Fiche Pédagogique

Convivialisme

par Ivana Hruszowiec

Le Convivialisme

 

La réflexion du mouvement convivialiste s’articule d’abord autour de la définition qu’ils et elles ont choisi de retenir : le convivialisme est  « la pensée ou la recherche d’un art de vivre ensemble (con-vivere) qui valorise la relation et la coopération, et permette de s’opposer sans se massacrer, en prenant soin des autres et de la Nature ».

Postulat d’une proposition politique alternative

Cette présentation est basée sur les Manifestes Convivialistes, qui exposent les tenants et aboutissants du mouvement, ainsi que sur le site internet du Convivialisme.

Les auteurs et autrices partent du principe que les menaces entropiques (les menaces techniques, écologiques, économiques) comme anthropiques (menaces morales et politiques) gagnent en importance et sont la conséquence de l’échec de la gestion de la violence et des rivalités entre les êtres humains. Cet échec pose la question de l’incitation à la coopération pour que chacun et chacune s’épanouisse et puisse s’opposer mais sans se massacrer. Le mouvement convivialiste établit que les conditions matérielles sont réunies pour ce changement d’état d’esprit, nécessaire, vers la coopération, mais que ce dernier doit être précédé d’une prise de conscience collective de la finitude des ressources matérielles.

Interview d’Alain Caillé à propos du Convivialisme

La mission 

La mission que se donnent les signataires du convivialisme, en passant par la parution des deux manifestes par exemple, est de réunir toutes les propositions d’opposition existantes – en matière de morale, d’éthique, d’économie, d’organisation sociale, etc. – au néolibéralisme financier actuel (la financiarisation globale et la subordination à la valeur marchande). L’idée est d’engager une force entraînante assez conséquente.

C’est dans cette optique que les Manifestes Convivialistes proposent de dessiner les contours de ce qu’il manque le plus fortement à la construction de cette alternative : une idéologie – ou philosophie politique – « suffisamment générale, partageable et partagée pour permettre de penser la juste place de ces diverses propositions vues dans leur cohérence ». Les idéologies politiques modernes (libéralisme, socialisme, communisme, anarchisme) sont dites ne pas permettre d’avoir une pensée qui allie passé, présent, avenirs possibles et futurs désirables selon les signataires. Cet « essoufflement idéologique » explique en partie l’impuissance à imaginer un dépassement effectif du néolibéralisme. D’une part, parce que ces idéologies ont pensé une émancipation uniquement dans le cadre des États-nations, qui n’ont plus aujourd’hui l’échelle suffisante pour traiter des problèmes mondiaux. D’autre part, parce qu’elles partent toutes du postulat que le problème fondamental de l’humanité est la rareté matérielle dans le sens de la limitation des ressources par rapports aux désirs humains, postulat qui mène inexorablement à l’idéologie de la croissance et de la rivalité rejetée plus tôt.

Cet essoufflement idéologique est contré par l’idée « d’approfondir et de radicaliser l’idéal démocratique ». Rejeter l’idée d’une société croissantiste pour embrasser celle d’une société postcroissantiste nécessite de restreindre le droit à l’enrichissement illimité et d’équilibrer les nouveaux droits par des devoirs et des interdictions qui s’appliquent à toutes et tous, sans exception. L’idéologie postcroissantiste – ou convivialiste – place sa confiance dans la Société : dans l’infini des possibilités d’actions entreprises en commun par les hommes et les femmes, à de multiples fins : c’est la société civile auto-gérée. Le Convivialisme pose aussi de manière générale un nouvel humanisme : une relation plus durable avec la culture et la nature en sortant des visions de court-terme pour se projeter dans l’avenir mais aussi se réapproprier le passé.

Le but global est de dessiner les contours d’une doctrine universalisable, adaptée à l’urgence actuelle et de portée mondiale même si son application sera nécessairement locale et conjoncturelle.

