Fiche Pédagogique
Biorégionalisme
par Jean-Christophe Anna
Biorégion ?
La biorégion, un lieu de vie gouverné par la nature
Biorégion ! L’essence même du concept semble couler de source, telle une évidence limpide. Une région de vie. Une région qui accueille la vie. Un territoire qui se caractérise essentiellement par le vivant qu’il héberge, par les formes de vie qui l’habitent.
La biorégion est donc un territoire dont la délimitation tient compte à la fois de sa singularité biologique et de ses caractéristiques écosystémiques – les espèces végétales et animales qui s’y trouvent – ; de ses contours géographiques et de sa configuration hydrographique – principalement le bassin-versant ou bassin fluvial – qui la traverse ; de ses particularités climatiques et… des communautés humaines qui y vivent. Ou comment réconcilier enfin nature et culture. Avec une primauté évidente de la nature sur la législature comme l’expose clairement le journaliste et essayiste américain Kirkpatrick Sale dans son incontournable livre, véritable pilier de la pensée biorégionaliste, Dwellers in the Land* paru en 1985 :
« Un territoire de vie, un lieu défini par ses formes de vie, ses topographies et son biote plutôt que par des diktats humains ; une région gouvernée par la nature et non par la législation. »
S’appuyer sur des limites naturelles plutôt que sur des frontières politiques – arbitrairement dessinées par les humains pour administrer les différents territoires, nationaux, régionaux, départementaux – semble relever du bon sens le plus élémentaire, qui nous a hélas échappé depuis bien longtemps. C’est exactement cette même évidence qu’illustre brillamment le Professeur américain spécialisé en architecture du paysage, Robert L. Thayer, dans son livre LifePlace. Bioregional Thought and Practice en 2003.
Sa définition de la biorégion est lumineuse pour au moins 3 raisons. Tout d’abord, il propose une formule aussi simple qu’impactante, celle du « lieu de vie ». Ensuite, il appréhende le Vivant de manière globale – les « communautés vivantes humaines et non humaines » – en dépassant ainsi la dichotomie artificielle, stérile et stupide entre nature et culture, à l’origine du désastre en cours. Enfin, il présente la biorégion comme « le lieu et l’échelle les plus logiques ».
« Littéralement et étymologiquement parlant, une biorégion est un « lieu de vie » (life-place) – une région unique qu’il est possible de définir par des limites naturelles (plus que politiques), et qui possède un ensemble de caractéristiques géographiques, climatiques, hydrologiques et écologiques capables d’accueillir des communautés vivantes humaines et non humaines uniques. Les biorégions peuvent être définies aussi bien par la géographie des bassins versants que par les écosystèmes de faune et de flore particuliers qu’elles présentent ; elles peuvent être associées à des paysages reconnaissables (par exemple, des chaînes de montagnes particulières, des prairies ou des zones côtières) et à des cultures humaines se développant avec ces limites et potentiels naturels régionaux. Plus important, la biorégion est le lieu et l’échelle les plus logiques pour l’installation et l’enracinement durables et vivifiants d’une communauté. »
* : traduit en Français par Matthias Rollot et Alice Weil : L’art d’habiter la Terre. La visio biorégionale – Wildproject – 2020
Sources principales de cette fiche pédagogique :
- Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021
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Biorégion. Pour une écologie politique vivante – Guillaume Faburel, Maële Giard, Raphaël Lhomme – Carnet de la décroissance n°4, été 2021
- Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale – Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant – 2021
Plan de la Fiche
- La biorégion, un concept au croisement de deux approches
- Petit sélection de définitions !
- Réhabitant, réhabiter, réhabitation !
- Biorégionalisme ?
- La biorégion est incompatible avec l’État-nation et la métropolisation !
- La biorégion urbaine ou comment dévoyer une idée noble …
- Une expérience inspirante : Cascadia !
- Le biorégionalisme : une utopie salvatrice ?
- Les acteurs du biorégionalisme
- L’appel à créer des biorégions
- Les livres incontournables
La biorégion, un concept au croisement de deux approches
Chaque biorégionaliste ayant proposé sa propre définition, le concept de biorégion est une notion ouverte qui fait l’objet de plusieurs approches différentes et complémentaires. C’est ce qui fait toute sa richesse, mais aussi sa complexité.
Selon le théoricien et historien de la biorégion et du biorégionalisme Mathias Rollot, le concept de biorégion recoupe deux choses à la fois :
- Une réalité physique
- Un récit collectif
« Le concept de « biorégion » est à la rencontre exacte de ces deux aspects, et c’est bien pour ça qu’il est important de toujours les garder en mémoire. Ce sont ces deux aspects à la fois qu’une carte biorégionale est censée décrire. » Matthias Rollot – Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Wildproject – 2021
Cette double dimension est bien au cœur du tout premier ouvrage collectif de référence sur le biorégionalisme :
« Notre terme fait référence autant au contexte géographique qu’au contexte cognitif – autant à un lieu qu’aux idées qui ont été développées à propos des manières de vivre en ce lieu. » Peter Berg et Raymond Dasmann – Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – Planet Drum Fondation – 1978
La Carte (l’approche « scientifique »)
Selon une première approche « scientifique », la biorégion est donc une réalité physique, un territoire géographique que l’on peut cartographier ou « un milieu de vie « plus qu’humain », partagé et cohabité ».
Pour en savoir plus...
« Les biorégionalistes ont pour habitude de dire que la biosphère – la planète Terre – est composée d’une multitude de biorégions, et c’est en prenant soin de toutes ces biorégions qu’on pourra sauver l’ensemble. Chaque biorégion devrait donc être précisément située, unique et reconnaissable. Au sein d’une biorégion donnée, on trouve des espèces animales et végétales particulières, un climat dominant, quelques types de sols caractéristiques autant que des modalités d’installations humaines particulières. Parler de biorégion, c’est donc tenter de décrire un milieu de vie « plus qu’humain », partagé et cohabité. »*
Pour illustrer cette dimension géographique, Mathias Rollot s’appuie sur la toute première définition cite la toute première définition du concept de biorégion proposée par le chercheur canadien Allen Van Newkirk en 1975 (Bioregions: Towards Bioregional Strategy for Human Cultures).
« Le concept de biorégion a été introduit pour explorer la possibilité de développer une méthode de planification, relativement non arbitraire, pour les réalités biologiques sauvages du paysage.
[…] Les biorégions sont provisoirement définies comme des aires remarquables de la surface de la Terre, du point de vue biologique, qui peuvent être cartographiées et discutées comme des modèles existants distincts, de plantes, d’animaux et d’habitats ; des distributions liées aux modèles d’aires de répartition et aux processus complexes de construction de niches culturelles – tout en tenant compte des déformations attribuées à l’occupation d’une ou plusieurs populations successives du mammifère culturel.
[…] Dans ce cadre, le premier critère à considérer, pour définir une biorégion, c’est le bassin-versant – c’est-à-dire le territoire d’un fleuve. C’est sur la base de ce bassin fluvial que vont être discutés les nombreux autres critères à la fois « naturels » et « culturels » pris en compte pour le dessin biorégional. »
Mathias Rollot souligne que cette première acception du terme biorégional permet de décrire le réel existant via la superposition de grilles d’analyses géographiques, topographiques, climatiques, de distribution de faune et de flore, culturelles, etc…
Si cette approche est selon lui nécessaire, elle n’en n’est pas moins insuffisante à ses yeux. Il pose clairement la limite d’une approche relevant de la pure biogéographie ou zoogéograpie distinguant les différentes régions écologiques composant notre planète :
« Ce qui est flou avec cette démarche, c’est de savoir si on décrit vraiment une réalité existante, ou si on décrit une potentiel, un désir, une construction mentale – en sachant que les deux s’entremêlent très facilement et souvent de façon implicite. » *
* : Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021
Le Récit (l’approche « politique »)
Selon une seconde approche « politique », la biorégion est aussi un récit collectif, un imaginaire, une philosophie de vie, une opportunité à construire, un futur à inventer !
Pour en savoir plus...
À l’approche physique, géographique de la biorégion, l’artiste militant éco-anarchiste Peter Berg et le scientifique Raymond Dasmann ont apporté une dimension politique au concept.
Le discours biorégionaliste propose donc également « tout un versant politique, basé sur la nécessité de se réancrer quelque part, dans des milieux partagés, reconstruits sur d’autres bases que celles uniquement anthropiques, nationalistes et capitalistes. Dans ce deuxième cas, l’envie de redessiner nos « terrains de vie » en accord avec leurs écosystèmes est beaucoup plus hypothétique :
« Il s’agit d’un projet de lutte, ça n’a rien d’une étude scientifique sur un état écosystémique existant. C’est une démarche de résistance au mode de vie actuel, l’invention ici et maintenant d’un monde véritablement soutenable.
[…] Parler de biorégion, c’est nécessairement parler aussi d’un récit. Ce n’est pas seulement parler d’un territoire géographique qu’on peut cartographier. C’est un imaginaire, une philosophie de vie. La biorégion, c’est ce que tu habites, ce que tu « réhabites » et qui te permet de chercher une vie plus terrestre, plus écocentrée. La biorégion, de ce point de vue, c’est aussi et surtout dans les têtes. À partir de là, d’ailleurs, on peut plonger dans un tout autre genre de cartographie, qui est plus de l’ordre de la cartographie mentale.
C’est exactement ce sens que Peter Berg a souhaité introduire dans la définition originelle de Newkirk : un aspect politique. Et c’est donc comme cela que Peter Berg et Raymond Dasmann ont défini le concept de « biorégion » dans leur article historique intitulé « Réhabiter la Californie ».
[…] La trame qui ouvre l’article est la suivante : 1. Quelque chose se passe en Californie, des tas de gens sont en train de réhabiter. 2. Qu’est-ce qu’ils réhabitent ? 3. Nous proposons de parler de « biorégion » pour définir ce qu’ils réhabitent.
On voit bien que cette argumentation part de l’action des réhabitantes et réhabitants pour définir ensuite l’idée de biorégion. Pour eux, c’est clair : il n’y a pas de biorégion sans réhabitant·e·s !
C’est en ça que je considère les biorégions avant tout comme une hypothèse et une opportunité à saisir pour le futur. Il faut les construire et les inventer, dans le sens où la grande majorité des habitants de ce pays n’est pour l’instant ni biorégionaliste ni réhabitante.
Parler de biorégion, pour moi, n’a de sens que si nous en faisons collectivement un outil pour retrouver des modes de vie réhabitants. D’où les deux définitions – la carte et le récit -, et d’où les deux facettes de la notion : d’une part une biorégion qui pourrait exister ici et maintenant ; et d’autre part, un futur désirable qui reste à inventer, dans lequel il y aurait des gens pour faire exister cette biorégion. Dans les deux cas, il s’agit de quelque chose à inventer et à construire.
[…] Au sujet de l’approche scientifique, je crois qu’il est important de redire que la biorégion reste à construire. […] Il ne faut pas s’imaginer qu’en superposant les couches végétales, animales, hydrographiques, etc;, on obtient comme par magie une biorégion. Ces couches-là, c’est juste le vivant, la vie, le réel, dans toute sa complexité et son « illisibilité » ; ce n’est pas encore une biorégion avec ses parts symboliques. La biorégion, c’est un projet politique en acte pour la biosphère. De sorte que si on essaie de chercher aujourd’hui en France ce qui ressemble le plus à du biorégionalisme, on se tourne plutôt vers les mondes militants que vers les scientifiques. » *
* : Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021



Petite sélection de définitions !
