Fiche Pédagogique Biorégionalisme

par Jean-Christophe Anna

Biorégion ?

 

La biorégion, un lieu de vie gouverné par la nature

 

Biorégion ! L’essence même du concept semble couler de source, telle une évidence limpide. Une région de vie. Une région qui accueille la vie. Un territoire qui se caractérise essentiellement par le vivant qu’il héberge, par les formes de vie qui l’habitent.

La biorégion est donc un territoire dont la délimitation tient compte à la fois de sa singularité biologique et de ses caractéristiques écosystémiques – les espèces végétales et animales (humaine et non humaines) qui s’y trouvent – ; de ses contours géographiques et de sa configuration hydrographique – principalement le bassin-versant ou bassin fluvial – qui la traverse ; de ses particularités climatiques et… des communautés humaines qui y vivent. Ou comment réconcilier enfin nature et culture. Avec une primauté évidente de la nature sur la législation comme l’expose clairement le journaliste et essayiste américain Kirkpatrick Sale dans son incontournable livre, véritable pilier de la pensée biorégionaliste, Dwellers in the Land* paru en 1985 :

« Un territoire de vie, un lieu défini par ses formes de vie, ses topographies et son biote plutôt que par des diktats humains ; une région gouvernée par la nature et non par la législation. »

S’appuyer sur des limites naturelles plutôt que sur des frontières politiques – arbitrairement dessinées par les humains pour administrer les différents territoires, nationaux, régionaux, départementaux – semble relever du bon sens le plus élémentaire, qui nous a hélas échappé depuis bien longtemps. C’est exactement cette même évidence qu’illustre brillamment le Professeur américain spécialisé en architecture du paysage, Robert L. Thayer, dans son livre LifePlace. Bioregional Thought and Practice en 2003.
Sa définition de la biorégion est lumineuse pour au moins 3 raisons. Tout d’abord, il propose une formule aussi simple qu’impactante, celle du « lieu de vie ». Ensuite, il appréhende le Vivant de manière globale – les « communautés vivantes humaines et non humaines » – en dépassant ainsi la dichotomie artificielle, stérile et stupide entre nature et culture, à l’origine du désastre en cours. Enfin, il présente la biorégion comme « le lieu et l’échelle les plus logiques ».

« Littéralement et étymologiquement parlant, une biorégion est un « lieu de vie » (life-place) – une région unique qu’il est possible de définir par des limites naturelles (plus que politiques), et qui possède un ensemble de caractéristiques géographiques, climatiques, hydrologiques et écologiques capables d’accueillir des communautés vivantes humaines et non humaines uniques. Les biorégions peuvent être définies aussi bien par la géographie des bassins versants que par les écosystèmes de faune et de flore particuliers qu’elles présentent ; elles peuvent être associées à des paysages reconnaissables (par exemple, des chaînes de montagnes particulières, des prairies ou des zones côtières) et à des cultures humaines se développant avec ces limites et potentiels naturels régionaux. Plus important, la biorégion est le lieu et l’échelle les plus logiques pour l’installation et l’enracinement durables et vivifiants d’une communauté. »

* : traduit en Français par Matthias Rollot et Alice Weil : L’art d’habiter la Terre. La vision biorégionale – Wildproject – 2020

La biorégion, une autre façon d’habiter la Terre.

Terre & Lettres 2021 – Rencontre avec Thierry Paquot et Guillaume Faburel – Novembre 2021

Les deux dimensions de la biorégion

 

Chaque biorégionaliste ayant proposé sa propre définition, le concept de biorégion est une notion ouverte qui fait l’objet de plusieurs approches différentes et complémentaires. C’est ce qui fait toute sa richesse, mais aussi sa complexité.

La biorégion se caractérise par deux dimensions :

  1. La dimension géographique
  2. La dimension politique

Cette double dimension est bien au cœur du tout premier ouvrage collectif de référence sur le biorégionalisme :

« Notre terme fait référence autant au contexte géographique qu’au contexte cognitif – autant à un lieu qu’aux idées qui ont été développées à propos des manières de vivre en ce lieu. » Peter Berg et Raymond Dasmann – Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – Planet Drum Fondation – 1978

La dimension géographique

 

La biorégion est littéralement une région de vie, un territoire caractérisé par sa singularité biologique, écosystémique, géographique, hydrographique, topographique et climatique.

Cette dimension géographique est parfaitement illustrée par la toute première définition du concept de biorégion proposée par le chercheur canadien Allen Van Newkirk en 1975 (Bioregions: Towards Bioregional Strategy for Human Cultures).
« Le concept de biorégion a été introduit pour explorer la possibilité de développer une méthode de planification, relativement non arbitraire, pour les réalités biologiques sauvages du paysage.
[…] Les biorégions sont provisoirement définies comme des aires remarquables de la surface de la Terre, du point de vue biologique, qui peuvent être cartographiées et discutées comme des modèles existants distincts, de plantes, d’animaux et d’habitats ; des distributions liées aux modèles d’aires de répartition et aux processus complexes de construction de niches culturelles – tout en tenant compte des déformations attribuées à l’occupation d’une ou plusieurs populations successives du mammifère culturel. 
[…] Dans ce cadre, le premier critère à considérer, pour définir une biorégion, c’est le bassin-versant – c’est-à-dire le territoire d’un fleuve. C’est sur la base de ce bassin fluvial que vont être discutés les nombreux autres critères à la fois « naturels » et « culturels » pris en compte pour le dessin biorégional. »

 

La dimension politique

 

La biorégion est aussi une formidable utopie, une philosophie politique radicalement alternative au Système dominant actuel, l’opportunité d’écrire collectivement une nouvelle histoire, de faire émerger une nouvelle société.

L‘utopie biorégionaliste est une invitation à nous mettre toutes et tous au service du Vivant pour imaginer une nouvelle façon d’habiter la Terre et de faire société, en nous délivrant de tous les rapports de domination et en recouvrant notre pleine et entière souveraineté via la mise en place d’une véritable démocratie.

Cette dimension politique est déjà bien présente dans le texte fondateur du biorégionalisme signé Peter Berg et Raymond Dasmann Reinhabiting California (Réhabiter la Californie) :

« La biorégion ne peut pas être traitée au regard de ses propres processus de continuité de la vie tant qu’elle n’est qu’une partie d’un ensemble plus large qui l’administre et la gouverne. Elle doit devenir un État séparé. En tant qu’État distinct, la biorégion pourrait reconfigurer ses frontières politiques pour créer des gouvernements à la fois liés à des bassins-versants précis et en même temps appropriés au maintien des lieux de vie locaux. Les conflits entre les villes et le pays pourraient être résolus sur des bases biorégionales. Peut-être que le plus grand avantage d’un État séparé serait la possibilité de proclamer l’existence d’un lieu au sein duquel chacun serait considéré comme membre d’une espèce partageant la planète avec toutes les autres. »

Petite sélection de définitions !

Allen Van Newkirk (1975)

« Le concept de biorégion a été introduit pour explorer la possibilité de développer une méthode de planification, relativement non arbitraire, pour les réalités biologiques sauvages du paysage. […] Les biorégions sont provisoirement définies comme des aires remarquables de la surface de la Terre, du point de vue biologique, qui peuvent être cartographiées et discutées comme des modèles existants distincts, de plantes, d’animaux et d’habitats ; des distributions liées aux modèles d’aires de répartition et aux processus complexes de construction de niches culturelles – tout en tenant compte des déformations attribuées à l’occupation d’une ou plusieurs populations successives du mammifère culturel. » Bioregions: Towards Bioregional Strategy for Human Cultures – Allen Van Newkirk – 1975

Global Biodiversity Strategy (1992)

« Une biorégion est un territoire terrestre et aquatique dont les limites ne sont pas définies par des frontières politiques, mais par les limites géographiques des communautés humaines et des systèmes écologiques. Une telle zone doit être assez large pour maintenir l’intégrité des communautés biologiques, des habitats et des écosystèmes régionaux ; pour supporter d’importants processus écologiques, comme les cycles allant des nutriments aux déchets, les migrations et les courants aquatiques ; pour constituer des milieux de vie satisfaisants pour les espèces clés de voûte et les espèces sentinelles ; et pour accueillir les communautés humaines impliquées dans la gestion, l’utilisation et la compréhension des ressources biologiques du lieu. Cette zone doit être assez petite pour que ses habitants la considèrent comme leur chez-eux.

Une biorégion typique s’étendrait sur une aire allant de quelques milliers d’hectares à plusieurs centaines de milliers d’hectares. Elle pourrait ne pas être plus grande qu’un petit bassin-versant autant qu’elle pourrait être aussi grande qu’un petit État. Dans certains cas, une biorégion pourrait s’établir par-delà les frontières entre deux pays ou plus. Une biorégion est aussi définie par son peuple. Elle doit avoir une identité culturelle unique et être un lieu au sein duquel les résidents locaux ont le droit fondamental de déterminer leur propre développement. Ce droit premier, toutefois, n’est pas un droit absolu. Il signifie plutôt que les modalités de subsistance, les requêtes et les intérêts particuliers des communautés locales devraient être le point de départ autant que le critère de décision de toute discussion portant sur le développement et la conservation régionaux. » Global Biodiversity Strategy – 1992*

 

* : World Ressources Institute (WIR), The World Conservation Union (UICN), United Nations Environment Programme (UNEP), in consultation with Food and Agriculture Organization (FAO), United Nations Education, Scientific and Cultural Organization (UNESCO), Guidelines for Action to Save, Study, and Use Earth’s Biotic Wealth Sustainably and Equitably, pp. 97-100


C’est l’une des définitions les plus claires et des plus efficaces qui soient pour Mathias Rollot.

