Fiche Pédagogique

Municipalisme libertaire

par Jean-Christophe Anna

Municipalisme libertaire

 

 

« Le municipalisme libertaire est la gestion directe des affaires communautaires par les citoyens en personne, au sein d’institutions participatives. » Janet Biehl – Le municipalisme libertaire – Écosociété
Le but de l’écologie sociale est de créer une société égalitaire, libre et écologique en identifiant et en éliminant les relations de domination, et en développant les potentialités humaines à s’organiser démocratiquement et collectivement, de manière non-hiérarchique, au travers d’institutions émancipatrices.
Le municipalisme libertaire ou communalisme – en référence à la Commune de Paris de 1871, d’où provient son caractère socialiste et autogestionnaire – désigne la mise en œuvre politique et locale de l’écologie sociale. Il s’agit d’un système politique dans lequel des institutions libertaires, composées d’assemblées de citoyens, dans un esprit de démocratie directe, remplaceraient l’État-nation par une confédération de municipalités ou communes libres et autogérées.
Le projet repose sur l’idée que la commune – plutôt que l’État-nation – constitue l’unité politique principale, une cellule de base capable d’initier une transformation sociale radicale par propagation. À ce niveau, les communautés peuvent s’auto-organiser au travers d’assemblées populaires qui fonctionnent en démocratie directe.

Le municipalisme libertaire vise à une démocratisation de toutes les sphères de la société, qui passerait par une restructuration de l’exercice du pouvoir, ainsi qu’une transformation radicale des institutions politiques, économiques et sociales. Le municipalisme libertaire implique la décentralisation, institutionnelle et territoriale, de la prise de décision politique et économique par des communautés autogérées grâce à des assemblées populaires.

 

« Le municipalisme libertaire veut ressusciter la politique dans le sens ancien du terme : construire et étendre la démocratie directe locale de sorte que les simples citoyens prennent des décisions relatives à leur communauté et à la société dans son ensemble. » Janet Biehl – Le municipalisme libertaire – Écosociété

Pour en savoir plus sur l'écologie sociale...

 

L’écologie sociale étudie les relations de l’humain à la nature, et des humains entre eux. Elle a été fondée par Murray Bookchin (1921-2006), un théoricien social, communiste libertaire et écologiste politique américain originaire de New York, co-fondateur de l’Institute for Social Ecology dans le Vermont aux Etats-Unis.

Le diagnostic principal posé par l’écologie sociale est que tous nos problèmes écologiques proviennent en réalité de problèmes sociaux. Ainsi, pour comprendre l’origine des problèmes écologiques, il est d’abord essentiel de comprendre la manière dont les êtres humains structurent leurs relations au travers de leurs diverses institutions.

L’écologie sociale s’attaque ainsi au capitalisme – qui structure nos relations à travers la domination et l’exploitation des travailleurs et travailleuses, la propriété privée des moyens de production, le mécanisme du marché, l’impératif du profit basé sur la logique du « croitre-ou-mourir », ainsi qu’un rapport extractif à la nature, la non-reconnaissance du travail de reproduction sociale, et l’exploitation de celles qui le fournissent – mais également à l’Etat – qui permet à une classe gouvernante, composée d’élu.e.s professionnel.elle.s de la politique, de prendre des décisions qui détermineront la vie des classes gouvernées  et à tous les autres rapports de domination.

L’apport principal de l’écologie sociale, c’est que l’idée-même de domination de l’humain sur la nature provient de l’idée de la domination de l’humain sur l’humain, générée à travers l’histoire par la domination de l’homme sur la femme, des blancs sur les gens d’autres couleurs de peau, des riches sur les pauvres, etc. En identifiant la source des problèmes écologiques dans l’idée-même de hiérarchie, Bookchin considère rompre avec le Marxisme, dans la mesure où, selon lui, une analyse basée principalement sur la critique de l’exploitation économique court le risque de ne pas assurer l’éradication des autres types de hiérarchie. Selon lui, même si l’on abolit les rapports d’exploitation économique et d’exploitation de la nature, ce n’est pas pour autant que les autres rapports de domination disparaîtront et que l’on pourra atteindre une société égalitaire et non-hiérarchique.