Allen Van Newkirk (1975)
« Le concept de biorégion a été introduit pour explorer la possibilité de développer une méthode de planification, relativement non arbitraire, pour les réalités biologiques sauvages du paysage. […] Les biorégions sont provisoirement définies comme des aires remarquables de la surface de la Terre, du point de vue biologique, qui peuvent être cartographiées et discutées comme des modèles existants distincts, de plantes, d’animaux et d’habitats ; des distributions liées aux modèles d’aires de répartition et aux processus complexes de construction de niches culturelles – tout en tenant compte des déformations attribuées à l’occupation d’une ou plusieurs populations successives du mammifère culturel. » Bioregions: Towards Bioregional Strategy for Human Cultures – Allen Van Newkirk – 1975
Global Biodiversity Strategy (1992)
« Une biorégion est un territoire terrestre et aquatique dont les limites ne sont pas définies par des frontières politiques, mais par les limites géographiques des communautés humaines et des systèmes écologiques. Une telle zone doit être assez large pour maintenir l’intégrité des communautés biologiques, des habitats et des écosystèmes régionaux ; pour supporter d’importants processus écologiques, comme les cycles allant des nutriments aux déchets, les migrations et les courants aquatiques ; pour constituer des milieux de vie satisfaisants pour les espèces clés de voûte et les espèces sentinelles ; et pour accueillir les communautés humaines impliquées dans la gestion, l’utilisation et la compréhension des ressources biologiques du lieu. Cette zone doit être assez petite pour que ses habitants la considèrent comme leur chez-eux.
Une biorégion typique s’étendrait sur une aire allant de quelques milliers d’hectares à plusieurs centaines de milliers d’hectares. Elle pourrait ne pas être plus grande qu’un petit bassin-versant autant qu’elle pourrait être aussi grande qu’un petit État. Dans certains cas, une biorégion pourrait s’établir par-delà les frontières entre deux pays ou plus. Une biorégion est aussi définie par son peuple. Elle doit avoir une identité culturelle unique et être un lieu au sein duquel les résidents locaux ont le droit fondamental de déterminer leur propre développement. Ce droit premier, toutefois, n’est pas un droit absolu. Il signifie plutôt que les modalités de subsistance, les requêtes et les intérêts particuliers des communautés locales devraient être le point de départ autant que le critère de décision de toute discussion portant sur le développement et la conservation régionaux. » Global Biodiversity Strategy – 1992*
* : World Ressources Institute (WIR), The World Conservation Union (UICN), United Nations Environment Programme (UNEP), in consultation with Food and Agriculture Organization (FAO), United Nations Education, Scientific and Cultural Organization (UNESCO), Guidelines for Action to Save, Study, and Use Earth’s Biotic Wealth Sustainably and Equitably, pp. 97-100
C’est l’une des définitions les plus claires et des plus efficaces qui soient pour Mathias Rollot.
Kirkpatrick Sale (1985)
« Un lieu défini non par des diktats humains, mais par les formes de vie, la topographie, son biotope ; une région gouvernée non par la législature, mais par la nature. » Kirkpatrick Sale – 1985
Robert L. Thayer (2003)
« Littéralement et étymologiquement parlant, une biorégion est un « lieu de vie » (life-place) – une région unique qu’il est possible de définir par des limites naturelles (plus que politiques), et qui possède un ensemble de caractéristiques géographiques, climatiques, hydrologiques et écologiques capables d’accueillir des communautés vivantes humaines et non humaines uniques. Les biorégions peuvent être définies aussi bien par la géographie des bassins versants que par les écosystèmes de faune et de flore particuliers qu’elles présentent ; elles peuvent être associées à des paysages reconnaissables (par exemple, des chaînes de montagnes particulières, des prairies ou des zones côtières) et à des cultures humaines se développant avec ces limites et potentiels naturels régionaux. Plus important, la biorégion est le lieu et l’échelle les plus logiques pour l’installation et l’enracinement durables et vivifiants d’une communauté. » Robert L. Thayer – 2003
La biorégion, une autre façon d’habiter la Terre.
Réhabitant, réhabiter, réhabitation !
Dans leur article historique intitulé Réhabiter la Californie (voir le menu déroulant plus bas), les « deux pères fondateurs du biorégionalisme » définissent la biorégion comme le lieu de vie, le territoire « réhabité » par des personnes à la recherche d’un nouvel équilibre, plus ancré, plus respectueux de l’interdépendance avec les autres formes de vie. Comme l’explique l’historien français du biorégionalisme Mathias Rollot dans l’excellent livre Qu’est-ce qu’une biorégion ?, c’est en observant un puissant mouvement de retour à la terre à la fin des années 1960 en Californie que Peter Berg et sa compagne Judy Goldhaft – qui y participent – inventent le terme « réhabitant » pour qualifier les hippies, diggers et militant·e·s qui quittent San Francisco pour fonder des communautés autonomes.
« Nous sommes aux États-Unis, à la fin des années 1960, en plein mouvement de « retour à la terre ». Le Summer of Love de San Francisco est sur le déclin, et bon nombre de gens qui l’ont fait – des hippies, des diggers, des militants, etc. – partent de la métropole pour fonder des communautés autonomes (dont certaines existent encore comme le Black Bear Ranch). Peter et Judy témoigneront de ce mouvement au tout premier Sommet de la Terre de Stockholm en 1972. Et ils en reviennent avec la conviction qu’en matière d’écologie, il ne faut rien attendre des dirigeants : l’écologie sera populaire ou rien.
[…] Je crois qu’aujourd’hui, de façon moins radicale, le désir des néo-ruraux en France est aussi un désir de réhabitation, au sens d’une « re-terrestrialisation. Beaucoup disent vouloir renouer avec les territoires et les terroirs (souvent dans le sens le plus anthropocentré du terme, hélas), mais aussi retrouver un contact avec le vivant non humain, le climat, les paysages, le sauvage… »
Pour Mathias Rollot, la réhabitation est une forme de réancrage dans un lieu, et d’acceptation de tout ce que ça suppose : devenir moins mobile, passer plus de temps dans le réel que dans le virtuel, accepter l’interdépendance du vivant, vivre les conséquences directes de ses actes, etc. Des acceptions qui forment déjà quelque chose comme une philosophie, presque une cosmologie écologique.
« Le ré- de « réhabitant » sous- entend un avant et un après, comme si les gens n’habitaient plus, ou mal, et qu’ils s’y prenaient désormais un peu autrement. De ce point de vue, l’idée de réhabitant·e·s décrit donc la trajectoire de celles et ceux qui décident de changer de vie – pas forcément de lieu de vie, mais plutôt de mode de vie – pour entrer dans des formes d’appartenances réciproques plus grandes avec un milieu. Robert Thayer, dans son livre LifePlace de 2003, évoque cette idée, en disant qu’il n’est pas natif de la biorégion dont il parle, mais qu’il y a déménagé il y a trente ans et qu’il en a depuis fait son lieu de vie. Reprenant une expression de Wes Jackson, il dit qu’il est « devenu natif » du lieu. »* Mathias Rollot assimile cette idée – « devenir natif » – à un « devenir autochtone » rendu possible par la réhabitation et ainsi souligne que cette idée permet de désamorcer les côtés essentialistes, localistes et déterministes potentiellement liés à cette idée d’autochtonie – surtout dans le contexte politique actuel. « De ce point de vue, l’autochtonie n’est ni une question de « race », d’ethnie ou de sang, c’est un choix, une liberté à la fois individuelle et collective ». Mathias Rollot considère que l’autochtonie désigne également un mode de vie et une forme de connaissance et de reconnaissance du monde. Et donc qu’il ne suffit pas d’habiter sur un territoire où l’on est né pour être automatiquement un·e autochtone. « Car peu importe où on est né : il n’y a pas d’autochtonie qui tienne quand on passe son temps hors-sol – entre des espaces génériques, un travail de bureau déterritorialisé, des loisirs numérisés et un chez –soi tout doit sorti d’un magasin de décoration. » *
« Pour le dire par une image un peu grossière, peut-être que la réhabitation biorégionale pourrait se penser comme quelque chose qui soit à mi-chemin entre une ZAD et un parc naturel régional. J’entends par là une zone de biodiversité protégée et reconnue de tous, à l’intérieur de laquelle on pourrait réinventer plus librement et collectivement des modes de vie – sans avoir à lutter tous les jours, corps et âme, pour simplement avoir le droit de rester sur ce lieu de vie. L’enjeu est d’imaginer des formes dans lesquelles la société dans sa plus grande diversité puisse se reconnaître et s’investir. […] Bien sûr, l’image du parc naturel régional ne convient pas beaucoup plus que celle de la ZAD (pour des tas de raisons institutionnelles). Donc peut-être qu’il faudrait trouver cinq ou six exemples différents, et se dire que l’imaginaire biorégional est un mélange mouvant de ces cinq ou six choses. Ce dont je parle, c’dst d’un écosystème d’images qui nous oriente. Quelque chose de volontairement toujours trop complexe – qu’on ne pourrait pas réduire. Et alors, et seulement là, j’accepterais que le « terroir » ait sa place dans l’imaginaire biorégional, car il serait contrebalancé par plein d’autres choses ouvertes, multiculturelles et multinaturelles. » *
Mathias Rollot évoque la possibilité d’être un réhabitant en milieu urbain, d’habiter un milieu de vie artificiel (ville, métropole) de façon biorégionale – c’est d’ailleurs ce qu’ont fait Peter Berg et Judy Goldhaft à San Francisco – en se réinsérant « dans une communauté à laquelle on participe localement, c’est déjà une forme de réhabitation – peut-être plus dans le social que dans le terrestre » : agriculture urbaine, économie sociale et solidaire… Il souligne toutefois la dimension paradoxale d’une telle démarche : « À tout point de vue, il n’y a juste pas de place pour la vie dans l’hypercongestion et l’hyperartificiel d’une mégalopole moderne ! Pas de place pour l’improvisation, pour l’autoconstruction, pour le jardinage, pour le laisser-faire, pour le sauvage ou même le spontané. Le problème, c’est le caractère totalitaire de son architecture, de son urbanisme et des politiques qu’elles nécessitent. » *
Mathias Rollot souligne l’urbanisation totale de la société, des comportements, des corps, des esprits et des paysages. Selon lui, le biorégionalisme doit passer par des formes de « désurbanisation » ou, pour reprendre l’expression de Serge Latouche – « décoloniser l’imaginaire » – appeler à « désurbaniser l’imaginaire ». Il en appelle à la nécessité de « se désurbaniser, ou de « biorégionaliser » sa vie ». *
* : Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021
L'article fondateur du biorégionalisme : « Réhabiter la Californie » / « Reinhabiting California » - Peter Berg et Raymond Dasmann
« Quelque chose est en train de se passer en Californie. Le phénomène est difficile à qualifier ou à quantifier, pour autant que la plupart de ses acteurs ne souhaitent ni être répertoriés, ni être mis en avant. Mais la chose est claire : un peu partout se déploient des communautés de gens qui tentent de nouvelles manières de vivre sur et avec la Terre. Nous appelons ce phénomène réhabitation, un processus qui implique d’apprendre à « vivre in situ » (living-in-place).
Vivre in situ
Vivre in situ signifie suivre les nécessités et les plaisirs de la vie telles qu’elles se présentent de façon singulière en un lieu particulier, et développer des moyens d’assurer une occupation durable de ce lieu. Une société qui vit in situ s’applique à conserver des échanges équilibrés avec sa région d’accueil au travers de liens multiples entre les vies humaines, les autres entités vivantes et les processus naturels de la planète — saisons, climats, cycles de l’eau — tels qu’ils apparaissent en cet endroit précis. C’est l’antithèse d’une société qui se pense à court terme et « gagne sa vie » (makes a living) au moyen d’une exploitation destructrice de la terre et de la vie. Vivre in situ est une manière d’être immémoriale, qui a été en quelque sorte désintégrée un peu partout dans le monde, tout d’abord, il y a plusieurs millénaires de cela, par l’émergence d’une civilisation fondée sur l’exploitation et, plus profondément encore, durant les deux derniers siècles, par le développement de la civilisation industrielle. Ce concept de vie in situ, toutefois, ne s’oppose pas à l’idée de civilisation – au sens le plus humain du terme. C’est peut-être, tout au contraire, le seul moyen de concevoir une existence vraiment civilisée et durable à la fois.