 

Kirkpatrick Sale (1985)

« Un lieu défini non par des diktats humains, mais par les formes de vie, la topographie, son biotope ; une région gouvernée non par la législation, mais par la nature. » Kirkpatrick Sale – 1985

Robert L. Thayer (2003)

« Littéralement et étymologiquement parlant, une biorégion est un « lieu de vie » (life-place) – une région unique qu’il est possible de définir par des limites naturelles (plus que politiques), et qui possède un ensemble de caractéristiques géographiques, climatiques, hydrologiques et écologiques capables d’accueillir des communautés vivantes humaines et non humaines uniques. Les biorégions peuvent être définies aussi bien par la géographie des bassins versants que par les écosystèmes de faune et de flore particuliers qu’elles présentent ; elles peuvent être associées à des paysages reconnaissables (par exemple, des chaînes de montagnes particulières, des prairies ou des zones côtières) et à des cultures humaines se développant avec ces limites et potentiels naturels régionaux. Plus important, la biorégion est le lieu et l’échelle les plus logiques pour l’installation et l’enracinement durables et vivifiants d’une communauté. » Robert L. Thayer – 2003

 Le biorégionalisme originel, l’art d’habiter ou de réhabiter la Terre en respectant le Vivant !

 

Idéologie politique éco-anarchiste, le biorégionalisme originel est né en Amérique du Nord dans les années 1970.

Dans leur article historique intitulé Réhabiter la Californie (voir le menu déroulant plus bas), Peter Berg et Raymond Dasmann, les deux « pères fondateurs du biorégionalisme » définissent la biorégion comme le lieu de vie, le territoire « réhabité » par des personnes à la recherche d’un nouvel équilibre, plus ancré, plus connecté au Vivant. À la fin des années 1960, Peter Berg et sa compagne Judy Goldhaft observent – tout en y participant – un puissant mouvement de retour à la terre, une forme d’exode ou tout du moins d’exil urbain/métropolitain de différentes populations (hippies, diggers et militant·e·s écologistes) qui quittent San Francisco pour fonder des communautés autonomes en Californie. Ces « réhabitant » laissent donc derrière eux la grande ville, ce décor artificiel totalement coupé du Vivant, pour se ré-ancrer dans les campagnes, le réel. Les réhabitant·e·s adoptent ainsi un mode de vie radicalement différent en équilibre avec « les autres entités vivantes et les processus naturels de la planète — saisons, climats, cycles de l’eau ». La réhabitation constitue bel et bien une nouvelle façon d’habiter la Terre avec pour objectif de limiter au maximum notre empreinte écologique, en étant pleinement conscient·e·s des impacts directs de nos activités et de nos modes de vie sur les écosystèmes et leurs habitants, végétaux et animaux.

Le respect du Vivant et sa régénération font véritablement partie de l’essence du biorégionalisme qui, fort de sa radicalité, s’intéresse à la racine du problème. La quasi totalité des activités humaines exterminent le Vivant. Peter Berg et Raymond Dasmann font preuve de lucidité en considérant que la responsabilité des humains dans la destruction des écosystèmes et la dégradation des conditions d’habitabilité de notre planète est indéniable. Il en découle tout naturellement que les réhabitant·e·s ont un rôle clé à jouer dans la restauration écologique des biorégions.

C’est avec la même clairvoyance que Peter Berg et Judy Goldhaft soutiennent, à leur retour du tout premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972, qu’il ne faut rien attendre des dirigeants sur le plan écologique. L’écologie est forcément populaire ! 

Cette décennie 1970 est pour le moins singulière puisqu’elle permet d’entrevoir concrètement en quelques années seulement les limites planétaires et l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies (Rapport Meadows et Sommet de la Terre en 1972, premier et second chocs pétroliers en 1973 et 1979). Et c’est au cours de cette même décennie que naissent de nouvelles philosophies qui vont s’inspirer mutuellement tout en étant étroitement liées : le biorégionalisme donc, mais aussi l’écologie profonde, l’écoféminisme, le municipalisme libertaire (directement issu de l’écologie sociale), l’écologie décoloniale et la permaculture.

L'article fondateur du biorégionalisme : « Réhabiter la Californie » / « Reinhabiting California » - Peter Berg et Raymond Dasmann

« Quelque chose est en train de se passer en Californie. Le phénomène est difficile à qualifier ou à quantifier, pour autant que la plupart de ses acteurs ne souhaitent ni être répertoriés, ni être mis en avant. Mais la chose est claire : un peu partout se déploient des communautés de gens qui tentent de nouvelles manières de vivre sur et avec la Terre. Nous appelons ce phénomène réhabitation, un processus qui implique d’apprendre à « vivre in situ » (living-in-place).

Vivre in situ

Vivre in situ signifie suivre les nécessités et les plaisirs de la vie telles qu’elles se présentent de façon singulière en un lieu particulier, et développer des moyens d’assurer une occupation durable de ce lieu. Une société qui vit in situ s’applique à conserver des échanges équilibrés avec sa région d’accueil au travers de liens multiples entre les vies humaines, les autres entités vivantes et les processus naturels de la planète — saisons, climats, cycles de l’eau — tels qu’ils apparaissent en cet endroit précis. C’est l’antithèse d’une société qui se pense à court terme et « gagne sa vie » (makes a living) au moyen d’une exploitation destructrice de la terre et de la vie. Vivre in situ est une manière d’être immémoriale, qui a été en quelque sorte désintégrée un peu partout dans le monde, tout d’abord, il y a plusieurs millénaires de cela, par l’émergence d’une civilisation fondée sur l’exploitation et, plus profondément encore, durant les deux derniers siècles, par le développement de la civilisation industrielle. Ce concept de vie in situ, toutefois, ne s’oppose pas à l’idée de civilisation – au sens le plus humain du terme. C’est peut-être, tout au contraire, le seul moyen de concevoir une existence vraiment civilisée et durable à la fois.

Au sein de presque toutes les régions de l’Amérique du Nord, dont la majorité de la Californie, les milieux et écosystèmes hébergeant la vie ont été largement affaiblis. La richesse originelle de la diversité biotique a été considérablement réduite et altérée au profit d’un panel étroit de semences et de ressources souvent non originaires des lieux. Un abus chronique a ruiné de larges surfaces d’exploitations agricoles, de forêts et de terres autrefois florissantes. Des déchets de zones industrielles concentrées à l’absurde ont rendu presque invivables un certain nombre de lieux. Mais, indépendamment du mythe du « territoire infini » et de la mentalité conquérante qui ont fini par prédominer sur le continent américain, détruisant les espèces et les peuples indigènes les uns après les autres pour que les envahisseurs puissent gagner leur vie, nous savons maintenant que la perpétuation de l’espèce humaine est intimement liée à la survie des autres formes de vie. Vivre in situ contribue à la possibilité d’une telle continuation. Sa mise en place est devenue une nécessité pour les peuples qui voudraient demeurer au sein d’une région sans la dégrader de façon plus désastreuse encore.

Autrefois, toute la Californie était peuplée de gens qui savaient utiliser ses terres avec modération, de sorte à endommager le moins possible sa capacité à accueillir la vie. La plupart d’entre eux ne sont plus de ce monde. Mais si la destructivité de la société technologique peut être convertie de façon à accueillir et soutenir la vie, alors la terre pourra être réhabitée. Réhabiter signifie apprendre à vivre in situ au sein d’une aire qui a précédemment été perturbée et endommagée par l’exploitation. Cela signifie devenir originaire d’un lieu, devenir conscient des relations écologiques particulières qui opèrent au sein de ce milieu et autour de lui. Cela signifie entreprendre des activités et faire naître des comportements sociaux capables d’enrichir la vie de cet endroit, de restaurer ses systèmes d’accueil de la vie, et d’y établir un mode d’existence (pattern of existence) écologiquement et socialement durable. Dit en peu de mots, cela implique de devenir pleinement vivant, au sein d’un lieu et avec lui. Ce qui implique de demander à faire partie d’une communauté biotique et cesser de se considérer comme son exploitant.

Des informations utiles aux réhabitants peuvent provenir d’une grande variété de sources. Sont utiles les études menées par les autochtones, en particulier les récits d’expérience de ceux qui ont vécu auparavant à cet endroit – aussi bien ceux qui y ont « gagné leur vie » que ceux qui ont vécu in situ. Les réhabitants peuvent se servir de ces informations à leur manière, en inventant de nouvelles façons de vivre et en établissant de nouvelles relations avec la Terre et la vie qui les entoure. Cela pourra aider à déterminer la nature de la biorégion au sein de laquelle ils réapprennent à vivre.