 

L’oeuvre de Murray Bookchin, débutant par des écrits anarchistes sur le sujet dans les années 1960, a continuellement évolué. Vers la fin des années 1990 il lui intègre toujours plus le principe de communalisme, avec des aspirations plus portées vers la démocratie municipale institutionnalisée, ce qui le distancie d’une certaine évolution de l’anarchisme. Inspirée de l’anarchisme (de Kropotkine principalement) et du communisme, des écrits de Marx et de Engels. L’écologie sociale se veut éviter les écueils d’une écologie néo-malthusienne qui efface les rapports sociaux en les substituant par les « forces naturelles » mais également d’une écologie technocratique qui considère qu’il faut compter sur la technologie et accorder plus de puissance aux Etats. Selon Bookchin, ces deux courants dépolitisent l’écologie et mythifient le passé ou le futur.

Ainsi, l’écologie sociale s’articule au travers de plusieurs principes clé :

L’interdépendance et le principe d’unité dans la diversité. L’écologie sociale cherche à s’opposer à l’uniformisation des êtres et des pensées et veut promouvoir l’apport de la diversité, de l’union organique des différentes parts de la société. Les différences doivent être promues comme apportant une diversité de talents, de points de vue, de styles permettant de faire évoluer la société tout en la rendant plus stable.

La décentralisation : Une société d’écologie sociale prendrait la forme d’une confédération de communes décentralisées et liées entre elles par des liens commerciaux et sociaux. Des sources d’énergies renouvelables dispersées permettraient d’alimenter ces communautés à taille humaine et d’apporter à chacun selon ses besoins.

La démocratie directe : Structurée autour du principe d’une forme de communalisme dite municipalisme libertaire, l’écologie sociale prône le développement des assemblées communales, version modernisée du type développé par les Athéniens dans l’Antiquité ou mis en place durant la Commune de Paris pour la prise de décisions politiques. Les décisions concernant la vie de la commune sont discutées et votées à la majorité dans ces assemblées. De même, à l’échelon supérieur, des représentants munis de mandats impératifs, et donc révocables, sont désignés pour aller représenter leur commune lors des assemblées régionales, nationales, etc. C’est un système horizontal, une démocratie populaire non hiérarchique, dont les décisions vont de bas en haut et sont prises dans la transparence du face-à-face.

Un renouveau de la citoyenneté : À la base du système d’écologie sociale se trouvent le citoyen et la communauté. Chaque personne doit réapprendre à participer aux choix concernant la vie locale, et pour ce faire il lui faut réapprendre à décider en commun. Le citoyen doit redevenir responsable et connaître le minimum lui permettant de prendre une part active dans la gestion de la société, notamment ce qui a une répercussion directe sur sa vie et celle d’autrui.

Une technologie libératrice : L’écologie sociale ne s’oppose pas aux technologies modernes mais est partisane en revanche d’un développement de celles-ci pour les mettre au service de l’être humain. La science doit retrouver son sens moral et se développer pour l’humain et non l’asservir. Les machines et outils modernes doivent devenir multifonctionnels, durables, écologiques et faciles à utiliser ainsi qu’à entretenir. En devenant maître de la technique qu’il utilise, le citoyen pourra se libérer du travail pénible et se concentrer sur l’aspect créatif et positif des tâches.

Une vision sociale du travail : Développer les machines a, dans l’écologie sociale, pour but de libérer l’être humain d’une grande part du travail manuel (travail en usine) pouvant être fait par des machines, en vue de lui laisser le travail créatif et réduire son temps de travail. Le temps gagné pourrait lui permettre de participer à la vie politique de son quartier et de profiter plus pleinement de la vie sociale. Le modèle s’articule ainsi autour de temps partiels diversifiés, alliant autant que possible travail à l’intérieur et à l’extérieur, intellectuel et concret, etc. Les hiérarchies au travail seront remplacées par des superviseurs ayant pour seul but d’apporter une vision globale sur le travail d’une société.

Le naturalisme dialectique : Le naturalisme dialectique est une philosophie dialectique développée pour servir de fondement éthique à une société basée sur les principes de l’écologie sociale. Afin de lutter contre les ravages des représentations binaires occidentales, cette philosophie s’appuie sur la pensée « développementale » pour appréhender la complexité du vivant. Ainsi, le naturalisme dialectique invite à ne pas étudier les espèces en les isolants les unes des autres, ce qui est le « reflet du parti-pris entrepreneurial de notre culture » mais à penser leur interrelations. Son principe est que « ce qui devrait être » doit servir de base éthique à « ce qui est », dans le but d’accompagner la liberté en germe dans la nature.

Rencontres internationales
En mai 2016, sont organisées à Lyon les premières « Rencontres internationales de l’écologie sociale » qui réunissent une centaine d’écologistes radicaux, de décroissants et de libertaires venus pour la plupart de France, de Belgique, d’Espagne et de Suisse, mais aussi des États-Unis, du Guatemala ou encore du Québec. Au centre des débats: le municipalisme libertaire comme alternative à l’État-nation et le besoin de repenser le militantisme.

