notre mode de production et de consommation est-il destructif ? ».

Pour lui, une politique écologiste est indiscutablement une politique anticapitaliste. C’est-à dire qu’elle doit chercher à limiter le champ de la consommation marchande et les échanges marchands. 

« L’écologie c’est un changement radical et fondamental des rapports de l’homme à la nature, à lui-même et aux autres, et où doit être la société. »

André Gorz considère l’écologie comme un changement de paradigme social, politique et économique, et non pas seulement comme la protection de la nature. Dans l’interview réalisée par France Culture, il précise que « le lien entre plus et mieux est rompu. Il faut changer de paradigme. Il faut réorienter le système économique, de façon à maximiser la valeur d’usage des produits – c’est-à-dire leur longévité -, leur qualité intrinsèque, au lieu de faire maximiser leur valeur d’échange – c’est-à-dire au lieu que ça rapporte à la croissance économique ».

La décroissance

André Gorz est le premier à parler de décroissance en France. Dans l’interview pour France culture, il explique que la décroissance est nécéssaire.

« En 1972, il y a eu une prise de conscience mondiale, sur le fait que la croissance ne peut pas continuer indéfiniment
et qu’il n’est pas possible d’exploiter au même rythme […] des ressources qui sont limitées, sans arriver à l’effondrement.
»

Selon lui, toute énergie est polluante. Il précise que même les énergies solaires sont polluantes, puisque la production des installations nécessaires pour exploiter cette énergie est polluante. Pour Gorz, on peut remplacer des sources d’énergie fossile ou minérale par des sources d’énergie solaire, mais la meilleure option est de réduire sa consommation d’énergie en général. Selon lui, la France est attachée aux technologies (nucléaire) permettant à l’État de faire ce qu’il souhaite, rendant le·a citoyen·ne consommateur·ice, alors qu’avec le solaire, chaque personne pourrait produire selon ses propres besoins. Dans son interview pour Reporterre, Françoise Gollain (amie de Gorz et autrice du livre André Gorz & l’écosocialisme) explique que pour favoriser l’autolimitation énergétique dans la société, Gorz s’était notamment intéressé aux habitats partagés : « Il s’est très tôt intéressé à l’habitat partagé, un antidote à ses yeux aux cages à lapins où le couple familial est délié des autres habitants. Il proposait d’y créer des salles de télévision, des buanderies, des jardins, des ateliers de bricolage communs, etc., pour engendrer une autre socialité et une réduction de la consommation. »

Un problème soulevé par Gorz, est que les individus perçoivent la décroissance comme une « condamnation à la médiocrité sans espoir », alors que pour lui, « c’est la croissance qui se nourrit des inégalités et de la frustration, en suscitant un désir infini de consommation », pour reprendre les mots de Françoise Gollain, dans son interview pour Reporterre. Elle précise « Gorz a montré comment une « décroissance productive », par opposition à la « croissance destructive » actuelle, pouvait à la fois enrichir la vie et préserver la planète. Œuvrer à la création d’une société post-capitaliste, c’est faire le choix de vivre mieux avec moins, en travaillant et en consommant moins, mais en s’impliquant davantage socialement.

Sa critique du travail, inventé par le capitalisme industriel

Pour Gorz, le travail tel que nous l’entendons est une invention du capitalisme. Durant quelques années, André Gorz a été journaliste, mais il a rapidement quitté le milieu de la presse. En 1983, il démissionne du Nouvel Obs et de la revue Les Temps modernes. Il explique « je me méfie de la presse, je trouve que la presse française est d’un conformisme affligeant, que les gens sont superficiels, ce qui est largement la faute des directions des journaux, car ils ne donnent pas aux journalistes le temps et les moyens pour faire du travail approfondi ».

Pour lui, l’un des grands problèmes de la société capitaliste est « qu’elle ne sait pas répartir les surcroîts de richesse produite, et surtout, ne sait pas répartir et tirer parti des économies de temps de travail qu’elle réalise ». Il ajoute, « Au lieu de faire en sorte que tout le monde puisse travailler, mais travailler de moins en moins et de mieux en mieux, nous considérons la diminution du volume annuel de travail comme une malédiction. »

Dans sa réflexion sur le travail, André Gorz pointe du doigt la régression syndicale. Pour lui, plusieurs facteurs expliquent ce déclin. Depuis la standardisation des actes de production, le travail devient réalisable par n’importe qui et donc les ouvrier·ère·s deviennent interchangeables. Cela a pour conséquence que les ouvrier·ère·s ont du mal à s’identifier à leur tâche. Ils et elles agissent comment des citoyen·ne·s et non plus comme des syndiqué·e·s. Pour lui, la question n’est plus de savoir si « l’on est bien payé et bien traité dans ce qu’on fait » mais de se demander « est-ce qu’on doit faire ce qu’on fait ? ». Pour André Gorz, quand il participe à cette interview en 1991, la crise du syndicalisme c’est aussi « qu’il n’y aura plus jamais assez de travail à plein temps, stable, à vie, pour tout le monde ». Selon lui, la crise du syndicalisme est aussi grandement due à la difficulté des syndicats à trouver une direction commune aux 3 sections de la classe ouvrière qui sont : l’élite du travail (ayant un travail stable, à plein temps et quasiment assuré à vie), les personnes précaires qui travaillent 3 à 9 mois dans l’année, et enfin, les personnes travaillant à temps partiels (principalement des femmes). Le système met en avant celles et ceux qui ont un travail à plein temps, stable, alors que celles et ceux qui sont intérimaires, précaires, à temps partiels sont peu estimé·e·s. Il note que petit à petit, la solidarité de classe disparait.