Le processus de réhabitation implique le développement d’une identité biorégionale, quelque chose que la plupart des Nord-Américains ont perdu, ou n’ont jamais eue. Nous définissons le concept de biorégion en un sens différent des provinces biotiques de Dasmann [1] et des provinces biogéographiques d’Udvardy [2]. Notre terme fait référence autant au contexte géographique qu’au contexte cognitif — autant à un lieu qu’aux idées qui ont été développées à propos des manières de vivre en ce lieu. Au sein d’une biorégion, on trouve une uniformité de conditions d’influence du vivant ; conditions qui à leur tour influencent l’occupation humaine.

Une biorégion peut initialement être déterminée par le biais de la climatologie, de la géomorphologie, de la géographie animale et végétale, de l’histoire naturelle et d’autres sciences naturelles encore. Cependant, ce sont les gens qui y vivent, avec leur capacité à reconnaître les réalités du vivre in situ qui s’y pratique, qui peuvent le mieux définir les limites d’une biorégion. Toute vie sur la Terre est interconnectée par un ensemble de moyens assez évidents pour certains, et largement inconnus pour beaucoup d’autres. Entre les êtres vivants et les facteurs qui les influencent, il existe toutefois une résonance particulière, spécifique à chaque endroit de la planète. Découvrir et relever cette résonance est un moyen de décrire une biorégion.

Les réalités d’une biorégion sont, dans l’ensemble, assez évidentes. Personne ne confondrait le désert des Mojaves avec la fertile Vallée Centrale de Californie, ou les terres semi-arides du Grand Bassin et la côte californienne. Entre les biorégions majeures, les différences sont suffisamment marquées pour que les peuples n’essayent pas de vivre sur les côtes de l’Oregon comme ils le feraient dans le désert de Sonora. Mais les gradations internes sont nombreuses. Le maquis (chaparral) des contreforts du sud de la Californie ne se distingue pas franchement de celui des chaînes côtières du nord de l’État. Les habitudes et comportements des habitants de ces deux régions ainsi que les grands centres urbains auxquels ils sont reliés (San Francisco et Los Angeles) sont toutefois différents, si bien que cela peut produire différentes manières de vivre sur ces terres.

La Californie septentrionale est entourée de montagnes au nord, à l’est et au sud, et s’étend sur une bonne distance le long de l’Océan Pacifique à l’ouest. Parce que les frontières biorégionales dépendent aussi en partie des comportements humains, elles ne peuvent pas être clairement cartographiées. Ces comportements, toutefois, persistent depuis des temps préhistoriques. La région est séparée de la Californie méridionale par la barrière que forment les Monts Tehachapi et leur extension au travers de la chaîne montagneuse des Transverse Ranges jusqu’au Point Conception côté mer. Et si, dans une certaine mesure, la faune et la flore changent de part et d’autre de cette frontière, ce sont surtout les comportements humains qui diffèrent. À l’est, la région est définie par la Sierra Nevada, chaîne montagneuse qui stoppe les pluies et donne à la biorégion sèche du Nevada son caractère. Au nord, la chaîne volcanique des Cascades et les anciennes formations géologiques des Monts Klamath séparent la biorégion de l’Oregon. Le long de la côte, les frontières sont plus floues, même s’il semble qu’une ligne se dessine à la limite nord de la forêt côtière de Redwood, sur le fleuve Chetco.

Du point de vue biologique, la province biotique californienne, qui forme le cœur de la biorégion, est non seulement unique mais aussi incroyablement riche – un véritable refuge pour nombre d’espèces cachées, rempli de formes animales et végétales endémiques. C’est une région au climat méditerranéen tout à fait unique en Amérique du Nord, à la fois un lieu où peuvent survivre des espèces autrefois omniprésentes et un territoire où ont évolué d’autres formes de vie distinctes. Du point de vue anthropologique, il s’agit aussi d’un cas unique, d’un refuge pour une grande variété de non-agriculteurs au sein d’un continent où l’agriculture est devenue prépondérante.

Durant le siècle et demi pendant lequel une société d’envahisseurs a occupé la Californie du Nord, les géomètres, à travers la division des terres qu’ils réalisèrent, ont donné un certain sens au lieu. Nous en savons plus à propos du cadastre qu’à propos de la vie qui se meut sur, sous et au travers des terres cadastrées. Les gens sont bombardés d’informations à propos du prix monétaire des choses, mais ils n’apprennent que rarement quoi que ce soit sur leur coût planétaire réel. On les encourage à mesurer la dimension des choses sans rien leur apprendre de leur place dans la continuité de la vie biorégionale.

Au sein de la biorégion se trouve un bassin-versant majeur, celui du système hydrologique du Sacramento-San Joaquin, qui draine les eaux de toute la Sierra Nevada, des chaînes montagneuses côtières des Cascades, pour s’écouler par les larges plaines de la Vallée Centrale. Sur les côtes, de plus petits bassins-versants sont significatifs : ceux des fleuves Salinas, Russian, Eel, Mad, Klamath et Smith. Le fleuve Klamath est atypique puisqu’il draine les eaux d’une aire géographique appartenant à une biorégion différente. C’est également le cas de la rivière Pit, qui rejoint le Sacramento. Ces exceptions mises à part, lire les différents systèmes hydrologiques aide à définir et caractériser la vie d’une même biorégion, de même que les caractéristiques des bassins-versants font apparaître les nécessités que ceux qui voudraient vivre in situ doivent s’employer à reconnaître.

Notre vraie « période de découverte » vient seulement de débuter. La biorégion est à peine reconnue dans les travaux sur les interrelations entre les systèmes de vie qui la composent. Savoir si nous pourrons continuer à vivre ici est toujours un mystère angoissant. Combien de personnes une biorégion peut-elle supporter sans s’auto-détruire encore plus ? Quels genres d’activité devraient être encouragés ? Lesquels sont trop désastreux pour être maintenus ? Comment les gens pourraient-ils s’approprier les critères biorégionaux de manière à ressentir ces derniers comme des règles existant pour le bien-être de tous plutôt que comme un ensemble contraignant de lois imposées ?

Les bassins-versants naturels pourraient être reconnus comme les éléments autour desquels les communautés s’organisent en premier lieu. Le réseau des sources, des ruisseaux et des rivières s’écoulant dans une zone spécifique exerce une influence de premier ordre sur toute vie non humaine à un endroit donné ; c’est l’empreinte la plus fondamentale de toute vie locale. Les inondations et les sécheresses de la Californie du Nord nous rappellent que les bassins-versants affectent la vie humaine elle aussi, mais leur influence globale est plus discrète et diffuse. Les communautés indigènes s’étaient installées à proximité des ressources, et les limites entre tribus étaient souvent définies par les limites des bassins-versants. Les campements des colons ont suivi le même modèle, expropriant souvent les groupes indigènes dans le but de protéger leur propre accès à l’eau.

Ainsi, les communautés réhabitantes devraient prioritairement mener des actions pour bien définir les bassins-versants locaux, restreindre la croissance et le développement humain pour qu’il corresponde aux limites des ressources en eau, veiller à la conservation de ces réserves et à la restauration du libre cours des affluents qui ont été bloqués et au nettoyage de ceux qui ont été pollués, ou encore mener des recherches sur les interactions avec le système hydrologique plus large. En tout cela, les réhabitants pourraient à la fois se centrer sur les bassins-versants et en être les responsables.

De tout temps, les peuples ont été des membres à part entière de la vie biorégionale. La plupart du temps, ils avaient un effet positif sur les autres formes de vie qui partageaient ces lieux. En décrivant de quelle façon pas moins de 500 « républiques » tribales distinctes ont pu vivre côte à côte en Californie pendant plus de 15 000 ans, sans hostilité sérieuse ni perturbation des écosystèmes environnants, Jack Forbes mit à jour, en 1971, une différence majeure entre habitants et envahisseurs.

« Les peuples autochtones de Californie […] ne se considéraient pas vraiment comme des individus autonomes et indépendants. Ils s’envisageaient comme étant profondément liés avec d’autres gens (et avec les formes environnantes de vies non humaines) au sein d’un réseau vivant interconnecté et complexe, c’est-à-dire, une vraie communauté […]. Toutes les créatures et les choses étaient […] frères et sœurs. De cette idée provint le principe fondamental de non-exploitation, de respect et de révérence pour toutes les créatures, un principe extrêmement hostile au type de développement économique, mortifère pour les mœurs humaines, que conçoivent typiquement les sociétés modernes. (Je pense que c’est ce principe plus que tout autre qui permit de conserver la Californie dans son état naturel pendant plus de 15 000 ans ; et la violation de ce même principe qui, en un siècle et demi, a mené la Californie au seuil de la destruction.) » [3]

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de restaurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourriture et de stabilité de la biodiversité. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre appartenance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère. Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des changements fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

Économies

D’un point de vue biologique, la Californie du Nord est riche – peut-être la plus riche de toutes les biorégions nord-américaines. Son économie actuelle est globalement fondée sur l’exploitation de cette richesse dans le but de générer un maximum de profits à court terme. Les systèmes naturels qui créent les conditions d’abondance de la région existent à la fois sur le court et le long terme. Il y a de l’eau, et il y en a à nouveau chaque année. Il y a des sols riches, mais il a fallu des milliers d’années pour qu’ils se forment. Il y a toujours de grandes forêts, mais elles ont eu besoin de centaines d’années pour pousser ; et aucune ne s’est vraiment remise des coupes rases qui ont eu lieu au cours des siècles.