Au sein de presque toutes les régions de l’Amérique du Nord, dont la majorité de la Californie, les milieux et écosystèmes hébergeant la vie ont été largement affaiblis. La richesse originelle de la diversité biotique a été considérablement réduite et altérée au profit d’un panel étroit de semences et de ressources souvent non originaires des lieux. Un abus chronique a ruiné de larges surfaces d’exploitations agricoles, de forêts et de terres autrefois florissantes. Des déchets de zones industrielles concentrées à l’absurde ont rendu presque invivables un certain nombre de lieux. Mais, indépendamment du mythe du « territoire infini » et de la mentalité conquérante qui ont fini par prédominer sur le continent américain, détruisant les espèces et les peuples indigènes les uns après les autres pour que les envahisseurs puissent gagner leur vie, nous savons maintenant que la perpétuation de l’espèce humaine est intimement liée à la survie des autres formes de vie. Vivre in situ contribue à la possibilité d’une telle continuation. Sa mise en place est devenue une nécessité pour les peuples qui voudraient demeurer au sein d’une région sans la dégrader de façon plus désastreuse encore.
Autrefois, toute la Californie était peuplée de gens qui savaient utiliser ses terres avec modération, de sorte à endommager le moins possible sa capacité à accueillir la vie. La plupart d’entre eux ne sont plus de ce monde. Mais si la destructivité de la société technologique peut être convertie de façon à accueillir et soutenir la vie, alors la terre pourra être réhabitée. Réhabiter signifie apprendre à vivre in situ au sein d’une aire qui a précédemment été perturbée et endommagée par l’exploitation. Cela signifie devenir originaire d’un lieu, devenir conscient des relations écologiques particulières qui opèrent au sein de ce milieu et autour de lui. Cela signifie entreprendre des activités et faire naître des comportements sociaux capables d’enrichir la vie de cet endroit, de restaurer ses systèmes d’accueil de la vie, et d’y établir un mode d’existence (pattern of existence) écologiquement et socialement durable. Dit en peu de mots, cela implique de devenir pleinement vivant, au sein d’un lieu et avec lui. Ce qui implique de demander à faire partie d’une communauté biotique et cesser de se considérer comme son exploitant.
Des informations utiles aux réhabitants peuvent provenir d’une grande variété de sources. Sont utiles les études menées par les autochtones, en particulier les récits d’expérience de ceux qui ont vécu auparavant à cet endroit – aussi bien ceux qui y ont « gagné leur vie » que ceux qui ont vécu in situ. Les réhabitants peuvent se servir de ces informations à leur manière, en inventant de nouvelles façons de vivre et en établissant de nouvelles relations avec la Terre et la vie qui les entoure. Cela pourra aider à déterminer la nature de la biorégion au sein de laquelle ils réapprennent à vivre.
Le processus de réhabitation implique le développement d’une identité biorégionale, quelque chose que la plupart des Nord-Américains ont perdu, ou n’ont jamais eue. Nous définissons le concept de biorégion en un sens différent des provinces biotiques de Dasmann [1] et des provinces biogéographiques d’Udvardy [2]. Notre terme fait référence autant au contexte géographique qu’au contexte cognitif — autant à un lieu qu’aux idées qui ont été développées à propos des manières de vivre en ce lieu. Au sein d’une biorégion, on trouve une uniformité de conditions d’influence du vivant ; conditions qui à leur tour influencent l’occupation humaine.
Une biorégion peut initialement être déterminée par le biais de la climatologie, de la géomorphologie, de la géographie animale et végétale, de l’histoire naturelle et d’autres sciences naturelles encore. Cependant, ce sont les gens qui y vivent, avec leur capacité à reconnaître les réalités du vivre in situ qui s’y pratique, qui peuvent le mieux définir les limites d’une biorégion. Toute vie sur la Terre est interconnectée par un ensemble de moyens assez évidents pour certains, et largement inconnus pour beaucoup d’autres. Entre les êtres vivants et les facteurs qui les influencent, il existe toutefois une résonance particulière, spécifique à chaque endroit de la planète. Découvrir et relever cette résonance est un moyen de décrire une biorégion.
Les réalités d’une biorégion sont, dans l’ensemble, assez évidentes. Personne ne confondrait le désert des Mojaves avec la fertile Vallée Centrale de Californie, ou les terres semi-arides du Grand Bassin et la côte californienne. Entre les biorégions majeures, les différences sont suffisamment marquées pour que les peuples n’essayent pas de vivre sur les côtes de l’Oregon comme ils le feraient dans le désert de Sonora. Mais les gradations internes sont nombreuses. Le maquis (chaparral) des contreforts du sud de la Californie ne se distingue pas franchement de celui des chaînes côtières du nord de l’État. Les habitudes et comportements des habitants de ces deux régions ainsi que les grands centres urbains auxquels ils sont reliés (San Francisco et Los Angeles) sont toutefois différents, si bien que cela peut produire différentes manières de vivre sur ces terres.
La Californie septentrionale est entourée de montagnes au nord, à l’est et au sud, et s’étend sur une bonne distance le long de l’Océan Pacifique à l’ouest. Parce que les frontières biorégionales dépendent aussi en partie des comportements humains, elles ne peuvent pas être clairement cartographiées. Ces comportements, toutefois, persistent depuis des temps préhistoriques. La région est séparée de la Californie méridionale par la barrière que forment les Monts Tehachapi et leur extension au travers de la chaîne montagneuse des Transverse Ranges jusqu’au Point Conception côté mer. Et si, dans une certaine mesure, la faune et la flore changent de part et d’autre de cette frontière, ce sont surtout les comportements humains qui diffèrent. À l’est, la région est définie par la Sierra Nevada, chaîne montagneuse qui stoppe les pluies et donne à la biorégion sèche du Nevada son caractère. Au nord, la chaîne volcanique des Cascades et les anciennes formations géologiques des Monts Klamath séparent la biorégion de l’Oregon. Le long de la côte, les frontières sont plus floues, même s’il semble qu’une ligne se dessine à la limite nord de la forêt côtière de Redwood, sur le fleuve Chetco.
Du point de vue biologique, la province biotique californienne, qui forme le cœur de la biorégion, est non seulement unique mais aussi incroyablement riche – un véritable refuge pour nombre d’espèces cachées, rempli de formes animales et végétales endémiques. C’est une région au climat méditerranéen tout à fait unique en Amérique du Nord, à la fois un lieu où peuvent survivre des espèces autrefois omniprésentes et un territoire où ont évolué d’autres formes de vie distinctes. Du point de vue anthropologique, il s’agit aussi d’un cas unique, d’un refuge pour une grande variété de non-agriculteurs au sein d’un continent où l’agriculture est devenue prépondérante.
Durant le siècle et demi pendant lequel une société d’envahisseurs a occupé la Californie du Nord, les géomètres, à travers la division des terres qu’ils réalisèrent, ont donné un certain sens au lieu. Nous en savons plus à propos du cadastre qu’à propos de la vie qui se meut sur, sous et au travers des terres cadastrées. Les gens sont bombardés d’informations à propos du prix monétaire des choses, mais ils n’apprennent que rarement quoi que ce soit sur leur coût planétaire réel. On les encourage à mesurer la dimension des choses sans rien leur apprendre de leur place dans la continuité de la vie biorégionale.
Au sein de la biorégion se trouve un bassin-versant majeur, celui du système hydrologique du Sacramento-San Joaquin, qui draine les eaux de toute la Sierra Nevada, des chaînes montagneuses côtières des Cascades, pour s’écouler par les larges plaines de la Vallée Centrale. Sur les côtes, de plus petits bassins-versants sont significatifs : ceux des fleuves Salinas, Russian, Eel, Mad, Klamath et Smith. Le fleuve Klamath est atypique puisqu’il draine les eaux d’une aire géographique appartenant à une biorégion différente. C’est également le cas de la rivière Pit, qui rejoint le Sacramento. Ces exceptions mises à part, lire les différents systèmes hydrologiques aide à définir et caractériser la vie d’une même biorégion, de même que les caractéristiques des bassins-versants font apparaître les nécessités que ceux qui voudraient vivre in situ doivent s’employer à reconnaître.
Notre vraie « période de découverte » vient seulement de débuter. La biorégion est à peine reconnue dans les travaux sur les interrelations entre les systèmes de vie qui la composent. Savoir si nous pourrons continuer à vivre ici est toujours un mystère angoissant. Combien de personnes une biorégion peut-elle supporter sans s’auto-détruire encore plus ? Quels genres d’activité devraient être encouragés ? Lesquels sont trop désastreux pour être maintenus ? Comment les gens pourraient-ils s’approprier les critères biorégionaux de manière à ressentir ces derniers comme des règles existant pour le bien-être de tous plutôt que comme un ensemble contraignant de lois imposées ?
Les bassins-versants naturels pourraient être reconnus comme les éléments autour desquels les communautés s’organisent en premier lieu. Le réseau des sources, des ruisseaux et des rivières s’écoulant dans une zone spécifique exerce une influence de premier ordre sur toute vie non humaine à un endroit donné ; c’est l’empreinte la plus fondamentale de toute vie locale. Les inondations et les sécheresses de la Californie du Nord nous rappellent que les bassins-versants affectent la vie humaine elle aussi, mais leur influence globale est plus discrète et diffuse. Les communautés indigènes s’étaient installées à proximité des ressources, et les limites entre tribus étaient souvent définies par les limites des bassins-versants. Les campements des colons ont suivi le même modèle, expropriant souvent les groupes indigènes dans le but de protéger leur propre accès à l’eau.
Ainsi, les communautés réhabitantes devraient prioritairement mener des actions pour bien définir les bassins-versants locaux, restreindre la croissance et le développement humain pour qu’il corresponde aux limites des ressources en eau, veiller à la conservation de ces réserves et à la restauration du libre cours des affluents qui ont été bloqués et au nettoyage de ceux qui ont été pollués, ou encore mener des recherches sur les interactions avec le système hydrologique plus large. En tout cela, les réhabitants pourraient à la fois se centrer sur les bassins-versants et en être les responsables.
De tout temps, les peuples ont été des membres à part entière de la vie biorégionale. La plupart du temps, ils avaient un effet positif sur les autres formes de vie qui partageaient ces lieux. En décrivant de quelle façon pas moins de 500 « républiques » tribales distinctes ont pu vivre côte à côte en Californie pendant plus de 15 000 ans, sans hostilité sérieuse ni perturbation des écosystèmes environnants, Jack Forbes mit à jour, en 1971, une différence majeure entre habitants et envahisseurs.
« Les peuples autochtones de Californie […] ne se considéraient pas vraiment comme des individus autonomes et indépendants. Ils s’envisageaient comme étant profondément liés avec d’autres gens (et avec les formes environnantes de vies non humaines) au sein d’un réseau vivant interconnecté et complexe, c’est-à-dire, une vraie communauté […]. Toutes les créatures et les choses étaient […] frères et sœurs. De cette idée provint le principe fondamental de non-exploitation, de respect et de révérence pour toutes les créatures, un principe extrêmement hostile au type de développement économique, mortifère pour les mœurs humaines, que conçoivent typiquement les sociétés modernes. (Je pense que c’est ce principe plus que tout autre qui permit de conserver la Californie dans son état naturel pendant plus de 15 000 ans ; et la violation de ce même principe qui, en un siècle et demi, a mené la Californie au seuil de la destruction.) » [3]
Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de restaurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourriture et de stabilité de la biodiversité. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre appartenance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère. Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des changements fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.
Économies
D’un point de vue biologique, la Californie du Nord est riche – peut-être la plus riche de toutes les biorégions nord-américaines. Son économie actuelle est globalement fondée sur l’exploitation de cette richesse dans le but de générer un maximum de profits à court terme. Les systèmes naturels qui créent les conditions d’abondance de la région existent à la fois sur le court et le long terme. Il y a de l’eau, et il y en a à nouveau chaque année. Il y a des sols riches, mais il a fallu des milliers d’années pour qu’ils se forment. Il y a toujours de grandes forêts, mais elles ont eu besoin de centaines d’années pour pousser ; et aucune ne s’est vraiment remise des coupes rases qui ont eu lieu au cours des siècles.
Des processus économiques réhabitants rechercheraient le nécessaire plutôt que le profit. Ils pourraient être plus efficacement nommés processus écologiques, puisque leur objet est de maintenir une continuité dans les systèmes vivants naturels, tout en en profitant et en les utilisant pour vivre. La plupart des formes actuelles d’activités économiques qui dépendent des conditions biorégionales naturelles pourraient se poursuivre au sein d’une société réhabitante, mais elles devraient se transformer pour pouvoir prendre en compte les variations entre court et long terme au sein de leurs cycles.
