Fiche Pédagogique

Écologie sociale

par Aline Bué

Écologie sociale


«
[…] Harmonization of humanity with nature depends fundamentally upon the harmonization of human beings with each other. The attitude that we have had toward nature is always dependent upon the attitude we have had toward each other. » dit Murray Bookchin lors de la conférence The Ecology Movement: Utopia or Technocracy? délivrée à l’Université de Massachusetts en 1978 à l’occasion de l’événement Towards Tomorrow. Soit « L’harmonisation de l’humanité avec la nature dépend fondamentalement de l’harmonisation des humains entre eux. L’attitude que nous avons face à la nature est toujours dépendante de l’attitude que nous avons entre nous. » (Traduction Aline Bué)


L’écologie sociale est un mouvement de l’écologie politique, c’est-à-dire l’écologie réfléchie dans une dimension politique et au travers de l’organisation sociale. Les écologistes sont d’accord sur le fait que la catastrophe écologique provient d’un dysfonctionnement de la relation entre l’humain et la nature. L’écologie sociale va plus loin en faisant le parallèle entre les mécanismes d’exploitation des humains et les mécanismes d’exploitation de la nature. Dans les deux cas, il y a une relation dysfonctionnelle où la domination est utilisée pour arriver à ses fins sans se soucier des conséquences.

Le fondateur de l’écologie sociale, Murray Bookchin, a cherché à démontrer le problème des mécanismes de domination dans son œuvre. Murray Bookchin (1921-2006) était un théoricien social, communiste libertaire et écologiste politique américain originaire de New York, co-fondateur de l’Institute for Social Ecology dans le Vermont aux États-Unis.

Le but de l’écologie sociale est donc de créer une société égalitaire, libre et écologique en identifiant et en éliminant les relations de domination, et en développant les potentialités humaines à s’organiser démocratiquement et collectivement, de manière non-hiérarchique, au travers d’institutions émancipatrices.

Plan de la Fiche

  • Les problèmes écologiques proviennent d’une dynamique sociale
  • Notre choix de structure sociale est responsable de la catastrophe écologique: le capitalisme
  • Trouver une nouvelle organisation sociale : l’écologie politique
  • L’écologie sociale en pratique
  • Les livres incontournables
  • Les vidéos à voir absolument
  • Les podcasts à écouter

Les problèmes écologiques proviennent d’une dynamique sociale

« Social ecology is based on the conviction that nearly all of our present ecological problems originate in deepseated social problems. » What is Social Ecology?, Murray Bookchin, Social Ecology and Communalism, AK Press, first printing, 2007.

En français: « L’écologie sociale est basée sur la conviction que pratiquement tous les problèmes écologiques actuels trouvent leurs origines dans des problèmes sociaux fortement ancrés. » (Traduction Aline Bué)

Murray Bookchin prend l’exemple des grands projets destructeurs de l’environnement pour montrer l’origine sociale de la catastrophe écologique : « Les marées noires massives qui sont survenues, l’énorme déforestation des forêts tropicales et des arbres anciens dans les zones tempérées, et les vastes projets hydroélectrique qui inondent les endroits habités, pour citer quelques problèmes » sont pour lui le rappel que le combat est social. Il continue « Ce qui sera décisif pour notre planète est le conflit social entre les entreprises puissantes et les intérêts de l’humanité sur le long terme. »

Murray Bookchin souligne qu’il est crucial de reconnaître le dysfonctionnement social présent dans nos sociétés pour bien comprendre d’où vient la catastrophe écologique. L’humain s’est considéré comme supérieur à la nature et aux autres animaux qui l’habitent, ce qui est à l’origine de la catastrophe écologique. Il veut que l’on se penche sur la façon dont on structure nos relations. Il pointe du doigt « la mentalité de hiérarchie et de classe » et veut restructurer les relations sociales.

« Social ecology is based on the conviction that nearly all of our present ecological problems originate in deepseated social problems. It follows, from this view, that these ecological problems cannot be understood, let alone solved, without a careful understanding of our existing society and the irrationalities that dominate it. To make this point more concrete: economic, ethnic, cultural, and gender conflicts, among many others, lie at the core of the most serious ecological dislocations we face today – apart, to be sure, from those that are produced by natural catastrophes. »
Murray Bookchin – What is Social Ecology? Social Ecology and Communalism – AK Press, 2007.

