Fiche Pédagogique

Le Buen Vivir

par Jeanne Sorin

Buen Vivir

 

Le Buen Vivir, littéralement « bien vivre » en espagnol, sumak kawsay en quechua ou suma qamaña en aymara, est un concept porté par les populations indigènes de la communauté andine (Bolivie, Colombie, Équateur et Pérou), se basant sur une approche holistique.

Le Buen Vivir, ayant pris ses racines dans les peuples indigènes d’Equateur et de Bolivie, est à vocation universaliste.

 

« Le point d’ancrage historique du Buen Vivir, se situe certes dans le monde indigène ;
mais il peut aussi se nourrir d’autres principes philosophiques : aristotélicien, marxiste, écologique, féministe, coopérativiste, humaniste…
»

Alberto Acosta

 

Cette philosophie de vie a peu à peu grandi en Amérique latine puis s’est fait connaître et a trouvé une résonnance au sein de cercles de réflexion dans les pays occidentaux. Elle pose les bases d’une relation harmonieuse entre l’être humain et la nature – en rupture avec la dégradation causée par le modèle économique, fondé sur la croissance et la consommation – et d’une vie communautaire faite d’entraide. Dans son livre Le Buen Vivir – Pour imaginer d’autres mondes, l’économiste équatorien Alberto Acosta explique que « Le Buen Vivir, en substance, est le processus de vie né de la matrice communautaire de peuples qui vivent en harmonie avec la nature ». Pour comprendre ce qu’implique le Buen Vivir, il est important de comprendre la façon dont les peuples et nationalités indigènes appréhendent le monde.

Plan de la Fiche

  • Des notions clés pour comprendre le Buen Vivir
  • Le Buen Vivir au sein des États bolivien et équatorien
  • Qu’en est-il du Buen Vivir en France ?
  • Des pistes pour repenser les sociétés grâce au Buen Vivir
  • Les livres incontournables
  • Les sources de cette fiche

 Des notions clés pour comprendre le Buen Vivir

  • La vie en communauté

Dans le concept de Buen Vivir, la vie en communauté est très importante. L’individu seul et la communauté seraient « deux pôles d’une même unité » selon le l’écologiste bolivien Pablo Solón. Il précise « Sans communauté, il n’y a pas d’individus et sans êtres singuliers, la communauté n’existe pas ».

Le syndicaliste français Jean Ortiz explique que la pratique communautarienne renvoie à des singularités andines difficiles à comprendre pour les occidentaux, ayant leurs propres outils analytiques. Il propose donc de : « Mettre en place des structures, des enclaves d’autogestion, liées à des communautés, qui pourraient être des quartiers, des entreprises, des centres de recherche, des villages, des exploitations agricoles, etc., de promouvoir ces enclaves non capitalistes ouvertes et coopérant entre elles, partout où cela est faisable, pour faire la preuve, sans attendre, que notre monde est possible. »

  • La recherche de l’équilibre

Le Buen Vivir offre une approche holistique, incluant l’humain et non humain, le matériel et le spirituel. Dans le Buen Vivir, les éléments contradictoires cohabitent et forment le « tout ». Pablo Solón, dans son texte Le Buen Vivir, une autre vision du monde, explique que « Dans le « buen vivir », les tensions existent, sont assumées, mais c’est l’harmonie du « tout » qui est recherchée. Selon la vision des peuples indigènes andins, il y a une ambivalence dans tous les éléments de la Terre et du cosmos. Chaque chose porte en elle ses propres contradictions ». En effet dans cette conception, « le bon et le mauvais coexistent, en tension permanente. Bien vivre, c’est apprendre à vivre avec ces dualités multiples. Non pas prétendre annuler ces contradictions, mais vivre avec elles, éviter que les inégalités et les conflits s’aggravent et se polarisent au point de déstabiliser « le tout ». »