La Vallée Centrale californienne est devenue un des centres nourriciers de la planète. L’agriculture s’y développe aujourd’hui à une échelle gigantesque ; des milliers de km2 y sont cultivés en permanence pour produire plusieurs récoltes annuelles. Des équipements lourds, alimentés par les énergies fossiles, sont présents à toutes les étapes du processus, et de plus en plus d’engrais artificiels sont utilisés. C’est une région naturellement productive. La Californie du Nord possède un climat tempéré, un apport constant en eau et ses terres comptent parmi les plus riches de toute l’Amérique du Nord. Mais une agriculture à une telle échelle est intenable sur le long terme. Le prix des énergies fossiles et des engrais chimiques ne fera qu’augmenter, tandis que les sols s’épuiseront progressivement.
Nous avons besoin d’une redistribution massive des terres au profit d’exploitations agricoles plus petites. Celles-ci tableraient sur la valeur nutritionnelle des cultures et sur la préservation des sols, développant des alternatives aux énergies fossiles et des systèmes de distribution de plus petite échelle. Plus de gens seraient impliqués, créant de fait des emplois et allégeant ainsi la population à charge pour les villes.
Il faut permettre aux forêts de se reconstruire. La coupe rase ruine la capacité des forêts à se constituer comme des ressources renouvelables sur le long terme. Une reforestation organisée selon les bassins-versants ainsi que des projets de restauration des ruisseaux sont nécessaires partout où l’exploitation forestière moderne a été entreprise. La coupe des arbres telle que pratiquée aujourd’hui génère de nombreux déchets ; sommets, souches et branches sont laissés sur place, tandis que les troncs sont transportés pour être transformés et revendus dans la région. Les artisans capables d’utiliser toutes les parties de l’arbre devraient être employés pour faire un usage optimal des matières tout en favorisant l’emploi d’un plus grand nombre de personnes dans la région. Les pêcheries doivent être protégées avec précaution. Elles fournissent un support de vie à long terme riche en protéines si elles sont bien utilisées, mais peuvent épuiser rapidement ces « niches » biologiques si elles sont mal gérées. Pêcher du poisson et prendre soin des pêcheries sont à voir comme les deux faces d’une même pièce.
La conscience réhabitante peut multiplier les opportunités d’emplois au sein d’une biorégion. Les nouveaux voisinages réhabitants pourraient être fondés sur l’échange d’informations, le projet coopératif, la mise en place de réseaux de travail ou d’outils intra et inter-biorégionaux, et la constitution de médias axés sur la biorégion et ses bassins-versants plutôt que sur la ville et la consommation. Une telle configuration pourrait remplacer la centralisation actuelle par une multitude de décentralisations. L’objectif d’une restauration et d’une conservation des bassins-versants, des sols et des espèces originaires d’un lieu invite à la création de nombreux emplois, ne serait-ce que pour réparer les dégâts biorégionaux déjà perpétués par la société des envahisseurs.
Politiques
Depuis l’occupation espagnole, c’est toute une succession de super-identités aliénantes qui a progressivement obscurci la singularité de la vie biorégionale de la Californie du Nord. La spécificité du lieu dans lequel il était question de vivre n’était tout simplement pas perçue.
Premièrement, l’endroit fut considéré comme une région de la Nouvelle-Espagne : une dénomination qui ne dit rien de ce lieu précis et qui agglomérait une douzaine de biorégions tout autour des Caraïbes n’ayant que peu de rapport avec elle. Ensuite, « California », qui était le nom donné à une île dans une fiction écrite au 16e siècle par un écrivain espagnol, devint le nom que l’on colla un peu grossièrement à la biorégion quand elle fut rattachée à la partie océanique de la Nouvelle-Espagne. Le territoire de l’« Alta California » s’approcha alors approximativement de la biorégion, mais par accident uniquement : les Espagnols ne cherchaient qu’à témoigner de leur avancée au-delà la « Baja California ». Par la suite, vers le début du 19e siècle, le Mexique la posséda (comme la moitié de la partie ouest des États-Unis), mais, dès le milieu de ce siècle, presque toute la biorégion fut incluse dans la partie annexée aux territoires mexicains appelés « California ». Or, ceux-ci englobaient un ensemble de régions totalement étrangères les unes aux autres, dont le désert du Grand Bassin et d’autres zones sèches similaires au bas des Monts Tehachapi.
La biorégion qui existe au sein de ce qui est communément appelé Californie du Nord peut maintenant être considérée comme un tout séparé du reste et, dans une optique de réhabitation du lieu, devrait avoir sa propre identité politique. Il ne fait aucun doute que tant qu’elle appartiendra à un État plus grand, elle sera sujette aux revendications que la Californie du Sud avance sur des questions qui concernent son propre bassin-versant. Sa rivière coule déjà dans les canalisations de Los Angeles ; le contrôle des usages dans la Vallée Centrale est lui-même chapeauté par des réglementations qui servent les intérêts des monocultures du Sud. Or, d’un point de vue réhabitant, ces deux faits représentent des menaces mortelles pour la biorégion. Les élections de ces dernières décennies ont fait apparaître de grandes divergences d’opinion entre le Nord et le Sud de la Californie. Il y a fort à parier que cette différence s’accentuera avec les années, augmentant encore la pression des masses de population du Sud sur les problématiques biorégionales vitales du Nord.
La biorégion ne peut pas être traitée au regard de ses propres processus de continuité de la vie tant qu’elle n’est qu’une partie d’un ensemble plus large qui l’administre et la gouverne. Elle doit devenir un État séparé. En tant qu’État distinct, la biorégion pourrait reconfigurer ses frontières politiques pour créer des gouvernements à la fois liés à des bassins-versants précis et en même temps appropriés au maintien des lieux de vie locaux. Les conflits entre les villes et le pays pourraient être résolus sur des bases biorégionales. Peut-être que le plus grand avantage d’un État séparé serait la possibilité de proclamer l’existence d’un lieu au sein duquel chacun serait considéré comme membre d’une espèce partageant la planète avec toutes les autres. »
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Quatre versions de ce texte existent. Historiquement, sa toute première version est signée de Peter Berg seul, et s’intitule : « Strategies for reinhabiting the Northern California bioregion ». Paru dans la jeune revue Seriatim. Journal of Ecotopia en 1976, ce texte « déconcertant » – selon la critique de l’époque –, comporte l’une des premières occurrences historiques du terme de « biorégion ». Il est aujourd’hui disponible dans un recueil des principaux écrits de Peter Berg [4] C’est sur les conseils de Raymond Dasmann, qui entreprit une réécriture partielle du texte, et grâce à sa position reconnue dans le milieu scientifique, que ce premier article de Berg put paraître dans la revue à la renommée internationale The Ecologist dès l’année suivante [5] Une version augmentée de plusieurs paragraphes et remaniée par endroits fut par la suite publiée dans le premier ouvrage édité par la Planet Drum Foundation de Peter Berg et Judy Goldhaft en 1978, Reinhabiting a separate country : A bioregional anthology of Northern California. Cette version, qui est ici traduite*, peut être considérée comme le résultat le plus abouti de la collaboration entre Berg et Dasmann. Enfin, une dernière version plus courte, et encore différemment remaniée, parut tardivement dans plusieurs autres publications [6]
Le traducteur tient à remercier chaleureusement Judy Goldhaft pour son autorisation de traduire le texte et son implication dans ce projet ; Alice Weil pour son aide, sa relecture et ses corrections, et Ken Rabin pour ses précieux conseils de traduction.
[1] Raymond F. Dasmann, A system for defining and classifying natural regions for purposes of conservation, International Union for Conservation of Nature and Natural Resources (IUCN), n° 7, Morges (Suisse), 1973.
[2] Miklos D.F. Udvardy, A classification of the biogeographical provinces of the world, International Union for Conservation of Nature and Natural Resources (IUCN), n° 18, Morges (Suisse), 1975.
[3] Jack D. Forbes, The native American experience in California history, California Historical Quarterly, L, 3, septembre 1971, p. 234-242.
[4] Peter Berg, The biosphere and the bioregion, Cheryll Glotfelty & Eve Quesnel (eds.), Londres, Routledge, 2015, p. 263-270.
[5] Reinhabiting California, The Ecologist, VII, 10, décembre 1977.
[6] Dont Van Andruss et al. (eds.), HOME ! A bioregional reader, Philadelphie, New Society Publishers, 1990, p. 35-38 ; David Pepper, Environmentalism : Critical concepts, Londres, Routledge, vol. 2, 2003, p. 231-236
Biorégionalisme ?
Le biorégionalisme originel, l’art d’habiter ou de réhabiter la Terre en respectant le Vivant !
Idéologie politique éco-anarchiste, le biorégionalisme originel est donc né en Amérique du Nord dans les années 1970. C’est aussi, comme l’explique Mathias Rollot, un courant animaliste radicalement antispéciste « défendant, face à l’exploitation capitalistique industrieuse des milieux, un « holisme écologique » (une approche globale et inclusive de l’état de santé des écosystèmes) selon lequel la durabilité de tout établissement humain doit passer par une prise en compte pleinement écocentrée des milieux. » (Aux origines de la biorégion – métropolitiques – 2018)
Le respect du Vivant et sa régénération font véritablement partie de l’essence du biorégionalisme. Peter Berg et Raymond Dasmann considèrent que la responsabilité des humains dans la destruction des écosystèmes est indéniable et que partant de ce constat, les réhabitant·e·s ont un rôle clé à jouer dans la restauration écologique des biorégions.
La réhabitation est, selon Mathias Rollot, une forme de réancrage dans un lieu, et d’acceptation de tout ce que ça suppose : devenir moins mobile, passer plus de temps dans le réel que dans le virtuel, accepter l’interdépendance du vivant, vivre les conséquences directes de ses actes, etc. Des acceptions qui forment déjà quelque chose comme une philosophie, presque une cosmologie écologique.
« Le ré- de « réhabitant » sous-entend un avant et un après, comme si les gens n’habitaient plus, ou mal, et qu’ils s’y prenaient désormais un peu autrement. De ce point de vue, l’idée de réhabitant·e·s décrit donc la trajectoire de celles et ceux qui décident de changer de vie – pas forcément de lieu de vie, mais plutôt de mode de vie – pour entrer dans des formes d’appartenances réciproques plus grandes avec un milieu. »*
Pour imaginer une alternative à la situation dangereuse dans laquelle nous a plongé·e·s le « paradigme industrialo-scientifique », il suffit selon Kirpatrick Sale de devenir des « habitants de la Terre ». L’auteur de L’art d’habiter la Terre nous invite à reprendre notre juste place au sein de la grande toile du Vivant :
« Nous devons essayer de nous considérer comme des participants intégrés à, et non comme des maîtres de la communauté biotique. »
Le biorégionalisme est à la fois une idéologie politique éco-anarchiste, militante et radicale.
C’est un chemin, une chose à construire. Enfin, c’est une vision, un horizon, une éthique écocentrée à visage humain.
Pour Mathias Rollot, c’est aussi une pensée antiraciste, anticapitaliste, antispéciste, antidéterministe et antinationaliste.
Enfin, le biorégionalisme représente clairement une formidable double opportunité : résister au Système – notamment en créant une société sans État comme nous le verrons plus bas – et agréger l’ensemble des luttes écologiques, sociales et culturelles.
* : Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Wildproject – 2021
Une idéologie politique éco-anarchiste, militante et radicale - un chemin - une vision, un horizon, une éthique écocentrée à visage humain
« Néologisme utilisé pour servir une idéologie politique éco-anarchiste, le biorégionalisme est aussi un courant animaliste radicalement antispéciste défendant, face à l’exploitation capitalistique industrieuse des milieux, un « holisme écologique » (une approche globale et inclusive de l’état de santé des écosystèmes) selon lequel la durabilité de tout établissement humain doit passer par une prise en compte pleinement écocentrée des milieux. » Mathias Rollot – Aux origines de la biorégion – métropolitiques – 2018
« Le biorégionalisme est né de la rencontre entre des poètes (Allen Van Newkirk, Gary Snyder), un scientifique (Raymond Dasmann) et des artistes militants éco-anarchistes (Peter Berg et Judy Goldhaft). C’est cette rencontre un peu complexe qui a permis de jeter les bases de l’idée de biorégion telle que nous la discutons depuis. La notion est donc pleinement tenue entre la science, la poésie, l’art et la politique. Il me semble qu’il en est de même avec le biorégionalisme comme mouvement : il a été porté à la fois par des agriculteurs, des journalistes, des universitaires, des militants politiques et des mystiques.