La deuxième édition des rencontres ont lieu à Bilbao, du 27 au 29 octobre 20178.

Mouvement kurde
En 2006, à la mort de l’anarchiste américain Murray Bookchin, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) s’engage à fonder la première société basée sur un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire.

Le 6 janvier 2014, les cantons du Rojava, dans le Kurdistan syrien, se fédèrent en communes autonomes. Elles adoptent un contrat social qui établit une démocratie directe et une gestion égalitaire des ressources sur la base d’assemblées populaires. C’est en lisant l’œuvre prolifique de Murray Bookchin et en échangeant avec lui depuis sa prison turque, où il purge une peine d’emprisonnement à vie, que le dirigeant historique du mouvement kurde, Abdullah Öcalan, fait prendre au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) un virage majeur pour dépasser le marxisme-léninisme des premiers temps. Le projet internationaliste adopté par le PKK en 2005, puis par son homologue syrien, le Parti de l’union démocratique (PYD), vise à rassembler les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste.

Source : Wikipedia

Le municipalisme libertaire (de Murray Bookchin) – Politikon #20

Politikon – 17 mai 2020

ÉCOPO – Anarchisme et écologie ; Murray Bookchin

Game of Hearth – 17 mai 2020

Le confédéralisme démocratique

 

Pour les questions qui dépassent les limites de la commune, les municipalités/communautés autonomes peuvent s’organiser sur le modèle confédéraliste : ces communautés sont alors reliées entre elles par un réseau confédéral de délégués dotés de mandats impératifs*, révocables et rotatifs, sous la supervision constante des assemblées populaires. Ce réseau confédéral de délégués peut ainsi prendre des décisions nécessitant un certain degré de coordination de centralisation et de planification. Ce mécanisme est bien plus vertueux et efficace que celui de représentant.e.s élu.e.s tous les cinq ans qui utilisent leur jugement pour prendre des décisions, tout en ayant un intérêt personnel à leur réélection pour continuer à faire partie de la classe professionnelle gouvernante. 

Afin de bien comprendre la répartition des rôles entre ces instances, Bookchin fait une distinction fondamentale entre, d’une part, la prise de décisions politiques concernant l’orientation que la municipalité devrait prendre quant aux questions politiques, économiques, sociales, écologiques et culturelles et qui est formulée par les assemblées populaires assemblant tou.te.s les résident.e.s de la commune ; et, d’autre part, l’administration de ces décisions, à savoir la coordination au niveau confédéral et l’exécution au niveau communal qui en est faite par les délégués munis de mandats impératifs et révocables.

* : Un mandat impératif est un mandat émanant d’une entité et conférant une autorité limitée à la personne qui le porte, l’autorité de poser des actions en son nom dans le cadre strict des instructions et des limites élaborées dans le mandat. Un mandat révocable rend possible la destitution et le remplacement du délégué si celui-ci ne respecte pas les termes de son mandat.

La municipalisation de l'économie

 

Au niveau économique, le municipalisme libertaire est ancré dans le communisme libertaire et vise ainsi à instaurer la propriété collective des moyens de production, plutôt que leur propriété privée ; une économie fondée sur les logiques d’aide mutuelle, de solidarité et de coopération plutôt que de compétition et de profit ; des rapports de production reposant sur l’autogestion des travailleurs et travailleuses, et non sur leur exploitation ; la production et la distribution des biens et services en fonction des besoins, et non des mécanismes de marché et de logique d’accumulation du capital.


L’écologie sociale considère l’économie comme une sphère devant être mise sous le contrôle démocratique de la communauté au travers des assemblées populaires. Il s’agit donc de subordonner la sphère économique à la sphère politique. L’ultime but est ce que Bookchin appelle la municipalisation de l’économie, qui s’organiserait de la manière suivante. D’une part, les unités essentielles détenant le pouvoir de cette économie démocratique seraient les assemblées populaires, incluant tous les résident.e.s d’une commune, qui se coordonneraient au travers de conseils administratifs confédéraux avec délégué.e.s avec mandat impératif, révocable, et rotatif pour les planifications à plus grande échelle. Ces assemblées décideraient collectivement et démocratiquement des politiques économiques fondamentales concernant la production, la distribution, la consommation des biens et services (entre autres, la détermination des besoins des individus et communautés et la distribution de la production en fonction de cette détermination, la sécurité sociale, l’allocation des surplus, l’usage de la technologie, l’utilisation des ressources, les décisions concernant les limites environnementales, l’échelle de production, etc.). D’autre part, l’opération journalière et les conditions de travail seraient laissées à l’autogestion des travailleurs et travailleuses dans chaque lieu de travail (ceux-ci et celles-ci ont également une voix dans l’assemblée), réalisant le principe de démocratie directe également sur le lieu de travail.