Pour le philosophe, l’inégalité sociale majeure c’est l’inégalité de l’accès au travail intéressant stable et correctement rémunéré. Pour lui, cela n’a pas de lien avec le niveau de qualification ou la détention de diplôme. « Même si vous qualifiez et diplômez toute la population il y aura toujours 30 à 40% de la population pour laquelle il n’y aura pas de travail, stable et bien rémunéré, aussi longtemps qu’on ne partagera pas le travail selon d’autres critères, en en réduisant la durée. » Il remarque en effet, que de plus en plus, se créé de l’emploi pour l’emploi. Pour Gorz, le travail tel qu’il a été inventé par le capitalisme industriel, « est une activité accomplie à la demande et pour le compte d’un tiers dans les conditions et les lieux fixés par ce tiers, en échange d’une rémunération offerte par ce tiers. » Par conséquent, ce travail est une marchandise et il est fondamentalement distinct de tout ce que les individus font pour eux-mêmes et par eux-mêmes (entretenir sa maison, se laver, élever ses propres enfants, faire pousser ses légumes, etc). Il constate que l’industrialisation a eu pour effet de diminuer ces activités faites pour soi et par soi. La spécialisation et la rationalisation du travail a pour conséquence une production qui augmente de plus en plus, et qui se fait de plus en plus vite et de mieux en mieux. Avec l’industrialisation, chaque personne grâce à son salaire, a la possibilité de consommer des biens et des services qu’elle ne pourrait pas produire seule en un temps court. Selon Françoise Gollain, dans l’article de Reporterre, « pour Gorz, la « décroissance productive » doit s’accompagner d’une transformation culturelle. Le capitalisme, écrivait-il, a institué « le travail en tant qu’activité purement fonctionnelle, séparée de la vie, amputée de sa dimension culturelle et coupée du tissu des rapports humains ». Il s’agit de restaurer ces liens entre l’activité, la vie et la culture. » Elle ajoute « Dans un de ses derniers textes, il regrette « la complicité structurelle entre le travailleur et le capitalisme », favorisée par les syndicats qui demandent le partage du gâteau sans remettre en question son augmentation par la croissance. »

Andre Gorz
Focus – octobre 2010

L’importance de l’autonomie de l’individu et la critique de la société de consommation

Dans cette réflexion sur le fonctionnement de la société et notamment du travail, s’impose donc la question de l’autonomie de l’individu. Pour Gorz « Le mouvement écologiste permet aux gens de se réapproprier leur vie et leur milieu de vie, et pouvoir le soumettre à leur propre décision ». Il suggère l’autonomie des individus, l’autogestion, la défense des biens communs, la reprise des savoir-faire, les échanges non-marchands ainsi que la réduction du temps de travail. Pour Gorz, le problème de la prise en charge par la société c’est que cela nous dépossède de notre pouvoir. Il disait dans l’interview réalisée par France culture « Aujourd’hui quand vous êtes malade, que vous avez la moindre chose, de même que lorsque vous êtes à l’âge de la puberté, ou pour les femmes, quand vous attendez un enfant, votre problème est médicalisé, il est pris en charge par des professionnel·le·s de la chose, qui vous dispensent d’y faire face par vous-même ».

Dans les années 1980, Gorz commençait à s’intéresser à ce qui pourrait s’apparenter au revenu universel. Dans l’interview de Reporterre, Françoise Gollain précise que « Pour Gorz, les deux mesures, la réduction du temps de travail et, plus fortement à partir de 1997, le revenu inconditionnel d’existence, ne sont que des « instruments » vers l’expansion de l’autonomie. » Elle précise que Gorz ne voulait pas, en réduisant les heures de travail, favoriser les loisirs. Elle précise « Parce que le temps du loisir, ça peut n’être qu’un temps de la consommation marchande […] on gagne avec son travail les moyens de consommer pendant son temps libre. Mais c’est un « temps libre », pas un « temps libéré » […]  Dans « De l’aptitude au temps libre », il écrit que le temps libéré sera celui de la consommation, de l’ennui ou de la frustration s’il n’y a pas une diversité de politiques pour accompagner sa mise en œuvre. »

Pour le philosophe, il faut redéfinir nos besoins et revoir le temps qu’on accorde au travail. Il parle de libérer du temps pour des activités « autodéterminées », c’est-à-dire, qui sont individuelles, hors du marché, et coopératives. Cela favoriserait l’émancipation de chacun et la reprise du pouvoir de chacun sur sa propre vie et au sein de la collectivité. 

Il constate qu’avec la montée du consumérisme, la population possède des biens de consommation, de manière opulente, mais que le milieu de vie collectif se porte mal. Il parle de « consommer plus et vivre mal », ou de « gagner plus et vivre moins bien » dans notre civilisation. Pour lui, on pourrait accroitre notre bien-être avec une consommation moindre, avec une réduction du temps de travail et une dépense moindre en énergie.

Bande annonce « Lettre à G., le film – Repenser notre société avec André Gorz »
André Gorz – avril 2021

Les livres incontournables


André Gorz et l’écosocialisme
Françoise Gollain
Le passager clandestin – 2021

Sources

André Gorz, cet écolo socialiste qui voulait libérer le temps Catherine Marin – Reporterre, 2021

 André Gorz, penseur de l’écosocialismeFrance Culture, 2021

André Gorz, vers la société libérée France Culture, 1991

André Gorz et l’écosocialisme – Françoise Gollain, éditions Le passager clandestin, 2021

« Pensez à l’envers » avec André Gorz et s’interroger : pour quoi luttons-nous, plutôt que contre quoi ? Catherine Marin – Reporterre, 2020 

 

Pour aller plus loin…

D’autres fiches pédagogiques susceptibles de vous intéresser !

Écologie sociale

Décroissance

Écologie(s)

Emploi/Travail

Bientôt disponible