[…] Pour revenir un peu à l’histoire originelle des années 1970, j’ai le sentiment que c’est surtout Peter Berg qui a métabolisé les idées de Dasmann pour les faire redescendre sur le terrain, au sein de ces fameuses « communautés réhabitantes ». Ce que je veux dire par là, c’est que je crois que c’est surtout Berg qui avait une vision. Et que sa manière de fonctionner était vraiment d’aller grappiller des tas d’idées et d’intuitions à droite et à gauche pour les glisser dans son hypothèse biorégionale personnelle. Le projet de Berg a vraiment été de politiser et de populariser le concept écologique de biorégion au service de cette écologie sociale défendue par Murray Bookchin. Peter Berg voulait reprendre cette idée de la distribution géographique du vivant en y intégrant aussi les communautés humaines, de façon à rendre les gens conscients et acteurs de ces milieux de vie. » *
Peter Berg et Judy Goldhaft avaient la conviction qu’« en matière d’écologie, il ne faut rien attendre des dirigeants : l’écologie sera populaire ou rien.
[…] La solution ne peut venir que des gens eux-mêmes, car on ne peut pas faire d’écologie contre les gens.
Peter Berg comme Doug Aberley ont tous les deux insisté sur le fait que le travail biorégional, prospectif comme cartographique, doit nécessairement se faire avec les gens. Je trouve ce parti pris vraiment juste, car l’un des nœuds de tout travail biorégional, c’est celui des communautés : réhabiter ne peut se faire que collectivement, et en un lieu de vie situé. » *
Mathias Rollot souligne également la dimension visionnaire et pionnière des biorégionalistes américains des années 1970 qui « posaient déjà avec clarté tout ce à quoi nous arrivons aujourd’hui avec beaucoup de retard – la question décoloniale, la fin du dualisme nature/culture, la réhabitation et l’ancrage dans un territoire qui n’est pas fermé (qui était déjà une forme de municipalisme écologique), les restaurations écologiques participatives, etc. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient été dépassés par les avancées écologiques ou politiques, ni par les réponses à apporter au désastre grandissant, à la Sixième Extinction, ou à l’environnementalisme et au capitalisme vert. Au contraire, on trouve chez les premiers biorégionalistes les germes de ce qu’on appelle aujourd’hui les « humanités écologiques » – et tout en ayant martelé dès le début la nécessité d’ancrer vraiment tout cela dans des pratiques partagées et populaires. Je veux dire par là qu’ils ont vraiment tenté de montrer qu’il fallait à tout prix tenir ensemble l’humain et le non-humain : à la fois observer, étudier et penser les deux simultanément, dans leurs dialogues, et en même temps tenir une préoccupation équivalente pour l’un est l’autre. Frédéric Dufoing l’a bien résumé, en disant que le biorégionalisme est une éthique « écocentrée à visage humain ». » *
« Si on prend l’exemple de Peter Berg, un biorégionaliste, c’est quand même une personne qui a passé sa vie à refuser tout « environnementalisme » – l’idée que l’on puisse critiquer le désastre écologique depuis son salon, sans changer ses pratiques ni ses engagements. Berg avait bien conscience que la critique ne sauverait pas le monde et qu’il est nécessaire d’aller sur le terrain, de faire l’écologie avec les gens, d’avoir des engagements incarnés, etc. L’idée qu’il faut être critique et proactif à la fois. Et ça, c’est exactement ce qu’il a passé sa vie à faire. Ce n’était pas un universitaire, mais plutôt un théoricien spontané et intuitif, un acteur de terrain qui savait penser et écrire, et qu’on dit aussi très charismatique. » *
« Le biorégionalisme n’est pas un lieu à atteindre, c’est un chemin, une chose qui reste toujours en construction, toujours à construire. Plus qu’une question de terre, de terroir ou de territoire à proprement parler, le biorégionalisme c’est une vision, un horizon, une éthique appliquée. Et c’est en cela que l’expression chère à Peter Berg me paraît profondément juste : ce qu’il faut réhabiter, ce sont des « lieux-de-vie » (« life-places ») – des lieux traversés par la vie, des vies toujours plus qu’humaines, et qui tiennent par des mutualismes, des relations mutuellement bénéfiques. » *
Pour Mathias Rollot, « Peter Berg et les diggers ne cherchaient pas forcément une solution ou une réponse aux problèmes du monde, ils essayaient avant tout de faire, ils commençaient par faire ici et maintenant, à la manière permaculturelle. »
Une pensée antiraciste, anticapitaliste, antispéciste, antidéterministe et antinationaliste.
Marin Schaffner : « Mais est-ce que le biorégionalisme n’est pas avant tout un mouvement blanc ? »
Mathias Rollot : « Majoritairement, oui, mais pas uniquement. Les pays qui s’en sont le plus emparés sont les États-Unis, le Canada, l’Angleterre et l’Italie, un peu le Japon, l’Australie, l’Espagne et le Mexique, et très tardivement enfin la France. Et par ailleurs, les fondateurs américains du biorégionalisme intégraient systématiquement la parole amérindienne dans leurs discours, leurs écrits et leurs réflexions. En lui donnant de la place, et en montrant qu’il y avait là une sagesse à réapprendre. Donc c’est quand même un mouvement de « blancs décoloniaux », et ce, dès les origines et aujourd’hui encore. De la même manière, en Italie, certains groupes biorégionalistes ont récemment pris position de façon très claire en faveur d’un accueil inconditionnel des exilé·e·s.C’est indéniable qu’une part importante de la théorie biorégionaliste va vraiment vers l’idée d’une société ouverte, accueillante et multiculturelle. Notamment par le décentrement du regard collectif vers des figures non plus seulement culturelles, mais aussi naturelles. Qu’est-ce que ça veut dire ? On aura toujours besoin de se rassembler autour de « figures » identitaires. Et peut-être que pour une fois on pourrait, consciemment et volontairement, arrêter de se rassembler autour des drapeaux, des frontières et des histoires nationales, et le faire autour des figures que forment aussi les lacs, les rivières, les bassins-versants et les forêts. Et ça, je pense que c’est une entrée – pourtant très peu travaillée en France – qui peut participer de l’avènement d’une société antiraciste. Alors qu’on assiste à un retour assez fort dans les discours médiatico-politiques des idées de relocalisation et de souveraineté, il y a un vrai enjeu à construire intelligemment ces relocalisations pour les protéger à la fois de l’ultralibéral, du traditionalisme, du repli sur soi et de la xénophobie. Et ça, c’est toute la question – encore peu traitée – des potentialités antiracistes de l’écologie. »
Marin Schaffner : « Ce dont on parle aussi en creux ici, c’est d’une écologie certes antiraciste, mais également antipatriarcale, anticapitaliste et même antiétatique. »
Mathias Rollot : « Mais oui. Quand tu dis ça, pour moi, tu donnes l’essence de ce que devrait être le biorégionalisme. Ou, comme le dit Snyder, « toute personne, peu importe son ethnie, sa langue, sa religion ou son origine est la bienvenue, dans la mesure où elle mène une vie en bonne intelligence avec les lieux. »
Marin Schaffner : « Et ça, ce sont aussi les cadres explicites de l’écologie sociale de Murray Bookchin… »
Mathias Rollot : « Si on s’essaie aux différences (ce qui peut être un jeu intéressant), j’ai l’impression que le biorégionalisme se revendique plus ouvertement de l’écologie profonde. Au contraire de Bookchin, les biorégionalistes américains ont été proches d’Earth First ! pendant des décennies, tout en défendant une cosmologie un peu romantique de la nature – en mettant l’accent sur l’importance de parcourir les milieux de vie, de ressentir les géographies, de les chanter, les danser, les mettre en poésie, etc. Or, j’ai l’impression que chez Bookchin, il s’agit quand même plus d’une théorie politique – assez difficile d’accès d’ailleurs – qui dit l’importance de l’écologie, mais qui ne la décrit pas depuis une pratique concrète et de terrain. Il n’y a pas, chez lui, à ma connaissance, une écriture des lieux et des milieux comparable à ce qu’a pu faire un Gary Snyder, un Peter Berg ou un Giuseppe Moretti, par exemple. De plus, le biorégionalisme essaie de redire, aussi, la singularité d’une position géographique sur la biosphère, et le fait que là il va se passer des choses particulières, et ça pour tous les endroits de la Terre. Or ça, je n’ai pas l’impression que ce soit très présent chez Bookchin non plus.
Mais Murray Bookchin est sûrement à mettre dans la constellation de ce biorégionalisme non unifié, notamment pour ses apports sur les questions d’organisation politique à la fois écologiques et sociales. Des questions d’ailleurs, qui ne sont pas vraiment le fort de la théorie biorégionaliste. Chez Peter Berg, on trouve aussi des propositions de démocratie locale assez libertaires, notamment autour de l’idée de « conseils de bassin-versant ». Et de façon générale, on pourrait quand même dire que les penseurs et acteurs du mouvement semblent, en grande majorité, familiers avec les systèmes politiques développés selon le modèle de l’écologie sociale de Bookchin. C’est donc sans doute un penseur de cette grande famille biorégionaliste hétérogène. Bookchin y a ses particularités, mais comme ils en ont toutes et tous.
Dans cette constellation d’auteurs et d’autrices pouvant concourir à l’idée biorégionaliste, on peut donc aller chercher un tel ou une telle, selon nos besoins et pour des raisons différentes. Sion veut de la théorie politique, on peut se tourner vers un Murray Bookchin. Si on veut de la poésie et du sauvage, on a Gary Snyder. Si on veut plutôt des manifestes et des manuels accessibles, ce sera chez Peter Berg. Si on veut de la cartographie et de l’histoire, Doug Aberley. Si on veut une théorie générale du biorégionalisme, Kirkpatrick Sale. Et ainsi de suite. On retrouve même la sorcière païenne Starhawk dans Turtle Talks, un livre d’entretiens de 1990 qui se revendique du mouvement – ce qui prouve aussi que les porosités sont nombreuses et que le biorégionalsime se nourrit de perspectives multiples. » *
En lien étroit avec l’écologie profonde, l’écoféminisme, l’écologie sociale, le décroissantisme et l’écologie décoloniale, le biorégionalisme représente également une des principales inspirations de la permaculture.
* : Qu’est-ce qu’une biorégion ? – Mathias Rollot & Marin Schaffner – Éditions Wildproject – 2021
Un moyen de résister au Système et d'agréger les autres luttes !
Idéologie politique éco-anarchiste, biocentrée – animaliste et antispéciste -, anticapitaliste et antinationaliste, le biorégionalisme a clairement pour vocation de résister au Système dominant actuel – écocidaire, anthropocentré, spéciste, capitaliste et nationaliste. Et ses liens étroits avec d’autres courants écologistes essentiels – l’écologie profonde, l’écoféminisme, le décroissantisme et l’écologie décoloniale – renforcent cette opposition viscérale aux autres dimensions caractérisant le Système : greenwashing, patriarcat, religion de la croissance infinie et colonialisme latent (l’expression « France-Afrique » est très révélatrice tout comme la poursuite de logiques d’interventionisme, voire d’ingérence). Dans Qu’est-ce qu’une biorégion ? Mathias Rollot insiste clairement sur ce point :
« La théorie biorégionaliste n’est utile qu’à celles et ceux pour qui elle peut servir d’anti- dote à un mode de vie empoisonné et empoisonnant. L’idée de biorégion ne peut servir qu’à celles et ceux pour qui elle pourrait être transformatrice. Le biorégionalisme a été conçu comme une modalité de résistance, un outil de lutte pour les sociétés occidentales modernes, en réponse à elles et à leur modes de fonctionnement. C’est nous, les habitants de ces sociétés modernes, qu’il confronte. »
Parallèlement à cet éclairage judicieux, Mathias Rollot partage sa préoccupation de voir la biorégion récupérée à son tour par le Système.