Notre choix de structure sociale est responsable de la catastrophe écologique : le capitalisme

Murray Bookchin identifie des causes qu’il décrit comme celles à la racine de la catastrophe écologique et fustige la tendance à ne pas les identifier et chercher d’autres problèmes à blâmer qui sont plutôt des symptômes de notre société. Les causes à la racine de la catastrophe écologique qu’il définit sont les suivantes: « Le commerce pour le profit, l’expansion industrielle pour elle-même et l’identification du progrès selon les intérêts des entreprises. » (Traduction Aline Bué)

L’écologie sociale s’attaque ainsi au capitalisme – qui structure nos relations à travers la domination et l’exploitation des travailleurs·euses, la propriété privée des moyens de production, le mécanisme du marché, l’impératif du profit basé sur la logique du « croître-ou-mourir », ainsi qu’un rapport extractif à la nature, la non-reconnaissance du travail de reproduction sociale, et l’exploitation de celles qui le fournissent – mais également à l’État – qui permet à une classe gouvernante, composée d’élu·e·s professionnel·elle·s de la politique, de prendre des décisions qui détermineront la vie des classes gouvernées – et à tous les autres rapports de domination.

Murray Bookchin dénonçait déjà la récupération des idées écologistes par le capitalisme dans les années 1960. Des entreprises s’appropriaient déjà des idées des mouvements écologistes alors que le mode de production n’était pas compatible.

Les principes clefs de l’écologie sociale

 

  • L’interdépendance et le principe d’unité dans la diversité

L’écologie sociale cherche à s’opposer à l’uniformisation des êtres et des pensées et veut promouvoir l’apport de la diversité, de l’union organique des différentes parts de la société. Les différences doivent être promues comme apportant une diversité de talents, de points de vue, de styles permettant de faire évoluer la société tout en la rendant plus stable.

  • La décentralisation

Une société d’écologie sociale prendrait la forme d’une confédération de communes décentralisées et liées entre elles par des liens commerciaux et sociaux. Des sources d’énergies renouvelables dispersées permettraient d’alimenter ces communautés à taille humaine et d’apporter à chacun selon ses besoins.

  • La démocratie directe

Structurée autour du principe d’une forme de communalisme dite municipalisme libertaire, l’écologie sociale prône le développement des assemblées communales, version modernisée du type développé par les Athéniens dans l’Antiquité ou mis en place durant la Commune de Paris pour la prise de décisions politiques. Les décisions concernant la vie de la commune sont discutées et votées à la majorité dans ces assemblées. De même, à l’échelon supérieur, des représentant·e·s muni·e·s de mandats impératifs, et donc révocables, sont désigné·e·s pour aller représenter leur commune lors des assemblées régionales, nationales, etc. C’est un système horizontal, une démocratie populaire non hiérarchique, dont les décisions vont de bas en haut et sont prises dans la transparence du face-à-face.

  • Un renouveau de la citoyenneté

À la base du système d’écologie sociale se trouvent le·la citoyen·ne et la communauté. Chaque personne doit réapprendre à participer aux choix concernant la vie locale, et pour ce faire il lui faut réapprendre à décider en commun. Le·la citoyen·ne doit redevenir responsable et connaître le minimum lui permettant de prendre une part active dans la gestion de la société, notamment ce qui a une répercussion directe sur sa vie et celle d’autrui.

  • Une technologie libératrice

L’écologie sociale ne s’oppose pas aux technologies modernes mais est partisane en revanche d’un développement de celles-ci pour les mettre au service de l’être humain. La science doit retrouver son sens moral et se développer pour l’humain et non l’asservir. Les machines et outils modernes doivent devenir multifonctionnels, durables, écologiques et faciles à utiliser ainsi qu’à entretenir. En devenant maître de la technique qu’il utilise, le·la citoyen·ne pourra se libérer du travail pénible et se concentrer sur l’aspect créatif et positif des tâches.

  • Une vision sociale du travail

Développer les machines a, dans l’écologie sociale, pour but de libérer l’être humain d’une grande part du travail manuel (travail en usine) pouvant être fait par des machines, en vue de lui laisser le travail créatif et réduire son temps de travail. Le temps gagné pourrait lui permettre de participer à la vie politique de son quartier et de profiter plus pleinement de la vie sociale. Le modèle s’articule ainsi autour de temps partiels diversifiés, alliant autant que possible travail à l’intérieur et à l’extérieur, intellectuel et concret, etc. Les hiérarchies au travail seront remplacées par des superviseurs ayant pour seul but d’apporter une vision globale sur le travail d’une société.

  • Le naturalisme dialectique

Le naturalisme dialectique est une philosophie dialectique développée pour servir de fondement éthique à une société basée sur les principes de l’écologie sociale. Afin de lutter contre les ravages des représentations binaires occidentales, cette philosophie s’appuie sur la pensée « développementale » pour appréhender la complexité du Vivant. Ainsi, le naturalisme dialectique invite à ne pas étudier les espèces en les isolant les unes des autres, ce qui est le « reflet du parti-pris entrepreneurial de notre culture » mais à penser leur interrelations. Son principe est que « ce qui devrait être » doit servir de base éthique à « ce qui est », dans le but d’accompagner la liberté en germe dans la nature.