La stratégie du municipalisme libertaire

 

Au niveau stratégique, le projet Communaliste vise la démocratisation de la société par la transformation de la manière dont le pouvoir est exercé. Il vise à remplacer les structures étatiques par des assemblées démocratiques populaires basées sur les quartiers, villages et villes. La stratégie municipaliste part du constat que la municipalité seule, même si elle n’est pas comprise au sens traditionnel d’entité administrative, n’est pas suffisante pour abolir, ni même sérieusement défier l’État et le capital. Pour ce faire, le municipalisme libertaire propose aux travailleurs et travailleuses de reprendre le pouvoir sur leur vie par la création d’organisations démocratiques dans les sphères où ils et elles sont précisément dépossédé.e.s de ce pouvoir (décision politique, travail, logement, alimentation, énergie, etc.). Ceci dans le but d’arriver à une situation de double pouvoir entre d’un côté la confédération de communes organisées en assemblées populaires, articulées à des conseils ouvriers, des assemblées de locataires, etc., et, de l’autre, l’État, où les deux blocs seraient en compétition pour la légitimité politique.

 

Pour construire ces communes autogérées en assemblées populaires locales, Bookchin propose deux stratégies, qui peuvent être combinées en fonction des contextes :

  • La première voie, la stratégie extralégale, consisterait en la création des institutions alternatives que sont les assemblées populaires, à côté des institutions classiques de l’État et du capital, qui permettraient aux gens d’apprendre à s’organiser en démocratie directe, de répondre collectivement à leurs besoins et de créer un contre-pouvoir. Parce qu’elles permettraient à toutes et tous de participer aux décisions qui les affectent, ces assemblées auraient davantage de légitimité que les institutions classiques.
  • La seconde voie consisterait à faire élire aux élections municipales des personnes qui seraient mandatées de manière impérative et révocable par une assemblée populaire extralégale et à lier ce mandat officiel « légal » aux décisions de l’assemblée (ce qui nécessite un travail pré-existant de création de l’assemblée et d’éducation politique à la démocratie directe). Il est donc important de comprendre que le Communalisme ne peut se limiter au seul changement des institutions politiques. Ainsi, afin de créer une situation de double pouvoir et de faire contrepoids aux institutions de l’État et du capital qui gouvernent nos vies, il faudrait consolider le pouvoir populaire en dehors des institutions du système actuel, au sein d’institutions démocratiques venant de la base, telles que les assemblées populaires dans les lieux de travail, dans les lieux de vie, dans les écoles, dans les quartiers.

L’utopie du Rojava

 

En 2006, à la suite de la disparition du communiste libertaire américain Murray Bookchin, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) prend l’engagement de construire la première société basée sur le confédéralisme démocratique, largement inspiré de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire.

En janvier 2014, les cantons libérés du Rojava (Kurdistan syrien), se fédèrent en communes autonomes qui, sur les bases d’un contrat social, s’appuient sur la démocratie directe pour la gestion égalitaire des ressources. C’est en échangeant avec Murray Bookchin depuis la prison turque, où il purge une peine d’emprisonnement à vie, que Abdullah Öcalan, leader historique kurde, réoriente la stratégie politique du PKK et abandonne le marxisme-léninisme des origines. Le projet internationaliste approuvé par le PKK en 2005, et après par son parti-frère en Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD), est de réunir les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste*.

Comme le racontent les deux journalistes Mireille Court et Chris den Hond dans leur documentaire de 2017 « Rojava, une utopie au coeur du chaos syrien » (vidéo disponible plus bas), cette utopie voit donc le jour en 2014 à la suite de la reprise victorieuse par les Kurdes des enclaves syriennes annexées par Daech, notamment Raqqa, l’ancienne capitale de l’État Islamique (EI). Le Rojava ou Fédération démocratique du Nord de la Syrie compte alors 3 cantons (Cezire, Kobané et Afrin). Chaque canton dispose d’une assemblée législative et d’un gouvernement central. Un Conseil Démocratique Syrien (CDS) et un gouvernement autonome « coiffent » les 3 cantons. Et au niveau militaire, les Kurdes, les Arabes et les Syriaques ont mis en place une alliance, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS).