« Comment faire en sorte de construire un modèle qui ne soit pas récupérable trop facilement par le système ? Là aussi, je crois que nous avons des choses à inventer, une stratégie à monter, de toute urgence même, si on ne veut pas que l’idée de biorégion soit à son tour vidée de son sens par le système économique et politique actuel. Peut-être que tant que cette idée sert à relier vraiment celles et ceux qui luttent et vivent de façon biorégionale (et qui ne revendiquent pas forcément le terme d’ailleurs), avec celles et ceux qui participent à la diffusion des idées et des histoires biorégionales, alors la récupération est limitée. Car si on peut très facilement vider de sens un concept, on ne récupère peut-être que plus difficilement une communauté de personnes en lutte.
C’est en tout cas quelque chose de central pour moi aujourd’hui que de savoir comment je peux accompagner l’amplification du biorégionalisme en France, sans faire le jeu d’un système qui va forcément chercher à le récupérer. Autrement dit, que dire et que faire pour en limiter la récupérabilité systémique, tout en favorisant sa diffusion populaire ? »
La même préoccupation fort légitime – au vu du malin plaisir que prend le Système à dévoyer le sens de concepts nobles comme ce fut le cas récemment pour le Revenu universel ou la résilience – anime également les trois membres du Réseau des Territorialistes. D’autant plus que cette récupération semble avoir déjà commencé.
« Il convient donc d’être très méfiant à l’endroit de propositions biorégionales qui, comme nous l’avons vu, restent enceintes dans les cadres et règles des institutions d’État, particulièrement dans des déclinaisons locales pleinement compatibles avec la rationalité instrumentale et ses visées de développement. En France, on trouve un parfait exemple de ce faux-semblant avec l’appellation biovallée drômoise, utilisant pourtant la racine grecque « forme de vie » et adossant son projet à l’écosystème d’une vallée. Mais si, comme l’annonçait la gestion du fleuve Arno en Toscane, l’objectif de départ était de restaurer l’écosystème très pollué de la rivière de la Drôme, cette expérience est vite apparue, tel en Aquitaine, comme velléité institutionnelle, et ce par le véhicule de trois communautés de communes (Val de Drôme, Crestois et Pays de Saillans, Diois). Aujourd’hui, le principe d’action de l’association interterritoriale est la labellisation à des fins économiques. La biovallée devient donc une marque, sous couvert de durabilité : « L’association permet à ses adhérents de revendiquer leur appartenance à Biovallée. Ils peuvent utiliser la marque pour présenter leur structure. En contrepartie, ils s’engagent à « faire leur part » pour atteindre les objectifs de Biovallée : diviser par deux les consommations d’énergie, couvrir nos besoins par la production d’énergie renouvelable, acheter local, développer les CDI, utiliser des fonds éthiques…». La structure gestionnaire a ce faisant accédé à plusieurs subventions d’envergure, comme celle octroyée en 2018 dans le cadre du concours Territoires innovants (20 millions d’euros) porté par le gouvernement central. Et la biovallée devient institution, au point que l’on parle de la
« Communauté de communes du Val de Drôme en biovallée » pour alors co-construire « une métropole rurale responsable, innovante et alternative » (site internet de la CCVD).
Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme dénoncent aussi le projet aquitain de biorégion portée entre 2012 et 2015 par le Département de la Gironde, en collaboration avec le Pays Médoc, le Parc Naturel régional des Landes de Gascogne, le Syndicat Mixte de l’Aire Métropolitaine bordelaise.
« Si le projet semble être valorisable et se présente comme une « avancée écologique », il n’est pourtant pas possible de parler de réussite – mais bien plutôt de contre-exemple, voire de duperie. Ne nous y trompons pas, dans la veine qui plus est très affadie de la pensée territorialiste italienne, cette démarche dite de recherche s’est finalement révélée être un projet technico-institutionnel de gestion territoriale, au service d’une adaptation aux logiques infrastructurelles de l’urbanisation métropolitaine incontrôlée. À travers la mise en place de cette stratégie dite nouvelle du territoire, l’objectif a bien été une valorisation économique et sociale du « patrimoine naturel » aquitain. Et sous couvert d’incarner et d’ancrer les grands enjeux européens de protection du territoire et de restauration des ressources, les résultats n’ont été que dans le sens du développement capitalistique de la région, ne permettant d’aucune manière d’accéder à plus de résilience et plus encore à une quelconque autonomie. »
Si le biorégionalisme est donc bien un moyen de résister au Système, Mathias Rollot rappelle également que cette idéologie politique pourrait également agréger les autres luttes écologiques, sociales et culturelles qui pourraient se rencontrer sur le socle commun de la biorégion.
« Peut-être que le plus grand espoir du mouvement biorégionaliste réside dans son association avec d’autres mouvements. Le biorégionalisme accompagne les transformations culturelles ancrées en un lieu. La biorégion pourrait devenir l’arène politique où développer la résistance à toutes les formes d’exploitations écologiques et sociales. » Doug Aberley – Interpreting Bioregionalism: A story from many voices – dans Bioregionalism de Michael Vincent McGinnis – 1999
L’une des préoccupations majeures de L’Archipel du Vivant est d’associer – à cette nécessaire et vitale révolution au service du Vivant – les différentes catégories de populations déjà victimisées aujourd’hui dans notre société si injuste socialement et si peu démocratique : les plus défavorisé·e·s au premier rang desquel·le·s les sans-abris, les personnes vivant dans nos quartiers « sensibles », les personnes en situation de handicap et les personnes dont l’orientation sexuelle n’est pas conforme au modèle hétéro, sans oublier les migrant·e·s et les personnes en situation « irrégulière ». Les sensibiliser à l’extrême gravité de la situation écologique et à l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle – déjà engagé, mais imminent dans son stade ultime – n’est pas chose aisée. Car ces personnes souffrent au quotidien de mépris et d’indifférence, de racisme, d’insultes et de violence gratuite, y compris en provenance des forces de l’ordre. Elles vivent pour une grande majorité dans l’enfer urbain ou métropolitain et sont loin d’imaginer une vie meilleure hors de leur environnement bétonné et bitumé. Hélas, ce sont ces mêmes personnes – déjà malmenées aujourd’hui – qui risquent fort de souffrir le plus demain lorsque les choses vont irrémédiablement basculer…
Source : Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale – Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant, 2020
Le biorégionalisme, un mouvement qui nous invite à réhabiter la Terre.
La biorégion est incompatible avec l’État-nation et la métropolisation !
Éco-anarchiste, le biorégionalisme originel est inévitablement contraire à l’idée même d’État, cette forme de pouvoir hiérarchique qui s’exerce du haut vers le bas, par des personnes non représentatives de la population et qui servent d’avantage la finance et l’économie ou leurs propres intérêts. Les « grandes démocraties » du monde n’ont de démocratique que l’appellation et sont de véritables oligarchies, le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ayant été confisqué par une élite à qui le suffrage universel sert de blanc seing.
Pour Mathias Rollot, la réalité géographique d’une biorégion ne correspond pas aux frontières politiques artificielles et arbitraires qui délimitent les États-nations.
« La biorégion est un autre paradigme que celui de l’État. Le biorégionalisme ne fait pas comme s’il n’était pas là, mais c’est vrai qu’il en parle peu. Car je crois en fait que ce modèle théorique cherche au fond à mettre en lumière la possibilité, voire l’intérêt, d’une société sans État. […] La biorégion n’est assurément pas une limite administrative supplémentaire, ni une réorganisation interne de l’État-nation en bassins-versants. Les biorégions seraient d’ailleurs pour bon nombre d’entre elles, à cheval sur plusieurs États-nations actuels. La meilleure chose à faire pour solidifier ce point serait sans doute de recouper les objectifs biorégionalistes avec une théorie politique, celle de Bookchin ou une autre. C’est un chantier qui reste largement à construire. »
Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme soulignent la même incompatibilité de la biorégion avec l’autorité centrale de l’État-nation. Les trois membres du Réseau français des Territorialistes y associent une seconde opposition tout aussi évidente, celle entre biorégionalisme et métropolisation. À leurs yeux, la principale ambition politique de la biorégion est bien de « faire sécession des États-nations et de la métropolisation par relocalisation de la communauté géographique ».
« La biorégion est en fait aux antipodes des institutions nationalistes et de leurs desseins capitalistes, des déclinaisons administratives territorialisées et de leur développementalisme soit disant de plus en plus écologiquement rationnel. Pour les auteur·ice·s nord-américain·e·s, cette dimension sécessionniste ne fait aucun doute.
[…] Si dans la pensée biorégionaliste, la sécession première est celle des chaines de dépendance des États-nations, ainsi que de leurs duplications sous la forme de baronnies territorialisées, cela ne peut se faire sans consubstantiellement rompre avec leurs premières constructions : les métropoles. La biorégion fait en théorie d’une pierre deux coups, considérant la dualité historique : remiser les découpages et les modes d’intervention de la souveraineté nationale et de l’autorité centrale, et à cette fin démanteler les grandes villes, creuset des hiérarchies nécessaires à la polarisation marchande et au capitalisme infrastructurel. La fragmentation, clairement inscrite dans la pensée biorégionaliste passe alors par le débranchement métropolitain. »
Enseignant à Science Po Lyon, Guillaume Faburel a consacré deux livres à « l’urbanisation de la Terre » et à la « métropolisation du monde ». Dans Les métropoles barbares et Pour en finir avec les grandes villes, il dénonce le gouffre écologique énergivore et écocidaire qu’elles constituent. Elles sont pour lui le reflet de l’artificialité totalement hors-sol de notre civilisation thermo-industrielle et à l’origine même de l’anéantissement du vivant. BTP, transports, numérique et communications… l’empreinte écologique des villes est délétère, mortifère : extraction abusive et sans limites des ressources, sur-consommation énergétique, destruction des habitats naturels et artificialisation des sols, émission de gaz à effet de serre et donc pollution atmosphérique, production massive et hyper consommation, sans oublier évidemment tous les déchets associés… Dans son réquisitoire, l’initiateur de la Société écologique du post-urbain1 présente, preuves à l’appui, les grandes villes et métropoles comme le berceau de l’explosion des inégalité sociales : gentrification, ségrégation, éviction des plus démuni·e·s. Et le pire, c’est que le vernis éco-responsable – greenwashing pervers – est souvent à l’origine même du problème. La biorégion vise la préservation du Vivant et l’abolition des rapports de domination du fait de son essence anarchiste. Elle semble donc parfaitement antynomique avec l’urbain/métropolitain, moteur principal de l’impact écologique catastrophique et épicentre des inégalités.
Biocentrée, le biorégionalisme nord-américain est viscéralement étranger à la délétère artificialisation inhérente à l’urbanisation du monde et à la métropolisation de la Terre, toutes deux totalement déconnectées du Vivant puisqu’elles croissent en le détruisant.
La fin des métropoles et de l'État-nation... le début des biorégions !
Tribune
La biorégion urbaine ou comment dévoyer une idée noble…
Comment diable le concept de biorégion urbaine a-t-il pu bien germer dans l’esprit de l’urbaniste italien Alberto Magnaghi ? Par quel coup de baguette magique a-t-il pu imaginer associer une idée aussi ancrée dans le Vivant, autant connectée à la grande toile de la vie, avec la dimension profondément artificielle et totalement déracinée de la ville – et a fortiori de la métropole – dont le développement se fait justement à l’insu des différentes formes de vie qui peuplent la Terre ?
L’éloignement géographique entre le berceau de la culture latine et le continent nord-américain est-il la raison principale d’une telle perversion ? Peu probable ! Lancé par Guiseppe Morretti, le mouvement biorégionaliste italien historique est très fidèle aux racines nord-américaines du courant. Morretti était très proche des biorégionalistes nord-américain·e·s et notamment de Peter Berg.