Des processus économiques réhabitants rechercheraient le nécessaire plutôt que le profit. Ils pourraient être plus efficacement nommés processus écologiques, puisque leur objet est de maintenir une continuité dans les systèmes vivants naturels, tout en en profitant et en les utilisant pour vivre. La plupart des formes actuelles d’activités économiques qui dépendent des conditions biorégionales naturelles pourraient se poursuivre au sein d’une société réhabitante, mais elles devraient se transformer pour pouvoir prendre en compte les variations entre court et long terme au sein de leurs cycles.

La Vallée Centrale californienne est devenue un des centres nourriciers de la planète. L’agriculture s’y développe aujourd’hui à une échelle gigantesque ; des milliers de km2 y sont cultivés en permanence pour produire plusieurs récoltes annuelles. Des équipements lourds, alimentés par les énergies fossiles, sont présents à toutes les étapes du processus, et de plus en plus d’engrais artificiels sont utilisés. C’est une région naturellement productive. La Californie du Nord possède un climat tempéré, un apport constant en eau et ses terres comptent parmi les plus riches de toute l’Amérique du Nord. Mais une agriculture à une telle échelle est intenable sur le long terme. Le prix des énergies fossiles et des engrais chimiques ne fera qu’augmenter, tandis que les sols s’épuiseront progressivement.

Nous avons besoin d’une redistribution massive des terres au profit d’exploitations agricoles plus petites. Celles-ci tableraient sur la valeur nutritionnelle des cultures et sur la préservation des sols, développant des alternatives aux énergies fossiles et des systèmes de distribution de plus petite échelle. Plus de gens seraient impliqués, créant de fait des emplois et allégeant ainsi la population à charge pour les villes.

Il faut permettre aux forêts de se reconstruire. La coupe rase ruine la capacité des forêts à se constituer comme des ressources renouvelables sur le long terme. Une reforestation organisée selon les bassins-versants ainsi que des projets de restauration des ruisseaux sont nécessaires partout où l’exploitation forestière moderne a été entreprise. La coupe des arbres telle que pratiquée aujourd’hui génère de nombreux déchets ; sommets, souches et branches sont laissés sur place, tandis que les troncs sont transportés pour être transformés et revendus dans la région. Les artisans capables d’utiliser toutes les parties de l’arbre devraient être employés pour faire un usage optimal des matières tout en favorisant l’emploi d’un plus grand nombre de personnes dans la région. Les pêcheries doivent être protégées avec précaution. Elles fournissent un support de vie à long terme riche en protéines si elles sont bien utilisées, mais peuvent épuiser rapidement ces « niches » biologiques si elles sont mal gérées. Pêcher du poisson et prendre soin des pêcheries sont à voir comme les deux faces d’une même pièce.

La conscience réhabitante peut multiplier les opportunités d’emplois au sein d’une biorégion. Les nouveaux voisinages réhabitants pourraient être fondés sur l’échange d’informations, le projet coopératif, la mise en place de réseaux de travail ou d’outils intra et inter-biorégionaux, et la constitution de médias axés sur la biorégion et ses bassins-versants plutôt que sur la ville et la consommation. Une telle configuration pourrait remplacer la centralisation actuelle par une multitude de décentralisations. L’objectif d’une restauration et d’une conservation des bassins-versants, des sols et des espèces originaires d’un lieu invite à la création de nombreux emplois, ne serait-ce que pour réparer les dégâts biorégionaux déjà perpétués par la société des envahisseurs.

Politiques

Depuis l’occupation espagnole, c’est toute une succession de super-identités aliénantes qui a progressivement obscurci la singularité de la vie biorégionale de la Californie du Nord. La spécificité du lieu dans lequel il était question de vivre n’était tout simplement pas perçue.

Premièrement, l’endroit fut considéré comme une région de la Nouvelle-Espagne : une dénomination qui ne dit rien de ce lieu précis et qui agglomérait une douzaine de biorégions tout autour des Caraïbes n’ayant que peu de rapport avec elle. Ensuite, « California », qui était le nom donné à une île dans une fiction écrite au 16e siècle par un écrivain espagnol, devint le nom que l’on colla un peu grossièrement à la biorégion quand elle fut rattachée à la partie océanique de la Nouvelle-Espagne. Le territoire de l’« Alta California » s’approcha alors approximativement de la biorégion, mais par accident uniquement : les Espagnols ne cherchaient qu’à témoigner de leur avancée au-delà la « Baja California ». Par la suite, vers le début du 19e siècle, le Mexique la posséda (comme la moitié de la partie ouest des États-Unis), mais, dès le milieu de ce siècle, presque toute la biorégion fut incluse dans la partie annexée aux territoires mexicains appelés « California ». Or, ceux-ci englobaient un ensemble de régions totalement étrangères les unes aux autres, dont le désert du Grand Bassin et d’autres zones sèches similaires au bas des Monts Tehachapi.

La biorégion qui existe au sein de ce qui est communément appelé Californie du Nord peut maintenant être considérée comme un tout séparé du reste et, dans une optique de réhabitation du lieu, devrait avoir sa propre identité politique. Il ne fait aucun doute que tant qu’elle appartiendra à un État plus grand, elle sera sujette aux revendications que la Californie du Sud avance sur des questions qui concernent son propre bassin-versant. Sa rivière coule déjà dans les canalisations de Los Angeles ; le contrôle des usages dans la Vallée Centrale est lui-même chapeauté par des réglementations qui servent les intérêts des monocultures du Sud. Or, d’un point de vue réhabitant, ces deux faits représentent des menaces mortelles pour la biorégion. Les élections de ces dernières décennies ont fait apparaître de grandes divergences d’opinion entre le Nord et le Sud de la Californie. Il y a fort à parier que cette différence s’accentuera avec les années, augmentant encore la pression des masses de population du Sud sur les problématiques biorégionales vitales du Nord.

La biorégion ne peut pas être traitée au regard de ses propres processus de continuité de la vie tant qu’elle n’est qu’une partie d’un ensemble plus large qui l’administre et la gouverne. Elle doit devenir un État séparé. En tant qu’État distinct, la biorégion pourrait reconfigurer ses frontières politiques pour créer des gouvernements à la fois liés à des bassins-versants précis et en même temps appropriés au maintien des lieux de vie locaux. Les conflits entre les villes et le pays pourraient être résolus sur des bases biorégionales. Peut-être que le plus grand avantage d’un État séparé serait la possibilité de proclamer l’existence d’un lieu au sein duquel chacun serait considéré comme membre d’une espèce partageant la planète avec toutes les autres. »

La version de ce texte – la troisième, ici traduite par Mathias Rollot – fut publiée en 1978 dans le premier ouvrage édité par la Planet Drum Foundation de Peter Berg et Judy Goldhaft en 1978, Reinhabiting a separate country : A bioregional anthology of Northern California. Selon Mathias Rollot, il s’agit là du résultat le plus abouti de la collaboration entre Berg et Dasmann
La toute première version signée Peter Berg
« Strategies for reinhabiting the Northern California bioregion » date de 1976 et fut publiée dans la revue Seriatim. Journal of Ecotopia. Cette première version est disponible dans un recueil des principaux écrits de Peter Berg. [4]
Ré-écrit partiellement avec Raymond Dasmann, une deuxième version de ce même texte parut l’année suivante dans la revue à la renommée internationale The Ecologist.[5] 
Enfin, une quatrième et dernière version, plus courte, parut tardivement dans plusieurs autres publications. [6]

[1] Raymond F. Dasmann, A system for defining and classifying natural regions for purposes of conservation, International Union for Conservation of Nature and Natural Resources (IUCN), n° 7, Morges (Suisse), 1973.

[2] Miklos D.F. Udvardy, A classification of the biogeographical provinces of the world, International Union for Conservation of Nature and Natural Resources (IUCN), n° 18, Morges (Suisse), 1975.

[3] Jack D. Forbes, The native American experience in California history, California Historical Quarterly, L, 3, septembre 1971, p. 234-242.

[4] Peter Berg, The biosphere and the bioregion, Cheryll Glotfelty & Eve Quesnel (eds.), Londres, Routledge, 2015, p. 263-270.

[5] Reinhabiting California, The Ecologist, VII, 10, décembre 1977.

[6] Dont Van Andruss et al. (eds.), HOME ! A bioregional reader, Philadelphie, New Society Publishers, 1990, p. 35-38 ; David Pepper, Environmentalism : Critical concepts, Londres, Routledge, vol. 2, 2003, p. 231-236

Un moyen de résister au Système et d'agréger les autres luttes !