Ambitions et propositions principales

Le mouvement convivialiste, en tant que  proposition politique, morale et éthique, s’est donné comme ambition principale de prouver qu’il est possible de surmonter les clivages qui actuellement empêchent une action collective et coordonnée contre le néolibéralisme et le capitalisme. C’est la proposition d’un monde postnéolibéral qui pourrait permettre de construire un contexte favorable à la réfutation du capitalisme et à l’établissement d’un autre mode de fonctionnement.  Les initiatives qui vont dans ce sens sont nombreuses (philosophie, économie, politique…) mais elles doivent être nommées, reliées et caractérisées pour ne pas rester dans le champ de la simple contestation. La pensée convivialiste postule que ces initiatives ont en commun la recherche de l’art de vivre ensemble, et c’est en cela qu’elles sont précieuses dans la définition d’une société convivialiste.

La première proposition forte du convivialisme est que le conflit n’est pas nié : il est complètement intégré dans la pensée car il est vu comme inexorable. Les êtres humains ont des intérêts divergents et aspirent à la reconnaissance de leur singularité, et cela mène au conflit. Cette pluralité qui mène au conflit est vue comme une force, et la rivalité est vue comme un moyen de coopération. L’écriture du manifeste s’appuie sur l’idée que l’humanité recherche un « fondement durable, éthique, économique, écologique et politique à l’existence commune ».

L’autre idée forte à l’origine du Manifeste Convivialiste est que la croyance en une démocratie adossée à la promesse d’une croissance forte du PIB et du pouvoir d’achat n’est plus d’actualité. La croissance économique ne peut plus durer, structurellement. Il ne faut donc pas fonder une politique du présent et du futur dessus, d’autant plus que l’idéologie de la croissance est à l’origine des catastrophes précédemment citées. La proposition du manifeste est donc un monde post néolibéral et postcroissantiste.

Les principes fondateurs

Cinq principes conditionnent la définition de cette doctrine généralisable :

  • Le principe de commune naturalité affirme que nous ne sommes pas « maîtres et possesseurs de la nature » mais faisons destin commun avec elle. Il est au cœur de la pensée écologique.

  • Le principe de commune humanité (qui évoque le communisme) condamne toutes les discriminations, de sexe, de couleur de peau, de croyance ou de religion. Cette unité de l’humanité doit être respectée en la personne de chacun·e de ses membres.

  • Le principe de commune socialité (chère au socialisme) affirme que la richesse pour les humains est d’abord celle de leurs rapports sociaux, d’où leur interdépendance.

  • Le principe de légitime individuation (particulièrement revendiqué par l’anarchisme) pose que la motivation première des humains est la quête de reconnaissance. La politique légitime est celle qui permet à chacun·e d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté.

  • Le principe d’opposition créatrice est celui qui animait le premier libéralisme. C’est lui qui a permis d’en finir avec les monarchies absolutistes et avec les despotismes. Les humains doivent pouvoir s’opposer, c’est légitime tant que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice. Elle permet aux humains de se différencier en acceptant et en maîtrisant le conflit.

Des implications politiques minimales 

De ces cinq principes découlent quatre orientations générales minimales pour une politique inspirée du convivialisme :

1. Viser à l’horizon 2040-2050 un objectif écologique triple zéro : zéro émission nette de gaz à effet de serre ; zéro consommation d’énergies fossiles ; zéro déchets hautement toxiques et à risques majeurs.

2. Mener une lutte résolue en faveur d’une réduction significative des inégalités. Ce qui implique l’instauration inconditionnelle d’un revenu minimum et la fixation d’un plafond de revenu et de patrimoine, aussi élevé puisse-t-il être, dès lors que leurs montants seraient majoritairement perçus comme moralement (ou socialement) inacceptable.

3. Redonner vie à l’idéal démocratique en articulant systématiquement démocratie représentative parlementaire, démocratie d’opinion et démocratie directe et participative (via des conférences de citoyen·ne·s et des référendums d’initiative citoyenne, et en instaurant une démocratie effective dans l’entreprise.

4. Promouvoir un universalisme pluriel (un « pluriversalisme ») qui permette aux différentes, cultures, religions ou philosophies de dialoguer en s’opposant sans s’entretuer.