Le Buen Vivir différencie l’état de la personne (« bienestar » en espagnol), de l’essence de la personne (« bien ser » en espagnol). Il invite à se concentrer sur l’essence, qui est une chose permanente, plutôt que sur l’état qui est passager. Selon Pablo Solón, « Le « bien ser » ne s’acquiert pas par des biens matériels, ni par le plaisir purement individuel ou familial, mais en apprenant à entrer en relation avec les autres dimensions contradictoires du « tout », pour contribuer à son équilibre. » Dans cette approche, la raison d’être des humains se situe entre la recherche de l’équilibre entre eux, avec la nature, entre le matériel et le spirituel, entre différentes cultures, entre différentes réalités et identités, et aussi, entre la connaissance et la sagesse. L’idée n’est pas d’atteindre un état parfait sans l’existence de problèmes, mais de faire face aux contradictions et de bien vivre avec. Le Buen Vivir mettant en avant la recherche de l’équilibre, remet en cause la vision de la société capitaliste, toujours en quête de croissance. Il invite à dépasser la vision des êtres humains comme étant des conquérants et des producteurs de la nature, pour qu’ils deviennent des soignants de celle-ci. Dans la philosophie du Buen Vivir nous appartenons à la Terre, elle ne nous appartient pas.

La notion de complémentarité aussi est très importante. Selon Pablo Solón, « L’équilibre entre pôles opposés qui habitent le « tout » n’est possible qu’à travers la complémentarité : non pas en s’annulant l’un l’autre, mais en se complétant. » La complémentarité serait favorable à faire grandir nos forces individuelles et collectives et de la nature, et ainsi à renforcer la résilience.

  • Le temps est cyclique

Pour le Buen Vivir, le temps progresse en forme de spirale, ce qui remet en cause le développement linéaire ascendant, proposé par nos sociétés. Le Buen Vivir offre une vision différente où le temps et l’espace ne sont pas linéaires mais cycliques. L’avenir est connecté au passé. Pablo Solón explique « Pour le buen vivir, cet avenir ascendant est une fiction. Toute avancée donne lieu à des tours et des détours, rien ne peut croître de manière permanente, le bonheur pas davantage. »

 Le Buen Vivir au sein des États bolivien et équatorien

Dans son article « Le concept andin de « buen vivir » et « l’écosocialisme » », rédigé en 2013, Jean Ortiz (syndicaliste français) explique que le Buen Vivir a une place majeure en Bolivie et en Equateur. Cela se traduit notamment par l’intégration du concept dans les textes juridiques de ces deux Etats. « La reconnaissance actuelle du bien-fondé, de l’originalité, de ces propositions indigènes, de ces visions du monde, de ces principes éthiques, se traduit même par leur inscription dans les constitutions de l’Equateur (2008) et de la Bolivie (2009). La Bolivie, depuis 2009, est devenue officiellement « l’Etat Plurinational de Bolivie », une appellation qui prend en compte et promeut l’existence en son sein de nations, de langues et de cultures différentes. »

Malheureusement, le Buen Vivir a perdu de sa substance en étant intégré dans des textes juridiques en Bolivie et en Equateur. En effet, dans les textes, ce terme est utilisé pour apporter une reconnaissance aux peuples indigènes andins, mais il ne remet pas en cause la structure de la société capitaliste basée sur la notion de développement et de croissance. Pourtant, selon Alberto Acosta « Cette conception du Buen Vivir révèle au grand jour les erreurs et les limites des diverses théories du prétendu développement. Elle remet en cause le concept même de développement, devenu une vue de l’esprit qui norme et régit la vie d’une grande partie de l’humanité, d’une certaine manière non dépourvue d’ailleurs d’une certaine perversité, puisque ce développement tant désiré reste souvent hors de portée ».

Pour Pablo Solón, la constitutionnalisation du Buen Vivir a entretenu l’idée que grâce à un plan national de « développement » proposé par l’État, on évoluerait vers le « vivre bien », « alors que le secret de cette vision réside dans le renforcement de la communauté, dans l’expression de sa capacité à agir en complémentarité avec d’autres communautés et dans l’autogestion de son territoire. »

 Qu’en est-il du Buen Vivir en France ?