C’est ainsi que l’improbable s’est réalisé : un modèle de démocratie directe au sein d’une Fédération pluri-ethnique et pluri-confessionnelle – entre Arabes, Kurdes, Turkmènes, Chrétiens Syriaques, Tchétchènes et Arméniens) – en plein coeur d’une mini guerre mondiale dans laquelle sont engagées les forces armées des pays les plus puissants du monde (États-Unis, Russie, Chine, Turquie, France…). Les Kurdes ont en effet réussi le tour de force d’embarquer les autres peuples de ce territoire (environ 30% de la Syrie) dans une authentique utopie pluraliste et démocratique. Le Rojava constitue une double révolution, celle de l’émancipation de la femme et celle du système éducatif. Au sein de chacune des assemblées, la parité absolue femmes-hommes est respectée, toutes les populations sont représentées et les 3 principales langues sont reconnues (Arabe, Kurde, Syriaque). La même philosophie s’applique dans les écoles où l’éducation est proposée dans ces différentes langues. Si bien que si les Arabes et les autres peuples pouvaient être sceptiques au départ, les différentes populations ont vite adhéré à ce mode de fonctionnement si vertueux en comparaison du régime autoritaire et nationaliste syrien.

 

* : Ce projet rejette le nationalisme et la prise de pouvoir en tant qu’objectif du parti. Ses grandes lignes sont définies par un projet de démocratie assembléiste proche du municipalisme libertaire, une économie de type collectiviste, un système de fédéralisme intégral entre communes et une coopération paritaire et multiethnique dans des systèmes organisationnels et décisionnels autogérés.

 

« ROJAVA, UNE UTOPIE AU CŒUR DU CHAOS SYRIEN » – 2017

Le Média – 30 juillet 2019

Début 2018, l’invasion par la Turquie (avec le blanc-sein de la Russie) du canton d’Afrin et de la bande de terre entre Tal Abyad et Serekaniye, a gravement amputé le territoire du Rojava.  L’objectif du pouvoir turc était de provoquer un soulèvement arabe contre les Kurdes afin de briser l’unité existante. Erdogan avait en effet alors procédé à un grand nettoyage ethnique en remplaçant les centaines de milliers de personnes qui ont fui par des réfugiés arabes sunnites. Ce changement démographique avait pour objectif de supprimer la population kurde. Mais, contrairement à ce qu’ont pu laissé croire de nombreux médias à l’époque, la Fédération autonome du Nord et de l’Est de la Syrie n’a pas disparu. Bien au contraire. Comme l’illustre le tout dernier documentaire de Mireille Court et Chris den Hond « Rojava, l’avenir suspendu » réalisé fin 2019-début 2020, cette agression turque a en fait rapproché les peuples qui se sentent encore plus unis et solidaires qu’avant. Une grande majorité des Arabes, Turkmènes et Syriaques reconnait aujourd’hui que le système mis en place est le meilleur qu’ils aient connu et que les destins de leurs peuples sont liés à celui des Kurdes. Alors que l’État-nation syrien a toujours été imaginé pour les seul·e·s Arabes, la Fédération démocratique concerne toutes les populations. Si le régime syrien a installé quelques postes armés tout le long de la frontière pour endiguer la menace turque, le territoire du Rojava reste autonome.

Aujourd’hui, alors que les forces américaines se retirent progressivement, le Rojava est pris en tenaille entre la Turquie, qui menace d’occuper tout le nord de la Syrie, et le régime syrien qui souhaite reprendre le contrôle de l’ensemble de son territoire. Il est vrai que l’autonomie militaire des Forces démocratiques syriennes, le contrôle des ressources énergétiques et le système politique décentralisé et pluraliste avec une éducation pluri-linguistique sont de nature à agacer Damas. Mais pour qu’un accord soit acceptable avec le régime syrien, la Fédération démocratique impose deux demandes absolues en formes de lignes rouges : que l’autonomie du territoire fasse partie de la Constitution syrienne et que les Forces démocratiques Syriennes fassent constitutionnellement partie du système de défense syrien tout en conservant sont statut spécial. La communauté internationale n’a toujours pas reconnu officiellement l’existence du Rojava. Est-ce vraiment un hasard ? Et si une telle utopie représentait une menace pour le système dominant actuel, sa vision de la démocratie et le modèle indéboulonnable de l’État-nation ?

 

ROJAVA, L’AVENIR SUSPENDU – Fin 2019/début 2020

Le Média – 29 juin 2020

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