4+1 questions pour couvrir les principaux champs de réflexion

Les 4 (+1) questions :

  • La question morale : qu’est-il permis aux individus d’espérer et que doivent-ils s’interdire ?
  • La question politique : quelles sont les communautés légitimes ?
  • La question écologique : que nous est-il permis de prendre à la nature et que devons-nous lui rendre ?
  • La question économique : quelle quantité de richesse matérielle nous est-il permis de produire, et comment, pour rester en accord avec les réponses données aux questions morale, politique et écologique ?
  • Libre à chacun·e d’ajouter à ces quatre questions la question religieuse ou spirituelle.
Les manquements actuels des différentes institutions

Les doctrines existantes ne permettent pas de répondre à ces questions de manière satisfaisante et à la bonne échelle. Les religions ne portent pas sur la politique, l’économie et l’écologie ; les idéologies politiques modernes sont insuffisantes sur les questions morales et écologiques et s’appuient sur le principe de rareté matérielle comme organisateur de la vie sociale. Cela justifie la perspective d’une croissance infinie, mais cette aspiration pour les convivialistes attise le conflit au lieu de l’apaiser et ne prend pas en compte la finitude des ressources matérielles. La croissance économique ne peut donc pas être la solution aux conflits entre les êtres humains. Aucun idéal démocratique ne parvient à être formulé par ces institutions politiques : les institutions politiques ne parviennent pas à créer et à garder la confiance des individus.

La mauvaise direction économique

Le néolibéralisme, défini par la financiarisation globale et la subordination à la valeur marchande, triomphe depuis les années 1970 et s’est peu à peu étendu à tous les domaines de la vie sociale. Sa logique calculatoire, rationaliste et rentière est délétère et a imprégné les champs scientifiques et politiques dans les années 1980. De cette période découlent de nombreuses dérégulations sociales et politiques au profit du marché. Cette révolution a construit la valeur travail que nous connaissons aujourd’hui, à savoir le besoin d’activer des motivations extrinsèques au travail comme la hiérarchie ou le gain, car l’attrait du travail pour lui-même est dit ne pas exister. Elle a aussi mené à la spéculation financière et rentière, responsable de la crise des Subprimes en 2008.

La responsabilité de la science économique telle que nous la connaissons est d’avoir fait advenir le monde qu’elle prétendait décrire et d’avoir donné toujours plus de réalité à l’idée d’un homo œconomicus en dénigrant les autres caractéristiques humaines. C’est pourquoi le Manifeste se donne comme priorité de développer les sciences humaines et la philosophie de manière autonome, sans sous-bassement économique. L’humanité doit être explorée au sens large, c’est ce qui permettra de penser correctement les problèmes issus de la légitime volonté de reconnaissance singulière sans que cela n’aboutisse par exemple à des luttes de pouvoir. La piste privilégiée pour cela est de poser que le bien-être de tous·tes passe par la construction d’une société du « care » et le développement de politiques publiques qui valorisent le travail pour autrui et celui du soin. Cela est justifié par le postulat de l’interdépendance de toutes et tous pour se réaliser : « Le care et le soin sont la traduction en actes, concrète et immédiate, de l’interdépendance générale du genre humain ».

Le site du convivialisme propose une liste non exhaustive des initiatives et réseaux en résonnance avec le mouvement, parmi lesquelles par exemple Le Mouvement Colibris, les AMAP ou le Collectif des Associations Citoyennes : liste complète.

Les axes de réflexion : la morale, l’économie, l’écologie et le politique

Les considérations morales

Elles établissent que chaque individu doit se voir reconnaître une égale dignité et pouvoir accéder aux conditions matérielles suffisantes pour mener à bien sa conception de la vie bonne, dans le respect de la conception des autres. Chacun·e doit aussi pouvoir chercher à jouir de la reconnaissance des autres en participant selon son souhait à la vie politique qui engage l’avenir de toutes et tous. Il est interdit de basculer dans l’hubris grec, c’est-à-dire dans la démesure et le désir de toute-puissance : c’est violer les principes de commune humanité et de commune socialité. Cela justifie la lutte passive et active contre la corruption.

Les considérations écologiques

Elles refusent l’image des êtres humains comme « maîtres et possesseurs de la nature ». Les êtres humains font partie de la nature et ils doivent retrouver une relation de don/contre-don pour construire une justice écologique présente et future. La priorité absolue dans ce domaine est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de recourir aux énergies renouvelables, contre le nucléaire et les énergies fossiles. La relation de don/contre-don concerne aussi les animaux, qui ne doivent plus être vus comme du matériel industriel.