Selon Jean Ortiz, « En France, le « vivre bien » a un tout autre contenu ; il signifie voir ses besoins physiques, matériels, intellectuels, satisfaits quantitativement, ne pas avoir de problèmes financiers, pouvoir consommer sans restriction, sans privation, sans frustration, vivre à l’aise et sans grands soucis matériels.» Il ajoute « Pour les acteurs des révolutions latino-américaines, le « buen vivir » représente UNE alternative de civilisation. On ne saurait donc, par effet de mode, ou mimétisme, importer mimétiquement un modèle et le plaquer sur des réalités exogènes. Le « buen vivir », un « pachamamisme à la française », avancent certains, peuvent difficilement fonctionner dans une société capitaliste. »

Néanmoins, certaines organisations espèrent voir émerger une société basée sur le Buen Vivir. En France, le « Mouvement Utopia », association d’éducation populaire à but non lucratif, élabore un projet de société solidaire, écologiquement soutenable et convivial. Les membres du Mouvement Utopia co-construisent ce projet en créant des ponts entre la société civile, les mondes politique, académique, culturel et les citoyen·ne·s engagé·e·s.

« Ce projet de société, en construction permanente, est basé sur cinq principes constituants :

1) La nature, bien commun de l’humanité ;

2) L’accès universel aux droits fondamentaux ;

3) La souveraineté alimentaire ;

4) La liberté de circulation et d’installation des personnes ;

5) Le développement de nouveaux espaces de démocratie. »

Par ailleurs, le politologue Paul Ariès, propose l’idée d’un « Buen Vivir à la française » pour que le Buen Vivir devienne une inspiration parmi d’autres. En effet, il perçoit le Buen Vivir comme étant un cadeau offert par les andin·e·s, dont la France pourrait s’inspirer. Selon lui, le Buen Vivir serait lié à l’écosocialisme et il se fonderait en partie sur l’anticapitalisme, l’antiproductivisme. Le Buen Vivir serait  « un devenir possible de l’humanité ».

Des pistes pour repenser les sociétés grâce au Buen Vivir

Selon Alberto Acosta, « l’Etat doit impérativement être repensé sous l’éclairage du plurinational  et de l’interculturel ». L’idée du Buen Vivir n’est pas de moderniser l’Etat « en créant des espaces spéciaux pour les indigènes (comme l’éducation interculturelle bilingue), ou encore en constituant des unités administratives dédiées à la gestion des populations indigènes ». L’éducation interculturelle doit être créée et appliquée dans tout le système éducatif. Par ailleurs, toute les structures et les institutions doivent donc être repensées. Pour construire le Buen Vivir, il faut aller vers l’exercice horizontal du pouvoir. Cela implique que « la démocratie même doit être repensée et approfondie ».

Le Buen Vivir invite à construire d’autres façons de vivre qui ne soient plus dominées par la croissance et l’accumulation du capital. L’économie primant sur l’humain doit être remise en question. L’enjeu est aussi de défendre la vie sur Terre, en opposition à la vision et aux actions anthopocentriques, qui détruisent la planète.

Selon Alberto Acosta, « Notre monde doit être pensé en termes politiques. Nous devons donc agir en impulsant un processus de transition entrainé par de nouvelles utopies. Penser un autre monde, c’est l’organiser à partir des Droits Humains – droits politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux des individus des familles et des populations – et à partir des Droits de la Nature. »

Le discours du Buen Vivir apparait comme une alternative au discours du développement durable, dans des sociétés où la confiance en la capacité du paradigme actuel (basé sur le développement et le progrès), à relever tous les défis (sociaux, environnementaux, économiques), est grandement remise en question. Le Buen Vivir s’accorde avec des discours contemporains qui souhaitent transformer les formes d’organisation sociale et les modes de production et de consommation, pour répondre aux impératifs de la durabilité.

Les livres incontournables

Le Buen Vivir- Pour imaginer d’autres mondes
Alberto Acosta
Editions Utopia – 2014

Le Buen Vivir, une autre vision du monde
Pablo Costa
Revue Projet n°362 – 2018

Le socialisme gourmand
Paul Ariès
La Découverte – 2013

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