Fiche Pédagogique
Écologie Décoloniale
par Aline Bué
Écologie décoloniale
« Par ses imaginaires créoles de résistance et ses expériences de luttes (post)coloniales, la Caraïbe permet une conceptualisation de la crise écologique associée à la quête d’un monde défait de ses esclavages, de ses violences sociales et de ses injustices politiques : une écologie décoloniale. »
Malcolm Ferdinand – Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen – Seuil, 2019
L’écologie décoloniale est donc une écologie vue par les pays colonisés qui ont connu une double exploitation – des humains et des ressources – en subissant par le passé l’esclavage impérialiste et encore aujourd’hui le néocolonialisme capitaliste. Cette emprise des pays dits « développés » sur les pays du sud exploités est doublement délétère, socialement et écologiquement.
Plan de la Fiche
- En quoi l’écologie et la colonisation sont-elles liées ?
- Le capitalisme induit une surproduction qui va de pair avec la maltraitance des humains et la destruction de l’environnement.
- Le colonialisme vert
- Sortir de la vision occidentalo-centrée et apprendre des autres cultures
- Les livres incontournables
- Les vidéos à voir absolument
En quoi l’écologie et la colonisation sont-elles liées ?
La réponse part de cette constatation : les colons ont mis en place des modèles d’agriculture à la fois destructeurs pour l’environnement et discriminatoires, et ces modèles perdurent aujourd’hui.
Malcom Ferdinand, ingénieur en environnement et chercheur au CNRS, explique en quoi la destruction de l’environnement et le colonialisme vont de pair dans son livre Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen. Il met en évidence une façon « d’habiter la terre » imposée par les Occidentaux en Caraïbe pendant le colonialisme et qui perdure aujourd’hui. « Il y a eu plusieurs accélérations des dégradations environnementales (XIXe et XXe siècles en particulier), mais la crise écologique commence plus tôt que cela. Elle vient d’un certain mode d’habiter la Terre, une manière de se penser sur Terre en ayant la légitimité de se l’approprier pour le profit de quelques-uns. En partant des Caraïbes, je fais commencer cet « habiter colonial » à la fin du XVe siècle, lorsque Christophe Colomb arrivait en Amérique […]» résume Malcom Ferdinand lors d’une interview.
Source : Pour une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand, Propos recueillis par Aurore Chaillou, Louise Roblin dans Revue Projet 2020/2 (N° 375), pages 52 à 56.
Les colons ont imposé une pensée occidentale néfaste pour la terre : la différence entre « nature » et « culture ». Cette conception du monde nous est bien connue et vous l’avez sûrement étudiée en philo au lycée. L’homme occidental a voulu se différencier de ce qui est sauvage et considérer qu’il était supérieur à la nature. Il a imposé cette pensée dans sa manière d’utiliser les ressources dans les pays qu’il a colonisés. Malcom Ferdinand l’écrit avec ces mots :
« D’un côté, la fracture environnementale découle de « ce grand partage » de la modernité, l’opposition dualiste qui sépare nature et culture, environnement et société, établissant une échelle verticale de valeur plaçant « l’Homme » au-dessus de la nature. Elle se révèle à travers les modernisations techniques, scientifiques et économiques de maîtrise de la nature, dont les effets se mesurent à l’ampleur des pollutions de la Terre, de la perte de biodiversité, du bouleversement du climat et à l’aune des inégalités de genre, des misères sociales et des vies jetables engendrées.»
COP 26: What is climate colonialism?
Le capitalisme induit une surproduction qui va de pair avec
la maltraitance des humains et la destruction de l’environnement
« L’écologie décoloniale veut sortir du capitalisme, car la nécessité de créer des richesses et de rapporter de l’argent le plus rapidement possible va souvent de pair avec une maltraitance des humains. »
Kalvin Soiresse, député au parlement bruxellois et militant décolonial et panafricain (c’est-à-dire qu’il soutient l’indépendance des pays africains) donne sa vision de l’écologie décoloniale lors d’une interview pour le podcast Limit’. Il prend l’exemple du roi des Belges, Léopold II, qui a colonisé le Congo. « Avec le boom de l’automobile à la fin du XIXe siècle, on va avoir besoin de beaucoup de pneus. À un moment donné, la demande va être telle.. Là on est déjà dans l’hyperconsommation, la surproduction. L’hyperconsommation appelle l’hyperproduction. […] Puisqu’on demandait beaucoup d’automobiles, on demandait beaucoup de pneus. Et quelle est la matière qu’on utilise pour faire les pneus ? Le caoutchouc. » Au Congo, on produisait le caoutchouc grâce à un arbre appelé l’Hévéa. Léopold II a ordonné à ses agents d’en produire le maximum « par tous les moyens ». Le résultat a été un déchaînement de barbaries. À cela, s’ajoute la destruction de la biodiversité pour cultiver le maximum d’Hévéa.