Idéologie politique éco-anarchiste, biocentrée – animaliste et antispéciste -, anticapitaliste et antinationaliste, le biorégionalisme a clairement pour vocation de résister au Système dominant actuel – écocidaire, anthropocentré, spéciste, capitaliste et nationaliste. Et ses liens étroits avec d’autres courants écologistes essentiels – l’écologie profonde, l’écoféminisme, le décroissantisme et l’écologie décoloniale – renforcent cette opposition viscérale aux autres dimensions caractérisant le Système : greenwashing, patriarcat, religion de la croissance infinie et colonialisme latent (l’expression « France-Afrique » est très révélatrice tout comme la poursuite de logiques d’interventionisme, voire d’ingérence). Dans Qu’est-ce qu’une biorégion ? Mathias Rollot insiste clairement sur ce point :
« La théorie biorégionaliste n’est utile qu’à celles et ceux pour qui elle peut servir d’antidote à un mode de vie empoisonné et empoisonnant. L’idée de biorégion ne peut servir qu’à celles et ceux pour qui elle pourrait être transformatrice. Le biorégionalisme a été conçu comme une modalité de résistance, un outil de lutte pour les sociétés occidentales modernes, en réponse à elles et à leur modes de fonctionnement. C’est nous, les habitants de ces sociétés modernes, qu’il confronte. »

Parallèlement à cet éclairage judicieux, Mathias Rollot partage sa préoccupation de voir la biorégion récupérée à son tour par le Système.

« Comment faire en sorte de construire un modèle qui ne soit pas récupérable trop facilement par le système ? Là aussi, je crois que nous avons des choses à inventer, une stratégie à monter, de toute urgence même, si on ne veut pas que l’idée de biorégion soit à son tour vidée de son sens par le système économique et politique actuel. Peut-être que tant que cette idée sert à relier vraiment celles et ceux qui luttent et vivent de façon biorégionale (et qui ne revendiquent pas forcément le terme d’ailleurs), avec celles et ceux qui participent à la diffusion des idées et des histoires biorégionales, alors la récupération est limitée. Car si on peut très facilement vider de sens un concept, on ne récupère peut-être que plus difficilement une communauté de personnes en lutte.
C’est en tout cas quelque chose de central pour moi aujourd’hui que de savoir comment je peux accompagner l’amplification du biorégionalisme en France, sans faire le jeu d’un système qui va forcément chercher à le récupérer. Autrement dit, que dire et que faire pour en limiter la récupérabilité systémique, tout en favorisant sa diffusion populaire ? »

La même préoccupation fort légitime – au vu du malin plaisir que prend le Système à dévoyer le sens de concepts nobles comme ce fut le cas récemment pour le Revenu universel ou la résilience – anime également les trois membres du Réseau des Territorialistes. D’autant plus que cette récupération semble avoir déjà commencé.

« Il convient donc d’être très méfiant à l’endroit de propositions biorégionales qui, comme nous l’avons vu, restent enceintes dans les cadres et règles des institutions d’État, particulièrement dans des déclinaisons locales pleinement compatibles avec la rationalité instrumentale et ses visées de développement. En France, on trouve un parfait exemple de ce faux-semblant avec l’appellation biovallée drômoise, utilisant pourtant la racine grecque « forme de vie » et adossant son projet à l’écosystème d’une vallée. Mais si, comme l’annonçait la gestion du fleuve Arno en Toscane, l’objectif de départ était de restaurer l’écosystème très pollué de la rivière de la Drôme, cette expérience est vite apparue, tel en Aquitaine, comme velléité institutionnelle, et ce par le véhicule de trois communautés de communes (Val de Drôme, Crestois et Pays de Saillans, Diois). Aujourd’hui, le principe d’action de l’association interterritoriale est la labellisation à des fins économiques. La biovallée devient donc une marque, sous couvert de durabilité : « L’association permet à ses adhérents de revendiquer leur appartenance à Biovallée. Ils peuvent utiliser la marque pour présenter leur structure. En contrepartie, ils s’engagent à « faire leur part » pour atteindre les objectifs de Biovallée : diviser par deux les consommations d’énergie, couvrir nos besoins par la production d’énergie renouvelable, acheter local, développer les CDI, utiliser des fonds éthiques…». La structure gestionnaire a ce faisant accédé à plusieurs subventions d’envergure, comme celle octroyée en 2018 dans le cadre du concours Territoires innovants (20 millions d’euros) porté par le gouvernement central. Et la biovallée devient institution, au point que l’on parle de la
« Communauté de communes du Val de Drôme en biovallée » pour alors co-construire « une métropole rurale responsable, innovante et alternative
» (site internet de la CCVD).

Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme dénoncent aussi le projet aquitain de biorégion portée entre 2012 et 2015 par le Département de la Gironde, en collaboration avec le Pays Médoc, le Parc Naturel régional des Landes de Gascogne, le Syndicat Mixte de l’Aire Métropolitaine bordelaise.

« Si le projet semble être valorisable et se présente comme une « avancée écologique », il n’est pourtant pas possible de parler de réussite – mais bien plutôt de contre-exemple, voire de duperie. Ne nous y trompons pas, dans la veine qui plus est très affadie de la pensée territorialiste italienne, cette démarche dite de recherche s’est finalement révélée être un projet technico-institutionnel de gestion territoriale, au service d’une adaptation aux logiques infrastructurelles de l’urbanisation métropolitaine incontrôlée. À travers la mise en place de cette stratégie dite nouvelle du territoire, l’objectif a bien été une valorisation économique et sociale du « patrimoine naturel » aquitain. Et sous couvert d’incarner et d’ancrer les grands enjeux européens de protection du territoire et de restauration des ressources, les résultats n’ont été que dans le sens du développement capitalistique de la région, ne permettant d’aucune manière d’accéder à plus de résilience et plus encore à une quelconque autonomie. »

Si le biorégionalisme est donc bien un moyen de résister au Système, Mathias Rollot rappelle également que cette idéologie politique pourrait également agréger les autres luttes écologiques, sociales et culturelles qui pourraient se rencontrer sur le socle commun de la biorégion.

« Peut-être que le plus grand espoir du mouvement biorégionaliste réside dans son association avec d’autres mouvements. Le biorégionalisme accompagne les transformations culturelles ancrées en un lieu. La biorégion pourrait devenir l’arène politique où développer la résistance à toutes les formes d’exploitations écologiques et sociales. » Doug Aberley – Interpreting Bioregionalism: A story from many voices – dans Bioregionalism de Michael Vincent McGinnis – 1999

L’une des préoccupations majeures de L’Archipel du Vivant est d’associer – à cette nécessaire et vitale révolution au service du Vivant – les différentes catégories de populations déjà victimisées aujourd’hui dans notre société si injuste socialement et si peu démocratique : les plus défavorisé·e·s au premier rang desquel·le·s les sans-abris, les personnes vivant dans nos quartiers « sensibles », les personnes en situation de handicap et les personnes dont l’orientation sexuelle n’est pas conforme au modèle hétéro, sans oublier les migrant·e·s et les personnes en situation « irrégulière ». Les sensibiliser à l’extrême gravité de la situation écologique et à l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle – déjà engagé, mais imminent dans son stade ultime – n’est pas chose aisée. Car ces personnes souffrent au quotidien de mépris et d’indifférence, de racisme, d’insultes et de violence gratuite, y compris en provenance des forces de l’ordre. Elles vivent pour une grande majorité dans l’enfer urbain ou métropolitain et sont loin d’imaginer une vie meilleure hors de leur environnement bétonné et bitumé. Hélas, ce sont ces mêmes personnes – déjà malmenées aujourd’hui – qui risquent fort de souffrir le plus demain lorsque les choses vont irrémédiablement basculer…

Source : Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale – Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant, 2020

La biorégion est incompatible avec l’État-nation et la métropolisation !

Éco-anarchiste, le biorégionalisme originel est inévitablement contraire à l’idée même d’État, cette forme de pouvoir hiérarchique qui s’exerce du haut vers le bas, par des personnes non représentatives de la population et qui servent davantage la finance et l’économie ou leurs propres intérêts. Les « grandes démocraties » du monde n’ont absolument rien de démocratique. « Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » a été confisqué par une élite à qui le suffrage universel sert de blanc seing.

« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. »
Montesquieu, L’Esprit des lois

Pour Mathias Rollot, la réalité géographique d’une biorégion ne correspond pas aux frontières politiques artificielles et arbitraires qui délimitent les États-nations.
« La biorégion est un autre paradigme que celui de l’État. Le biorégionalisme ne fait pas comme s’il n’était pas là, mais c’est vrai qu’il en parle peu. Car je crois en fait que ce modèle théorique cherche au fond à mettre en lumière la possibilité, voire l’intérêt, d’une société sans État. […] La biorégion n’est assurément pas une limite administrative supplémentaire, ni une réorganisation interne de l’État-nation en bassins-versants. Les biorégions seraient d’ailleurs pour bon nombre d’entre elles, à cheval sur plusieurs États-nations actuels. La meilleure chose à faire pour solidifier ce point serait sans doute de recouper les objectifs biorégionalistes avec une théorie politique, celle de Bookchin ou une autre. C’est un chantier qui reste largement à construire. »

Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme soulignent la même incompatibilité de la biorégion avec l’autorité centrale de l’État-nation. Les trois membres du Réseau français des Territorialistes y associent une seconde opposition tout aussi évidente, celle entre biorégionalisme et métropolisation. À leurs yeux, la principale ambition politique de la biorégion est bien de « faire sécession des États-nations et de la métropolisation par relocalisation de la communauté géographique ».
« La biorégion est en fait aux antipodes des institutions nationalistes et de leurs desseins capitalistes, des déclinaisons administratives territorialisées et de leur développementalisme soit disant de plus en plus écologiquement rationnel. Pour les auteur·ice·s nord-américain·e·s, cette dimension sécessionniste ne fait aucun doute. […] Si dans la pensée biorégionaliste, la sécession première est celle des chaines de dépendance des États-nations, ainsi que de leurs duplications sous la forme de baronnies territorialisées, cela ne peut se faire sans consubstantiellement rompre avec leurs premières constructions : les métropoles. La biorégion fait en théorie d’une pierre deux coups, considérant la dualité historique : remiser les découpages et les modes d’intervention de la souveraineté nationale et de l’autorité centrale, et à cette fin démanteler les grandes villes, creuset des hiérarchies nécessaires à la polarisation marchande et au capitalisme infrastructurel. La fragmentation, clairement inscrite dans la pensée biorégionaliste passe alors par le débranchement métropolitain. »

Enseignant à l’Université Lumière Lyon 2 et à Science Po Lyon, Guillaume Faburel a consacré deux livres à « l’urbanisation de la Terre » et à la « métropolisation du monde ». Dans Les métropoles barbares et Pour en finir avec les grandes villes, il dénonce le gouffre écologique énergivore et écocidaire qu’elles constituent. Elles sont pour lui le reflet de l’artificialité totalement hors-sol de notre civilisation thermo-industrielle et à l’origine même de l’anéantissement du vivant. BTP, transports, numérique et communications… l’empreinte écologique des villes est délétère, mortifère : extraction abusive et sans limites des ressources, sur-consommation énergétique, destruction des habitats naturels et artificialisation des sols, émission de gaz à effet de serre et donc pollution atmosphérique, production massive et hyper consommation, sans oublier évidemment tous les déchets associés… Dans son réquisitoire, l’initiateur de la Société écologique du post-urbain présente, preuves à l’appui, les grandes villes et métropoles comme le berceau de l’explosion des inégalité sociales : gentrification, ségrégation, éviction des plus démuni·e·s. Et le pire, c’est que le vernis éco-responsable – greenwashing pervers – est souvent à l’origine même du problème. La biorégion vise la préservation du Vivant et l’abolition des rapports de domination du fait de son essence anarchiste. Elle semble donc parfaitement antynomique avec l’urbain/métropolitain, moteur principal de l’impact écologique catastrophique et épicentre des inégalités.

Biocentrée, le biorégionalisme nord-américain est viscéralement étranger à la délétère artificialisation inhérente à l’urbanisation du monde et à la métropolisation de la Terre, toutes deux totalement déconnectées du Vivant puisqu’elles croissent en le détruisant.

La fin des métropoles et de l'État-nation... le début des biorégions !

Tribune

La biorégion urbaine ou comment dévoyer une idée noble…

Comment diable le concept de biorégion urbaine a-t-il pu bien germer dans l’esprit de l’urbaniste italien Alberto Magnaghi ? Par quel coup de baguette magique a-t-il pu imaginer associer une idée aussi ancrée dans le Vivant, autant connectée à la grande toile de la vie, avec la dimension profondément artificielle et totalement déracinée de la ville – et a fortiori de la métropole – dont le développement se fait justement à l’insu des différentes formes de vie qui peuplent la Terre ?
L’éloignement géographique entre le berceau de la culture latine et le continent nord-américain est-il la raison principale d’une telle perversion ? Peu probable ! Lancé par Guiseppe Morretti, le mouvement biorégionaliste italien historique est très fidèle aux racines nord-américaines du courant. Morretti était très proche des biorégionalistes nord-américain·e·s et notamment de Peter Berg.

Dans la tribune Aux origines de la biorégion. Des biorégionalistes américains aux territorialistes italiens (publiée sur le site Métropolitiques le 22 octobre 2018), Mathias Rollot expose les 3 principales raisons pour lesquelles il considère que le courant italien d’Alberto Magnaghi a dévoyé le biorégionalisme originel :

1. Alberto Magnaghi ne s’appuie sur aucun biorégionaliste historique ni américain, ni italien (Berg et Sale sont à peine cités) pour proposer une acception « territorialiste » de la biorégion et présente de manière erronée le biorégionalisme comme une poursuite des travaux de la Regional Planning Association of America alors même que le biorégionalisme américain s’est bien au contraire attelé à une critique fondée sur les limites du planning conventionnel en se différenciant singulièrement des approches historiques de « l’urban planning », du « regional planning », de « l’infrastructural planning » et du « resource planning ».

2. La notion de biorégion « est hyperbolée, voire floutée, au sein du texte de Magnaghi, de sorte qu’il est très difficile de situer quelle définition claire en proposerait le chercheur italien. À de nombreux égards, l’auteur ne semble voir dans le terme de « biorégion » qu’un moyen efficace de reformuler ses théories précédentes sur « le projet local ». … J’ose croire qu’on n’appellera pas « biorégionaliste » sans y réfléchir à deux fois la pensée d’Alberto Magnaghi après ces constats. »

3. « Le problème devient plus gênant lorsqu’il brouille les cartes sur l’idéologie biorégionale elle-même. L’expression « biorégion urbaine » n’est-elle pas, à ce sujet, un contresens complet ? Si le terme de « biorégion » désignait originellement à la fois un contexte naturel et les idées humaines à son propos, s’il caractérisait bien un ensemble fait d’humains et de non-humains, de bassins versants et d’établissements humains, de populations animales et d’histoires culturelles, d’ensembles végétaux et de pratiques artistiques, de types de sols et d’imaginaires communs, de climats et de symboliques signifiantes, que peut bien vouloir dire l’expression « biorégion urbaine » ? Faudrait-il alors parler, en revers, de « biorégions rurales » ? Quel sens tout cela peut-il bien avoir à l’heure où toute la planète a été anthropisée, et où les enjeux contemporains de notre œkoumène résident plutôt dans la reconnexion entre ville et campagne ? On sent bien ici à quel point un écart pourrait apparaître entre les théories territorialistes italiennes et leurs préoccupations anthropiques, et les objectifs biorégionalistes éco-anarchistes originels»

Dans Biorégion. Pour une écologie politique vivante (Carnet de la décroissance n°4, été 2021), Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme soulignent également l’incompatibilité évidente de la vision d’Alberto Magnaghi avec l’essence du biorégionalisme originel : « Utilisant la biorégion comme reformulation du « projet local », Magnaghi défend une approche simultanément urbano-centrée (comme en atteste le titre de son ouvrage) et finalement par les savoirs mobilisés assez compatibles avec les institutions en place, à contresens des théories biorégionalistes éco-anarchistes d’Amérique du Nord. Par exemple, Magnaghi évoque « le processus de planification qui précède la mise en œuvre des savoirs et des cultures du territoire comme “éléments constructifs” des scénarios stratégiques et des projets pour la biorégion urbaine » (2014 : 101). Il s’agit là d’une vision somme toute assez rationaliste des processus de création de mondes soutenables, en phase avec les cultures politiques de l’ architecture dont le mouvement est très largement porteur. »

Biorégionalisme original/historique,
éco-anarchiste et biocentré

C’est l’école nord-américaine initiée par Allen Van Newkirk, Peter Berg, Raymond Dasmann et Judy Goldhaft !

 

Pour en savoir plus...

 

Approche

« naturaliste » nord-américaine

holistique : artistique, scientifique et éco-anarchiste
Liens étroits avec le biocentrisme, la Permaculture, l’écologie sociale et le municipalisme libertaire, l’écoféminisme, l’écologie profonde, la décroissance…

 

Aception de la biorégion

Écologiste

 

Le cœur de la biorégion
 le vivant et les réhabitant·e·s surtout en milieu rural

 

Définition de la biorégion

Lieu de vie plus qu’humain, partagé et co-habité.
Basin versant, territoire fluvial cartographiable + récit collectif / projet politique

 

Origines
1975 – Allen Van Newkirk (chercheur canadien) auteur de la toute première définition

1978 – Peter Berg (éco-anarchiste américain) et Raymond Dasmann (scientifique américain)

États-Unis et Canada
Biorégionalistes : Peter Berg, Raymond Dasmann, Allen Van Newkirk, Gary Snyder, Judy Goldhaft, Kirkpatrick Sale, Doug Aberley, Christopher et Judith Plant, Van Andruss, Eelanor Wright, Michael Vincent McGinnis, Robert L.Thayer Jr, Mike Carr, T. Lynch, K. Armbruster, Cheryll Glotfelty, Eve Quesnel
Organisation : Planet Drum Fondation

Média : Raise the Stakes!

Italie
Biorégionalistes : Giuseppe Moretti, Fabrizio Zani, G. Zavalloni, E. Addey

Organisation : Rete Bioregionale Italiana

Médias : AAM Terra Nuova (années 1980), Lato Selvatico (1992 fondée par Giuseppe Moretti)

France et Belgique

Biorégionalistes : Mathias Rollot, Marin Schaffner, Guillaume Faburel, Maële Giard, Frédéric Dufoing
Organisations : Réseau français des Territorialistes, L’Archipel du Vivant

Démarche associative et politique : Les États Généraux du Post-Urbain

 

Ouvrage fondateur

Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – sous la direction de Peter Berg – Planet Drum Fondation – 1978

Biorégionalisme urbain,
territorialiste et anthropocentré

C’est l’école italienne d’Alberto Magnaghi.