Dans la tribune Aux origines de la biorégion. Des biorégionalistes américains aux territorialistes italiens (publiée sur le site Métropolitiques le 22 octobre 2018), Mathias Rollot expose les 3 principales raisons pour lesquelles il considère que le courant italien d’Alberto Magnaghi a dévoyé le biorégionalisme originel :
1. Alberto Magnaghi ne s’appuie sur aucun biorégionaliste historique ni américain, ni italien (Berg et Sale sont à peine cités) pour proposer une acception « territorialiste » de la biorégion et présente de manière erronée le biorégionalisme comme une poursuite des travaux de la Regional Planning Association of America alors même que le biorégionalisme américain s’est bien au contraire attelé à une critique fondée sur les limites du planning conventionnel en se différenciant singulièrement des approches historiques de « l’urban planning », du « regional planning », de « l’infrastructural planning » et du « resource planning ».
2. La notion de biorégion « est hyperbolée, voire floutée, au sein du texte de Magnaghi, de sorte qu’il est très difficile de situer quelle définition claire en proposerait le chercheur italien. À de nombreux égards, l’auteur ne semble voir dans le terme de « biorégion » qu’un moyen efficace de reformuler ses théories précédentes sur « le projet local ». … J’ose croire qu’on n’appellera pas « biorégionaliste » sans y réfléchir à deux fois la pensée d’Alberto Magnaghi après ces constats. »
3. « Le problème devient plus gênant lorsqu’il brouille les cartes sur l’idéologie biorégionale elle-même. L’expression « biorégion urbaine » n’est-elle pas, à ce sujet, un contresens complet ? Si le terme de « biorégion » désignait originellement à la fois un contexte naturel et les idées humaines à son propos, s’il caractérisait bien un ensemble fait d’humains et de non-humains, de bassins versants et d’établissements humains, de populations animales et d’histoires culturelles, d’ensembles végétaux et de pratiques artistiques, de types de sols et d’imaginaires communs, de climats et de symboliques signifiantes, que peut bien vouloir dire l’expression « biorégion urbaine » ? Faudrait-il alors parler, en revers, de « biorégions rurales » ? Quel sens tout cela peut-il bien avoir à l’heure où toute la planète a été anthropisée, et où les enjeux contemporains de notre œkoumène résident plutôt dans la reconnexion entre ville et campagne ? On sent bien ici à quel point un écart pourrait apparaître entre les théories territorialistes italiennes et leurs préoccupations anthropiques, et les objectifs biorégionalistes éco-anarchistes originels. »
Biorégionalisme original/historique, éco-anarchiste et biocentré
C’est l’école nord-américaine initiée par Allen Van Newkirk, Peter Berg, Raymond Dasmann et Judy Goldhaft !
Pour en savoir plus...
Approche
« naturaliste » nord-américaine
holistique : artistique, scientifique et éco-anarchiste
Liens étroits avec le biocentrisme, la Permaculture, l’écologie sociale et le municipalisme libertaire, l’écoféminisme, l’écologie profonde, la décroissance…
Aception de la biorégion
Écologiste
Le cœur de la biorégion
le vivant et les réhabitant·e·s surtout en milieu rural
Définition de la biorégion
Lieu de vie plus qu’humain, partagé et co-habité.
Basin versant, territoire fluvial cartographiable + récit collectif / projet politique
Origines
1975 – Allen Van Newkirk (chercheur canadien) auteur de la toute première définition
1978 – Peter Berg (éco-anarchiste américain) et Raymond Dasmann (scientifique américain)
États-Unis et Canada
Biorégionalistes : Peter Berg, Raymond Dasmann, Allen Van Newkirk, Gary Snyder, Judy Goldhaft, Kirkpatrick Sale, Doug Aberley, Christopher et Judith Plant, Van Andruss, Eelanor Wright, Michael Vincent McGinnis, Robert L.Thayer Jr, Mike Carr, T. Lynch, K. Armbruster, Cheryll Glotfelty, Eve Quesnel
Organisation : Planet Drum Fondation
Média : Raise the Stakes!
Italie
Biorégionalistes : Giuseppe Moretti, Fabrizio Zani, G. Zavalloni, E. Addey
Organisation : Rete Bioregionale Italiana
Médias : AAM Terra Nuova (années 1980), Lato Selvatico (1992 fondée par Giuseppe Moretti)
France et Belgique
Biorégionalistes : Mathias Rollot, Marin Schaffner, Guillaume Faburel, Maële Giard, Frédéric Dufoing
Organisations : Réseau français des Territorialistes, L’Archipel du Vivant
Démarche associative et politique : Les États Généraux du Post-Urbain
Ouvrage fondateur
Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – sous la direction de Peter Berg – Planet Drum Fondation – 1978
Biorégionalisme urbain,
territorialiste et anthropocentré
C’est l’école italienne d’Alberto Magnaghi.
Pour en savoir plus...
Approche
« culturaliste » italien
urbanistique issue de la planification territoriale
Aception de la biorégion
Urbaniste et Territorialiste (planification territoriale)
Le cœur de la biorégion
la ville, l’urbain
Définition de la « biorégion urbaine »
« Ensemble de systèmes territoriaux fortement transformés par l’homme, caractérisés par la présence d’une pluralité de centres urbains et ruraux organisés en systèmes réticulaires et non hiéarchisés, en équilibre dynamique avec leur milieu ambiant. »
Origines
2000 – Alberto Magnaghi (enseignant-chercheur en planification territoriale)
Italie
Biorégionalistes : Alberto Managhi, Claudio Saragosa, David Fanfani, Daniela Poli
Organisation : Laboratorio di Progettazione Ecologica degli Insediamenti (LAPEI)
France
Biorégionalistes : Agnès Sinaï, Yves Cochet, Benoit Thévard
Organisation : Institut Momentum
Avec le petit bémol qu’ils évoquent un exode urbain massif et qu’il s’agit d’une commande du Think Tank « Forum Vies Mobiles » de la SNCF
Ouvrage fondateur
Il progetto locale – Alberto Magnaghi – Bollati Boringhieri – 2000
Le courant territorialiste italien d’Alberto Magnaghi a clairement détourné/dévoyé/perverti le concept de biorégion de son essence originelle en l’associant à l’urbain et en faisant un outil de planification territoriale.
Une expérience inspirante : Cascadia !





« Des montagnes à l’océan s’étend une grande terre verte. Sur le pourtour nord-est du Pacifique, la terre et la mer s’entrelacent en grands flux cycliques. Cette terre est un cadeau de la mer. Cascadia est un lieu de vie, une biorégion, avec ses caracté- ristiques et son contexte distincts. L’eau est la voix de ce lieu. Cascadia, ça dit bien ce que ça veut dire : Cascadia au sens de cascades ! Cascadia est le nom des courants d’eaux vives qui dévalent les pentes des montagnes du coin. Les cascades et les chutes d’eau sont la signature de cette région, assemblant la terre & la mer & le ciel en des cycles de vie infinis. L’eau sym- bolise les dynamiques qui s’écoulent ensemble à de nombreux niveaux pour former la Cascadia : les forces tectoniques qui s’ap- pliquent sur les terres immergées et la croûte terrestre, les motifs climatiques, les courants marins, les bassins-versants, les cycles glaciaires, l’écologie de la faune et de la flore… Ces synergies naturelles se reflètent dans les différentes formes sociales et culturelles natives du lieu, les fonctionnements des colonies oc- cidentales, autant que dans la société et l’usage des sols actuels – c’est d’une histoire et d’une destinée commune dont il s’agit. La convergence de tous ces calques supérieurs et inférieurs fait de la Cascadia une biorégion distincte, à part entière. »
Rédigé par le biorégionaliste David Mc Closkey, ce texte accompagne la version 2014 de sa fameuse carte de Cascadia. Ce texte est celui choisi par Mathias Rollot pour présenter Cascadia dans son livre Qu’est-ce qu’une biorégion ? co-écrit avec Marin Schaffner. Professeur à l’Université de Seattle, sociologue et éco- logiste, David Mc Closkey évoque cette biorégion pour la toute première fois en 1970. Cascadia est clairement l’expérience de biorégion la plus aboutie à ce jour, même si le profond désir sécessionniste et autonomiste ne s’est pas réalisé dans les faits. Dans le Carnet de la décroissance n°4 paru à l’été 2021 – Biorégion. Pour une écologie politique vivante -, Guillaume Faburel, Maële Giard et Raphaël Lhomme mettent en lumière toute la singularité de l’expérience cascadienne.
« La biorégion Cascadia s’étend le long de la côte nord-ouest des États-Unis et du Canada. Elle comprend la Colombie britannique, les États de Washington et de l’Oregon. Ses limites étant perméables, elle s’étend parfois, jusqu’au nord de la Californie et à l’Ouest du Montana (Celnik, 2015). Sa cartographie n’est volontairement pas figée. Il est donc a priori difficile d’en déduire quelques frontières. Ce serait de toute façon contraire à l’idée-même de biorégion. Néanmoins, il existe diverses représentations de cette biorégion montrant par effet miroir la totale absur- dité écologique des découpages institutionnels et administratifs.
[…] En fait Cascadia repose sur une certaine unité naturelle, au fondement même de la pensée biorégionaliste.
[…] On comprend donc qu’il existe un écosystème naturel singulier autour d’un réseau hydrographique. Et cet écosystème est constamment mis en danger par des grands projets auxquels la population va tenter de résister. C’est notamment le cas avec le projet d’oléoduc Keystone XL finalement abandonné grâce à l’action des mouvements écologistes. Aujourd’hui, de larges mobilisations s’opposent toujours à des projets d’extraction dans la région de Cascadia, confirmant cette attention locale aux milieux de vie. Pour Celnik « la Cascadia est probablement la région la plus verte d’Amérique du Nord, ce qui est dû à la fois à des politiques volontaristes de transition énergétique, à des citoyens conscients des enjeux écologiques et mobilisés, mais surtout à une conscience du lieu très forte » (2017 : 134).
À l’unité naturelle s’ajoute donc une unité culturelle et sociale. Selon Celnik, beaucoup d’habitant·e·s se considèrent avant tout comme des « cascadien·ne·s » (et non étatsunien·ne·s par exemple). Ceci est renforcé par différents symboles et événe- ments allant de l’organisation d’un tournoi de football (Cascadia Cup) à un drapeau (Cascadia Flag) en passant par le brassage d’une bière locale (Cascadia Dark Ale). Plusieurs mouvements et organisations forment un réseau et font vivre et exister la bioré- gion de différentes manières. Plus encore, sur cette base unitaire et avec ce dessein d’autonomie, plusieurs groupes biorégiona- listes revendiquent l’indépendance de Cascadia face aux États- Unis et au Canada.
Cette aspiration va même jusqu’au classement de la région Cascadia comme l’une des dix «aspiring nations», selon le Times (2001), aux côtés du Québec ou du Pays Basque. Et cette idée de créer une nation indépendante n’est pas nouvelle sur cette partie du continent Américain. Julie Celnik rappelle que déjà au XVIIème siècle, le président Thomas Jefferson y voyait une Ré- publique du Pacifique s’appuyant sur les sociétés agraires : des communautés de fermier·ère·s autonomes. On retrouve aussi cette idée dans le livre d’Ernest Callenbach dans son roman Ecotopia paru en 1975. »
Je me souviens comment ce même parallèle entre Cascadia et Écotopia m’avait immédiatement sauté aux yeux à l’été 2020. Sé- duit par l’extraordinaire vision d’Ernest Callenbach, je découvrais alors l’existence de Cascadia grâce à… Maële Giard et Guillaume Faburel qui intervenaient dans le cadre des Rencontres d’été de PEPS (Pour une Écologie Populaire et Sociale) dans la Drôme. Si les contours ne sont pas tout à fait identiques, la localisation as- sez proche est pour le moins troublante. David Mc Closkey a-t-il inspiré Ernest Callenbach – son roman inspirant potentiellement à son tour le récit cascadien – ou s’agit-il d’une intuition commune ? Quoi qu’il en soit, ce territoire est un terreau fertile pour les ima- ginaires écologistes et secessionistes ! D’ailleurs, où en est Cascadia par rapport à son ambiton sécessionniste et autonomiste ? Les trois membres du Réseau des Territorialistes terminent justement leur présentation de la biorégion nord-américaine en se penchant sur cette question : « […] Il existe même déjà quelques institutions biorégionales au sein de Cascadia. C’est notamment ce que considère Celnik dans son étude des watershed councils (conseils de bassin-versant), qui sont « créé[s] de façon volontaire dans le but de protéger, ou de restaurer, un bassin versant. Les efforts portent souvent sur la qualité de l’eau, ou sur la protection d’une espèce en particulier, mais c’est tout un écosystème local qui est pris en compte. L’un des aspects originaux de ces water- shed councils est qu’ils sont constitués d’individus appartenant aux différentes communautés locales, aux intérêts différents et parfois conflictuels » (2017 : 131). Pour l’autrice, ces conseils s’ins– crivent doublement dans une logique biorégionale. Ils sont cen- trés sur des écosystèmes et s’appuient pour leur fonctionnement sur une organisation immanquablement ascendante. Toutefois, force est de reconnaître que ces institutions demeurent forgées et régulées par le système existant. Et ainsi, si la volonté sécession- niste et autonomiste est présente dans les écrits de Cascadia, la réalité des faits s’en éloigne quelque peu ».