 Trouver une nouvelle organisation sociale : l’écologie politique

L’humain exerce des dominations sociales de façon intempestive : la domination des riches sur les pauvres, la domination des blancs sur les personnes d’une autre couleur de peau, la domination des hommes sur les femmes… La domination des hommes sur les autres animaux et sur la nature est un autre mécanisme : par manque de considération pour la faune et de la flore, l’homme la détruit tout simplement. La solution serait de changer l’organisation sociale, la question devient alors politique.

Le fondateur de l’écologie politique en France est André Gorz, il était journaliste pour le Nouvel Observateur et co-fondateur de celui-ci, socialiste, marxiste. Sa philosophie est une écologie humaniste, qui met l’humain au centre de l’écologie. D’ailleurs, ce n’était pas forcément la nature qu’il mettait au centre de l’écologie, contrairement à ce que les écologistes pensent aujourd’hui. La nature devait être domptée par l’homme mais respectée. Il voulait instaurer des mesures écologiques grâce à la démocratie et non pas quelque chose de révolutionnaire.

Gorz vivait lui-même de façon sobre, il aurait pu se permettre de vivre avec un niveau de vie plus élevé, mais sa philosophie était : « Seul est digne pour toi ce qui est bon pour tous. »

Il est le premier en France à parler de décroissance, dans un article du Nouvel Obs, en 1975. Ensuite il diffuse ses idées grâce au mensuel du Nouvel Obs “Le sauvage”, consacré à l’écologie et arrêté en 1991…

Lors d’une interview pour France Culture en 1991, il résume sa vision de l’écologie : « L’approche écologiste ou écosociale consiste à se demander pourquoi, en premier lieu, on est arrivé au point ou on en est. Pourquoi notre mode de production et de consommation est destructif. Une politique écologique est nécessairement une politique anticapitaliste. » Il veut : l’autonomie des individus, l’autogestion, la réappropriation des savoir-faire, la défense des biens communs, la réduction du temps de travail et le revenu universel. Des valeurs socialistes qui veulent privilégier le bien-être des travailleurs et redonner du pouvoir à ces derniers. Tout comme Bookchin, Gorz pense que l’écologie passe par une restructuration de l’organisation sociale pour mettre un terme à la croissance pour la croissance.

L’écologie sociale en pratique

Grande-Synthe

Damien Carême a exercé des actions qui se rapportent à l’écologie sociale lorsqu’il était maire de Grande-Synthe de 2001 à 2019. Il est aujourd’hui député européen.

Grande-Synthe est une ville de 24 000 habitants, considérée comme un exemple de ville en transition écologique. Le principe des actions mises en place par Damien Carême était de mettre l’humain au centre des décisions. Il témoigne lors d’une interview du podcast Présages (à écouter ci-dessous) que face à de nombreuses problématiques telles que « la désindustrialisation, un taux de chômage élevé, l’afflux de réfugiés, la pollution due aux ports et aux usines », il a choisi une réponse écologique et sociale. Voici quelques exemples de ce qu’il a mis en place : « des vergers, des jardins partagés, des cantines bio, des transports gratuits, une mutuelle pour tous, une université populaire, des logements sociaux éco-conçus et un revenu de base. »

      Le municipalisme libertaire ou communalisme

      C’est la mise en œuvre politique et locale de l’écologie sociale. Il s’agit d’un système politique dans lequel des institutions libertaires, composées d’assemblées de citoyens, dans un esprit de démocratie directe, remplaceraient l’État-nation par une confédération de municipalités ou communes libres et autogérées.

      Municipalisme libertaire

      Découvrez notre Fiche Pédagogique dédiée à ce système politique !

      Le mouvement kurde

      En 2006, à la mort de l’anarchiste américain Murray Bookchin, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) s’engage à fonder la première société basée sur un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire.

      Le 6 janvier 2014, les cantons du Rojava, dans le Kurdistan syrien, se fédèrent en communes autonomes. Elles adoptent un contrat social qui établit une démocratie directe et une gestion égalitaire des ressources sur la base d’assemblées populaires. C’est en lisant l’œuvre prolifique de Murray Bookchin et en échangeant avec lui depuis sa prison turque, où il purge une peine d’emprisonnement à vie, que le dirigeant historique du mouvement kurde, Abdullah Öcalan, fait prendre au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) un virage majeur pour dépasser le marxisme-léninisme des premiers temps. Le projet internationaliste adopté par le PKK en 2005, puis par son homologue syrien, le Parti de l’union démocratique (PYD), vise à rassembler les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste.

      Les livres incontournables

      Qu’est-ce que l’écologie soc…
      Murray Bookchin
      Atelier de création libertaire – 2012

      Social Ecology and…
      Murray Bookchin
      AK Press – 2007

      Pouvoir de détruire, pouvoir…
      Murray Bookchin
      L’échappée – 2019

      Les vidéos à voir absolument

      L’écologie est-elle une question sociale ?

      France Culture – décembre 2021

      Sources

      Pour aller plus loin…

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