 
 

Pour en savoir plus...

 

Approche

« culturaliste » italien

urbanistique issue de la planification territoriale

 

Aception de la biorégion

Urbaniste et Territorialiste (planification territoriale)

 

Le cœur de la biorégion

la ville, l’urbain

 

Définition de la « biorégion urbaine »

« Ensemble de systèmes territoriaux fortement transformés par l’homme, caractérisés par la présence d’une pluralité de centres urbains et ruraux organisés en systèmes réticulaires et non hiéarchisés, en équilibre dynamique avec leur milieu ambiant. »

 

Origines
2000 – Alberto Magnaghi (enseignant-chercheur en planification territoriale)

Italie
Biorégionalistes : Alberto Managhi, Claudio Saragosa, David Fanfani, Daniela Poli

Organisation : Laboratorio di Progettazione Ecologica degli Insediamenti (LAPEI)

France

Biorégionalistes : Agnès Sinaï, Yves Cochet, Benoit Thévard
Organisation : Institut Momentum

Avec le petit bémol qu’ils évoquent un exode urbain massif et qu’il s’agit d’une commande du Think Tank « Forum Vies Mobiles » de la SNCF

 

 

Ouvrage fondateur

Il progetto locale – Alberto Magnaghi – Bollati Boringhieri – 2000

Le courant territorialiste italien d’Alberto Magnaghi a clairement détourné/dévoyé/perverti le concept de biorégion de son essence originelle en l’associant à l’urbain et en faisant un outil de planification territoriale.

Une expérience inspirante : Cascadia !

« Des montagnes à l’océan s’étend une grande terre verte. Sur le pourtour nord-est du Pacifique, la terre et la mer s’entrelacent en grands flux cycliques. Cette terre est un cadeau de la mer. Cascadia est un lieu de vie, une biorégion, avec ses caractéristiques et son contexte distincts. L’eau est la voix de ce lieu. Cascadia, ça dit bien ce que ça veut dire : Cascadia au sens de cascades ! Cascadia est le nom des courants d’eaux vives qui dévalent les pentes des montagnes du coin. Les cascades et les chutes d’eau sont la signature de cette région, assemblant la terre & la mer & le ciel en des cycles de vie infinis. L’eau symbolise les dynamiques qui s’écoulent ensemble à de nombreux niveaux pour former la Cascadia : les forces tectoniques qui s’appliquent sur les terres immergées et la croûte terrestre, les motifs climatiques, les courants marins, les bassins-versants, les cycles glaciaires, l’écologie de la faune et de la flore… Ces synergies naturelles se reflètent dans les différentes formes sociales et culturelles natives du lieu, les fonctionnements des colonies occidentales, autant que dans la société et l’usage des sols actuels – c’est d’une histoire et d’une destinée commune dont il s’agit. La convergence de tous ces calques supérieurs et inférieurs fait de la Cascadia une biorégion distincte, à part entière. »

Rédigé par le biorégionaliste David Mc Closkey, ce texte accompagne la version 2014 de sa fameuse carte de Cascadia. Ce texte est celui choisi par Mathias Rollot pour présenter Cascadia dans son livre Qu’est-ce qu’une biorégion ? co-écrit avec Marin Schaffner. Professeur à l’Université de Seattle, sociologue et écologiste, David Mc Closkey évoque cette biorégion pour la toute première fois en 1970. Cascadia est clairement l’expérience de biorégion la plus aboutie à ce jour, même si le profond désir sécessionniste et autonomiste ne s’est pas réalisé dans les faits. Dans le Carnet de la décroissance n°4 paru à l’été 2021 – Biorégion. Pour une écologie politique vivante -, Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme mettent en lumière toute la singularité de l’expérience cascadienne.

« La biorégion Cascadia s’étend le long de la côte nord-ouest des États-Unis et du Canada. Elle comprend la Colombie britannique, les États de Washington et de l’Oregon. Ses limites étant perméables, elle s’étend parfois, jusqu’au nord de la Californie et à l’Ouest du Montana (Celnik, 2015). Sa cartographie n’est volontairement pas figée. Il est donc a priori difficile d’en déduire quelques frontières. Ce serait de toute façon contraire à l’idée-même de biorégion. Néanmoins, il existe diverses représentations de cette biorégion montrant par effet miroir la totale absur- dité écologique des découpages institutionnels et administratifs.
[…] En fait Cascadia repose sur une certaine unité naturelle, au fondement même de la pensée biorégionaliste.
[…] On comprend donc qu’il existe un écosystème naturel singulier autour d’un réseau hydrographique. Et cet écosystème est constamment mis en danger par des grands projets auxquels la population va tenter de résister. C’est notamment le cas avec le projet d’oléoduc Keystone XL finalement abandonné grâce à l’action des mouvements écologistes. Aujourd’hui, de larges mobilisations s’opposent toujours à des projets d’extraction dans la région de Cascadia, confirmant cette attention locale aux milieux de vie. Pour Celnik « la Cascadia est probablement la région la plus verte d’Amérique du Nord, ce qui est dû à la fois à des politiques volontaristes de transition énergétique, à des citoyens conscients des enjeux écologiques et mobilisés, mais surtout à une conscience du lieu très forte » (2017 : 134).

À l’unité naturelle s’ajoute donc une unité culturelle et sociale. Selon Celnik, beaucoup d’habitant·e·s se considèrent avant tout comme des « cascadien·ne·s » (et non étatsunien·ne·s par exemple). Ceci est renforcé par différents symboles et événements allant de l’organisation d’un tournoi de football (Cascadia Cup) à un drapeau (Cascadia Flag) en passant par le brassage d’une bière locale (Cascadia Dark Ale). Plusieurs mouvements et organisations forment un réseau et font vivre et exister la biorégion de différentes manières. Plus encore, sur cette base unitaire et avec ce dessein d’autonomie, plusieurs groupes biorégiona- listes revendiquent l’indépendance de Cascadia face aux États- Unis et au Canada.
Cette aspiration va même jusqu’au classement de la région Cascadia comme l’une des dix «aspiring nations», selon le Times (2001), aux côtés du Québec ou du Pays Basque. Et cette idée de créer une nation indépendante n’est pas nouvelle sur cette partie du continent Américain. Julie Celnik rappelle que déjà
au XVIIème siècle, le président Thomas Jefferson y voyait une Ré- publique du Pacifique s’appuyant sur les sociétés agraires : des communautés de fermier·ère·s autonomes. On retrouve aussi cette idée dans le roman Ecotopia d’Ernest Callenbach, paru en 1975. »

Si les contours ne sont pas tout à fait identiques, la localisation assez proche est pour le moins troublante. David Mc Closkey a-t-il inspiré Ernest Callenbach – son roman inspirant potentiellement à son tour le récit cascadien – ou s’agit-il d’une intuition commune ? Quoi qu’il en soit, ce territoire est un terreau fertile pour les imaginaires écologistes et secessionistes ! D’ailleurs, où en est Cascadia par rapport à son ambiton sécessionniste et autonomiste ? Les trois membres du Réseau des Territorialistes terminent justement leur présentation de la biorégion nord-américaine en se penchant sur cette question :  « […] Il existe même déjà quelques institutions biorégionales au sein de Cascadia. C’est notamment ce que considère Celnik dans son étude des watershed councils (conseils de bassin-versant), qui sont « créé[s] de façon volontaire dans le but de protéger, ou de restaurer, un bassin versant. Les efforts portent souvent sur la qualité de l’eau, ou sur la protection d’une espèce en particulier, mais c’est tout un écosystème local qui est pris en compte. L’un des aspects originaux de ces water- shed councils est qu’ils sont constitués d’individus appartenant aux différentes communautés locales, aux intérêts différents et parfois conflictuels » (2017 : 131). Pour l’autrice, ces conseils s’ins– crivent doublement dans une logique biorégionale. Ils sont cen- trés sur des écosystèmes et s’appuient pour leur fonctionnement sur une organisation immanquablement ascendante. Toutefois, force est de reconnaître que ces institutions demeurent forgées et régulées par le système existant. Et ainsi, si la volonté sécessionniste et autonomiste est présente dans les écrits de Cascadia, la réalité des faits s’en éloigne quelque peu ».

Source : Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant – 2021

Le biorégionalisme : une utopie salvatrice ?

Nous sommes aujourd’hui confronté·e·s à quatre enjeux majeurs : l’anéantissement du Vivant, l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle, l’impact profondément délétère des rapports de domination et la confiscation du pouvoir par une élite. Extractiviste, productiviste, consumériste et déchétiste, le Système dominant – directement à l’origine de ces maux – est viscéralement écocidaire, profondément mortifère, puissamment aliénant et cruellement injuste.
Nous avons donc quatre défis à relever : le respect absolu du Vivant dont nous faisons partie, l’anticipation des risques systémiques dans une perspective de résilience, l’abolition des rapports de domination et la mise en place d’une véritable démocratie. Comme le reconnaissaient volontiers Peter Berg et Judy Goldhaft à leur retour du premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972, il ne faut plus rien attendre des dirigeants de l’ordre établi. La biorégion est une formidable opportunité de reprendre en main notre destinée, d’expérimenter concrètement une nouvelle façon d’habiter la Terre, de refaire société en préservant le Vivant, en nous libérant des rapports de domination et en recouvrant notre pleine et entière souveraineté.