Source : Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! Utopie éclairée, la révolution est vitale – Jean-Christophe Anna – L’Archipel du Vivant – 2021
Le biorégionalisme : une utopie salvatrice ?
« En son sens le plus basique, le biorégionalisme exprime ces idées essentielles que je crois nécessaire à la survie de l’humanité sur la Terre : la compréhension écologique, la conscience régionale et communautaire, la possibilité de développer un ensemble de sagesses et de spiritualités basées sur la nature, la sensibilité bio-centrée, l’organisation sociale décentralisée, l’entraide et l’humilité des groupes humains.
J’ai écrit il y a trente ans que le biorégionalisme était « le moyen crucial, et peut-être virtuellement le seul possible, pour mettre fin à l’imminente apocalypse écologique » – qui est devenue bien pire qu’elle ne l’était alors, et qui menace désormais sérieusement la capacité de la Terre à rester un habitat hospitalier pour la vie. Tant que la compréhension biorégionale ne sera pas une optique partagée par la majorité de l’humanité, cette apocalypse continuera de menacer nos avenirs respectifs. Nous n’avons vraiment aucun autre choix. » Kirkpatrick Sale (2016) – Préface de l’auteur à l’édition française – L’Art d’habiter la Terre – Wildproject, 2020
« Le biorégionalisme sauvera la situation, ou pas. Il n’est rien de plus que ce qui arrivera, forcément, après la catastrophe, parce que c’est la manière qu’ont les écosystèmes naturels eux-mêmes de fonctionner. » Mathias Rollot – Avant-Propos de l’édition française – L’Art d’habiter la Terre – Wildproject, 2020
Ces deux citations – toutes deux issues de l’édition française L’Art d’habiter la Terre de Kirkpatrick Sale (Dwellers in the Land – 1985) illustrent parfaitement l’enjeu de la dynamique initiée par la Société Écologique du Post-Urbain et L’Archipel du Vivant (cf plus bas l’Appel Concevoir une biorégion depuis son espace écologique de vie).
Il est grand temps de nous mettre toutes et tous au service du Vivant pour imaginer une nouvelle façon d’habiter la Terre et de faire société, en nous délivrant de tous les rapports de domination et en recouvrant notre pleine et entière souveraineté via la mise en place d’une véritable démocratie.
Les acteurs du biorégionalisme
Pour en savoir plus...
Urbanisation généralisée et métropolisation, alternatives écologiques et France périphérique, néo-ruralités et biorégion… le réseau des Territorialistes s’intéresse aux dynamiques géographiques et aux imaginaires politiques qui les fondent. Il souhaite par cette entrée double donner à voir d’autres manières d’habiter la terre, les critiques que figurent ces formes-de-vie (ex : décroissance) et les savoirs sur lesquelles ces formes s’appuient (de la rénovation écologique aux savoirs paysans, de la communication non-violente aux expériences autogestionnaires…).
Pour ce faire, ce réseau est composé de chercheur·euse·s, praticien·ne·s, étudiant·e·s et militant·e·s menant enquêtes de terrain et débats, autour par exemple d’expériences biorégionales et leurs écologies politiques, des initiatives habitantes dans des lieux de vie périphériques, des découpages et visées de la géographie institutionnelle, des héritages fonctionnalistes et des problèmes écologiques qu’ils posent aujourd’hui…
Pour en savoir plus...
Le collectif des EGPU regroupe une trentaine d’organisations de l’alternative sociale et écologique, réunie par une triple ambition :
- mettre en débat les liens entre urbanisation des territoires, métropolisation du monde et bouleversements écologiques et sociaux actuels
- penser les modalités d’une relocalisation des activités et d’une installation écologiquement viable des populations dans les différentes régions encore à dominante rurale
- partager les expériences des alternatives écologiques et des initiatives sociales qui maillent de plus en plus l’espace hexagonal.
Pour en savoir plus...
Notre vision
Un monde écologiquement soutenable qui prend soin du vivant, sans rapport de domination et privilégiant la coopération, dans lequel les besoins essentiels des êtres vivants – humains et non humains – sont respectés.
Notre mission
Développer la résilience locale et faciliter la coopération entre les initiatives alternatives existantes pour faire émerger une nouvelle société.
Nos 3 ambitions – les 3 étapes du projet
1. PARTAGE
Site web ressources
Réunir sur un site web toutes les informations utiles pour servir de boussole afin d’identifier, appréhender et relever toutes et tous ensemble les immenses défis de notre époque : se former aux compétences clés du XXIème siècle (permaculture, art de vie sauvage, low-tech, gouvernance, communication bienveillante, éducation alternative…), comprendre les enjeux, découvrir les initiatives alternatives les plus inspirantes dans les territoires, changer de vie, basculer, se débrancher du système, etc.
2. RÉSILIENCE
Recherche, design et accompagnement des territoires à l’anticipation des risques systémiques
Organiser les conditions de la résilience systémique (hydrique, alimentaire, énergétique, sanitaire, sécuritaire, économique et financière) à l’échelle locale (celle de la biorégion) entre les acteurs alternatifs déjà présents* afin de constituer des “archipels“ territoriaux. C’est uniquement en articulant leur interdépendance et en les mettant en réseau qu’une véritable résilience est possible.
3. ÉMANCIPATION
Mise en place de piliers sociétaux alternatifs
Créer une société nouvelle, confédération de microsociétés biorégionales autogérées, sur le principe du municipalisme libertaire et du confédéralisme démocratique.
« L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé. » Théodore Monod.
* : Écovillages, Écolieux, Tiers-lieux, Fermes bio, AMAP, Recycleries et Ressourceries, Coopératives, Écoles alternatives, Cafés associatifs, Accorderies, Monnaies locales, SEL, Assemblées citoyennes, ZAD, MDP et MER, Herboristes, Chamans, etc…
L’Appel à créer des biorégions
Engagé depuis deux années, le mouvement pour une société écologique post-urbaine s’emploie à penser un autre mode d’habiter la terre, et ce faisant une autre géographie, celle de la déconcentration des peuplements et de la relocalisation d’activités essentielles, de la décentralisation des pouvoirs et de la décroissance de toutes nos exploitations, de toutes les prédations.
À cette fin, après plusieurs mois d’échanges et de réflexion, nous avons lancé un Appel à la création de biorégions post-urbaines, destiné à toute personne ou collectif souhaitant penser et dessiner son milieu écologique de vie de manière soutenable, et ce en se réunissant simplement avec quelques ami·e·s, allié·e·s, pour préfigurer ce que serait son espace biorégional.
Voici le document d’aide pour façonner de telles alternatives, précisant communs et valeurs, besoins et critères.
Nous vous invitons à rejoindre ce mouvement pour penser une démétropolisation, une désurbanisation de nos vies et un réempaysannement nourricier de nos sociétés, avec sobriété et responsabilité. À vos imaginaires et envies ! À vos crayons et productions !
Les livres incontournables
Bibliographie anglophone
Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ?« .
- Reinhabiting a Separate Country. A bioregional Anthology of Northern California – sous la direction de Peter Berg – Planet Drum Fondation – 1978
- A Green City Program for the San Francisco Bay Area & Beyond – Peter Berg, Beryl Magilavy, Seth Zuckerman – Planet Drum Fondation – 1989
- Home ! A Bioregional Reader – Van Andruss, Eleanor Wright, Christopher Plant et Judith Plant – 1990
- Global Biodiversity Strategy. Guidelines for Action to Save, Study, and Use Earth’s Biotic Wealth Sustainably and Equitably – Étude de plusieurs organismes internationaux – 1992
- Boundaries of Home. Mapping for Local Empowerment – Doug Aberley – he New Catalyst – 1993
- Bioregionalism – Michael Vincent McGinnis – Routledge – 1999
- LifePlace. Bioregional Thought and Practice – Robert L.Thayer – 2003
- Bioregionalism and Civil Society. Democratic Challenges to Corporate Globalism – Mike Carr – 2004
- The Bioregional Imagination. Littérature, Ecology, and Place – T.Lynch, C.Glotfelty, K.Armbruster – 2012
- The Biosphere and the Bioregion. Essential Wrtitings of Peter Berg – Cheryll Glotfelty et Eve Quesnel – Routledge – 2014
Bibliographie francophone
Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ? » avec en noir les ouvrages des biorégionalistes francophones qui s’inscrivent dans la même philosophie que le courant historique nord-américainet en rouge les ouvrages associés au concept de biorégion urbaine initiée par l’École territorialiste italienne et le laboratoire Lapei (planification territoriale).
- L’écologie radicale – Frédéric Dufoing – Illico – 2012
- La biorégion urbaine. Petit traité sur le territoire bien commun – Alberto Magnaghi – Eterotopia France – 2014
- Formes et figures du projet local. La patrimonialisation contemporaine du territoire – Danela Poli – Eterotopia France – 2018
- Le Sens des lieux. Ethique, esthétique et bassins-versants – Gary Snyder – Wildproject – 2018
- Les territoires du vivant – Un manifeste biorégionaliste – Mathias Rollot – Éditions François Bourin – 2018
- La Permaculture ou l’art de réhabiter – Laura Centemeri – Éditions Quae – 2019
- L’Art d’habiter la Terre. La vision biorégionale (traducition de Dwellers in the Land)– Kirkpatrick Sale – Wildproject – 2020
- Mesure et démesure des villes – Thierry Paquot – CNRS Éditions – 2020
- Le Grand Paris après l’effondrement. Pistes pour une Île-de-France biorégionale – Agnès Sinaï, Yves Cochet, Benoit Thévard – Wildproject – 2020
- Design des territoires. L’enseignement de la biorégion – Ludovic Duhem et Richard Pereira de Moura – Eterotopia – 2020
Bibliographie italophone
Voici une petite sélection directement issue du livre « Qu’est-ce qu’une biorégion ? » avec en noir les ouvrages des biorégionalistes italophones qui s’inscrivent dans la même philosophie que le courant historique nord-américain et en rouge les ouvrages associés au concept de biorégion urbaine initiée par l’École territorialiste italienne et le laboratoire Lapei (planification territoriale).
- Bioregione, Nuova dimensione per l’umanita – Fabrizio Zani – Macro Edizioni – 1994
- La Terra racconta, il bioregionalismo e l’arte di disegnare le mappe locali – Rete Bioregionale Italiana – 1997
- Verso Casa. Una prospettiva bioregionalista – Giuseppe Moretti et autres – Arianna Editrice – 1998
- Il progetto locale – Alberto Magnaghi – Bollati Boringhieri – 2000
- La Bioregione. Verso l’integrazione dei processi socioeconomici et ecosistemici nelle comunita locali – Luciano Iacoponi – Edizioni ETS – 2001
- L’insediamento umano. Ecologia e sostenibilita – Claudio Saragosa – Donzelli Editore – 2005
- Per la Terra – Guiseppe Moretti – 2007
- Patto citta-campagna. Un progetto di bioregione urbana per la Toscana centrale – Alberto Magnaghi & David Fanfani – 2009
- Il progetto di territorio, oltre la citta diffusa verso la bioregione – Giorgio Ferraresi – Politecnica – 2014
- Alza la posta ! Peter Berg – Giuseppe Moretti – Mimesis / Eterotopie – 2016
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