Le capitalisme s’est construit sur l’esclavagisme et la destruction de l’environnement. Ces mécanismes ont laissé des traces aujourd’hui.
Malcom Ferdinand fait un constat dans son ouvrage Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen : « L’absence criante de Noirs et de personnes racisées dans les arènes de production de discours environnementaux. »
Il appelle « double fracture coloniale et environnementale de la modernité » le fait que « les mouvements environnementaux et écologistes d’une part, et les mouvements postcoloniaux et antiracistes d’autre part, qui s’expriment dans les rues comme dans les universités sans se parler ».
Il montre qu’il est nécessaire de réfléchir à la catastrophe écologique en prenant en compte les anciennes colonies. La colonisation est une partie intégrante du problème de la catastrophe écologique et de la destruction de la biodiversité dans son essai. Aimé Césaire se plaignait déjà de la destruction de la biodiversité dans son Discours sur le colonialisme en 1950 :
« On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’olivier ou de vignes plantés.
Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières. »
Malcom Ferdinand énonce les premières figures à avoir mis en évidence le lien entre catastrophe écologique et colonisation. « C’est en réponse à un capitalisme global et à des accords post-coloniaux qui maintiennent par la contrainte militaire et financière ces manières destructrices d’habiter la terre, et de poursuivre la domination des anciens colonisés et des racisées, que le sociologue africain américain Nathan Hare déclare en 1970 que la véritable solution à la crise environnementale est la décolonisation des Noirs. De même, Thomas Sankara dénonce en 1986 à Paris le pillage colonial qui a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains. » Pour rappel, Thomas Sankara était président du Burkina Faso de 1983 à 1987.
Les systèmes économiques capitalistes et l’occidentalisation du monde sont une poursuite de la colonisation entamée au XVè siècle. Les grandes puissances économiques causent de nombreuses catastrophes écologiques sur les territoires historiquement colonisés. Nous pouvons citer l’exemple de la Chlordécone en Guadeloupe. Un pesticide utilisé entre « 1972 et 1993 afin de lutter contre le charançon Cosmopolites sordidus, un insecte ravageant les plants de bananiers à leurs bulbes. Aujourd’hui, plus de 25 % des terres agricoles de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées par cette molécule classée comme cancérigène probable pour une durée allant de soixante ans à sept siècles » explique Malcom Ferdinand dans De l’usage du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe : l’égalité en question. Il réfléchit aux causes de cette catastrophe sanitaire et environnementale. Comment est-ce possible ? « En effet, outre l’interrogation sur les mécanismes politiques, économiques et écologiques en jeu dans cette pollution, gisent, de par le contexte historique et politique de ces anciennes colonies françaises, d’autres interrogations relativement peu explicitées. S’agit-il d’un « accident environnemental » comme l’affirme un rapport parlementaire de 2009, lié tant à la nature du climat et des sols antillais qu’à la faible sensibilité écologique des années 1970 ? Ou alors, cette pollution serait-elle, comme l’affirment certaines associations écologistes locales, le témoignage d’inégalités sociales et politiques entre les citoyens français habitant aux Antilles et ceux vivant dans l’Hexagone ? Du fait de cette pollution, les services de l’État font l’objet de nombreuses critiques de la part d’associations et de partis écologistes locaux. Certaines de ces critiques voient dans cette crise non seulement la défaillance des services de l’État à la préservation de la santé des populations mais également la manifestation d’une discrimination des citoyens français vivant en outre-mer, vestige d’un fonctionnement colonial. »
La question du racisme et d’un laxisme concernant la sécurité sanitaire liée aux territoires où ces catastrophes sanitaires se produisent, se pose, car ces mêmes situations se répètent à plusieurs endroits, exercées par plusieurs pays. Dans le documentaire C’est ma terre, le réalisateur guadeloupéen Fabrice Bouckat, fait justement le lien entre la catastrophe du Chlordécone et l’Agent orange au Vietnam. En 1961, les Etats-Unis ont répandu un herbicide appelé « Agent orange » pour détruire les forêts au Vietnam où se cachaient les indépendantistes vietnamiens. L’épandage conséquent de cet herbicide a eu de graves répercussions sur la santé des Vietnamiens. Les États-Unis ont toujours soutenu que cet herbicide était inoffensif pour l’homme.
Comprendre l’Écologie Décoloniale !