Biocentrée et parfaitement en phase avec l’écologie profonde d’Arne Naess, la biorégion apparaît comme la bonne échelle pour bien appréhender les impacts écologiques de nos actions et donc respecter le Vivant tout en favorisant sa régénération.

L’inévitable descente énergétique et matérielle va nécessairement s’accompagner d’une contraction de l’espace et du temps. Quant aux villes et métropoles, elles sont de moins en moins vivables et seront bientôt tout bonnement inhabitables. La biorégion semble donc également la taille idoine pour développer l’indispensable résilience locale collective et systémique pour anticiper les chocs liés à l’effondrement de notre civilisation.

Antinationaliste, antiraciste, antispéciste et anticapitaliste, très proche de l’écoféminisme, de l’écologie décoloniale et de l’écologie profonde, le biorégionalisme est un réel antidote aux rapports de domination si toxiques de notre société encore bien imprégnée du partriarcat, de la peur de l’autre – l’humain étranger, le migrant – , de l’exploitation des habitant·e·s du sud et de l’extermination des non-humains.

Éco-anarchiste, incompatible avec l’État-nation et la verticalité du pouvoir, la biorégion – naturellement post-urbaine – est enfin un formidable terreau pour la mise en place d’une véritable et salutaire démocratie directe, la seule, l’unique digne de ce nom. 

« En son sens le plus basique, le biorégionalisme exprime ces idées essentielles que je crois nécessaire à la survie de l’humanité sur la Terre : la compréhension écologique, la conscience régionale et communautaire, la possibilité de développer un ensemble de sagesses et de spiritualités basées sur la nature, la sensibilité bio-centrée, l’organisation sociale décentralisée, l’entraide et l’humilité des groupes humains.
J’ai écrit il y a trente ans que le biorégionalisme était « le moyen crucial, et peut-être virtuellement le seul possible, pour mettre fin à l’imminente apocalypse écologique » – qui est devenue bien pire qu’elle ne l’était alors, et qui menace désormais sérieusement la capacité de la Terre à rester un habitat hospitalier pour la vie. Tant que la compréhension biorégionale ne sera pas une optique partagée par la majorité de l’humanité, cette apocalypse continuera de menacer nos avenirs respectifs. Nous n’avons vraiment aucun autre choix. » Kirkpatrick Sale (2016) – Préface de l’auteur à l’édition française – L’Art d’habiter la Terre – Wildproject, 2020

Cette citation illustre parfaitement l’enjeu de la dynamique initiée par le Réseau des Territorialistes et L’Archipel du Vivant dans le cadre des réflexions de la Société Écologique du Post-Urbain.
 

L’Appel à créer des biorégions

Engagé depuis deux années, le mouvement pour une société écologique post-urbaine s’emploie à penser un autre mode d’habiter la terre, et ce faisant une autre géographie, celle de la déconcentration des peuplements et de la relocalisation d’activités essentielles, de la décentralisation des pouvoirs et de la décroissance de toutes nos exploitations, de toutes les prédations.

L’Archipel du Vivant et le Réseau des Territorialistes ont organisé en 2022 deux séminaires dédiés à la biorégion, dans le cadre des travaux de la Société écologique du post-urbain. Après plusieurs mois d’échanges et de réflexion, nous avons lancé un Appel à la création de biorégions post-urbaines – Concevoir une biorégion depuis son espace écologique de vie – destiné à toute personne ou collectif souhaitant penser et dessiner son milieu écologique de vie de manière soutenable, et ce en se réunissant simplement avec quelques ami·e·s, allié·e·s, pour préfigurer ce que serait son espace biorégional.
En 2023, afin d’offrir un prolongement opérationnel concret à cet Appel, L’Archipel du Vivant et le Réseau des Territorialistes travaillent à la co-création d’un Mooc dédié à la Biorégion.

Voici le document d’aide pour façonner de telles alternatives, précisant communs et valeurs, besoins et critères.

Les acteurs du biorégionalisme

Adrastia
Institut Momentum
The Shift Project

Les livres incontournables

Reinhabiting a Separate Country

Peter Berg

Planet Drum Foundation – 1978

Qu’est-ce qu’une biorégion ?

 Mathias Rollot et Marin Schaffner

Wildproject  – 2021

Biorégion. Pour une écologie…

G. Faburel, M. Giard, R. Lhomme

Carnet de la Décroissance – 2021

L’art d’habiter la Terre

Kirkpatrick Sale

 Wildproject – 2020 (vf)

Bibliographie anglophone

Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ?« .

  • Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – sous la direction de Peter Berg – Planet Drum Fondation – 1978
  • A Green City Program for the San Francisco Bay Area & Beyond – Peter Berg, Beryl Magilavy, Seth Zuckerman – Planet Drum Fondation – 1989
  • Home ! A Bioregional Reader – Van Andruss, Eleanor Wright, Christopher Plant et Judith Plant – 1990
  • Global Biodiversity Strategy. Guidelines for Action to Save, Study, and Use Earth’s Biotic Wealth Sustainably and Equitably – Étude de plusieurs organismes internationaux – 1992
  • Boundaries of Home. Mapping for Local Empowerment – Doug Aberley – he New Catalyst – 1993
  • Bioregionalism – Michael Vincent McGinnis – Routledge – 1999
  • LifePlace. Bioregional Thought and Practice – Robert L.Thayer – 2003
  • Bioregionalism and Civil Society. Democratic Challenges to Corporate Globalism – Mike Carr – 2004
  • The Bioregional Imagination. Littérature, Ecology, and Place – T.Lynch, C.Glotfelty, K.Armbruster – 2012
  • The Biosphere and the Bioregion. Essential Wrtitings of Peter Berg – Cheryll Glotfelty et Eve Quesnel – Routledge – 2014

Et d’autres ici !

Bibliographie francophone

Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ? » avec en noir les ouvrages des biorégionalistes francophones qui s’inscrivent dans la même philosophie que le courant historique nord-américainet en rouge les ouvrages associés au concept de biorégion urbaine initiée par l’École territorialiste italienne et le laboratoire Lapei (planification territoriale).

  • L’écologie radicale – Frédéric Dufoing – Illico – 2012
  • La biorégion urbaine. Petit traité sur le territoire bien commun – Alberto Magnaghi – Eterotopia France – 2014
  • Formes et figures du projet local. La patrimonialisation contemporaine du territoire – Danela Poli – Eterotopia France – 2018
  • Le Sens des lieux. Ethique, esthétique et bassins-versants – Gary Snyder – Wildproject – 2018
  • Les territoires du vivant – Un manifeste biorégionaliste – Mathias Rollot – Éditions François Bourin – 2018
  • La Permaculture ou l’art de réhabiter – Laura Centemeri – Éditions Quae – 2019
  • L’Art d’habiter la Terre. La vision biorégionale (traducition de Dwellers in the Land)– Kirkpatrick Sale – Wildproject – 2020
  • Mesure et démesure des villes – Thierry Paquot – CNRS Éditions – 2020
  • Le Grand Paris après l’effondrement. Pistes pour une Île-de-France biorégionale – Agnès Sinaï, Yves Cochet, Benoit Thévard – Wildproject – 2020
  • Design des territoires. L’enseignement de la biorégion – Ludovic Duhem et Richard Pereira de Moura – Eterotopia – 2020

Et d’autres ici !

Bibliographie italophone

Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ? » avec en noir les ouvrages des biorégionalistes italophones qui s’inscrivent dans la même philosophie que le courant historique nord-américain et en rouge les ouvrages associés au concept de biorégion urbaine initiée par l’École territorialiste italienne et le laboratoire Lapei (planification territoriale).

  • Bioregione, Nuova dimensione per l’umanita – Fabrizio Zani – Macro Edizioni – 1994
  • La Terra racconta, il bioregionalismo e l’arte di disegnare le mappe locali – Rete Bioregionale Italiana – 1997
  • Verso Casa. Una prospettiva bioregionalista – Giuseppe Moretti et autres – Arianna Editrice – 1998
  • Il progetto locale – Alberto Magnaghi – Bollati Boringhieri – 2000
  • La Bioregione. Verso l’integrazione dei processi socioeconomici et ecosistemici nelle comunita locali – Luciano Iacoponi – Edizioni ETS – 2001
  • L’insediamento umano. Ecologia e sostenibilita – Claudio Saragosa – Donzelli Editore – 2005
  • Per la Terra – Guiseppe Moretti – 2007
  • Patto citta-campagna. Un progetto di bioregione urbana per la Toscana centrale – Alberto Magnaghi & David Fanfani – 2009
  • Il progetto di territorio, oltre la citta diffusa verso la bioregione – Giorgio Ferraresi – Politecnica – 2014
  • Alza la posta ! Peter Berg – Giuseppe Moretti – Mimesis / Eterotopie – 2016

Et d’autres ici !

Sources

  • Biorégion. Pour une écologie politique vivante – Guillaume Faburel, Maële Giard, Raphaël Lhomme – Carnet de la décroissance n°4, été 2021
  • Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021
  • Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale – Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant – 2021

Pour aller plus loin…

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Résilience

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