Les considérations politiques

Elles envisagent plusieurs États qui doivent respecter des conditions pour être reconnus légitimement comme conviviaux. Ils doivent aussi universaliser nombre de droits, en élargissant la déclaration de Philadelphie. Celle-ci insiste sur la dignité de chaque être humain, sur la lutte contre la pauvreté, et sur le fait que la liberté d’association et d’expression sont nécessaires pour un progrès soutenu. Ces États conviviaux doivent notamment instaurer un revenu de base et un revenu maximum, pour éviter la bascule dans un niveau de richesse qui rendrait inopérants les principes de commune humanité et socialité. Ils doivent aussi favoriser la multiplication des activités associatives qui fonderaient une société civile mondiale, auto-gouvernée, et qui s’appliqueraient dans des espaces d’engagement civique en deçà et au-delà des États. Ils doivent enfin mettre en œuvre des politiques de préservation des biens communs et élargir cette catégorie en y intégrant notamment les réseaux numériques comme un outils de démocratisation de la société.

Les considérations économiques convivialistes

Elles mettent au cœur de leur définition la décorrélation, avérée aujourd’hui, entre la richesse et le bien-être. Elles établissent qu’il faut chercher la prospérité sans croissance en rétablissant un équilibre entre le marché, l’économie publique et l’économie associative. La priorité est de lutter contre les dérives rentières et spéculatives de l’économie financière qui sont la principale cause de la démesure capitaliste. Cela passe par la régulation de l’activité bancaire et des marché financiers pour permettre le développement de toutes les richesses humaines au-delà d’un aspect purement économique et matériel comme le sens du devoir accompli, la créativité, la solidarité, le jeu… Ce sont toutes les richesses inhérentes à une formes de gratuité ou de créativité et inhérentes à la relation aux autres.

Les armes contre les obstacles existants 

  • L’indignation face à la démesure et la honte à faire ressentir aux responsables qui violent les principes de commune humanité et socialité.

  • Le sentiment d’appartenir à une communauté humaine mondiale dont les membres participent au même combat.

  • La mobilisation des affects et des passions.

Les autrices et auteurs estiment que ce sont sur ces bases que les personnes pourront influer radicalement sur les jeux politiques et commencer à déployer une manière de vivre et de s’organiser, conviviale. La première arme, l’indignation, doit s’accompagner de la conscience de toutes les luttes similaires menées à d’autres endroits et dans d’autres domaines. Le mouvement convivialiste, par le biais du manifeste, offre un symbole qui permettrait de nommer et dire ces indignations plurielles. La honte accompagne cette indignation : honte assignée à celles et ceux qui violeraient les principes du convivialisme. Le premier pas d’un mouvement convivialiste pourrait être de définir un seuil au-delà duquel l’extrême richesse n’est pas moralement défendable, de sorte à ce que celles et ceux qui sont concernées n’aient d’autres choix que se plier à cette décence commune.

Quelques pistes

Une des grandes difficultés est que tout un chacun réussisse à mesurer les gains non pas futurs mais actuels à une nouvelle donne convivialiste.

  • Instaurer les revenus minimums et maximum (impératif de justice et de commune socialité)

  • Re-territorialiser pour recréer un entre soi solide et digne de confiance. Inverser la tendance à la globalisation et à l’hyper-concentration en relocalisant les activités, en créant des monnaies locales complémentaires, en restaurant les souverainetés alimentaires et industrielles, en privilégiant les petites structures et en pratiquant la gestion négociée des échanges internationaux réellement nécessaires pour répondre aux besoins.

  • Préserver l’environnement et les ressources naturelles comme une priorité absolue et qui doit être vue comme une opportunité d’inventer de nouveaux modes de vie.

  • Faire disparaitre le chômage en offrant à chacun et chacune un rôle et une fonction reconnu·e·s dans des activités utiles à la société. Cela doit se combiner avec des mesures de diminution du temps de travail et un encouragement à l’expansion de l’économie associationniste sociale et solidaire.

Quelques signataires des manifestes que vous pourriez connaître

Bruno Latour

Bruno Latour

Sociologue, philosophe

Philippe Descola

Philippe Descola

Anthropologue

Valérie Cabanes

Valérie Cabanes

Juriste

Eve Chiapello

Eve Chiapello

Sociologue

Les livres incontournables

Demain un monde convivialiste 
Divers autrices et auteurs
Éditions La Revue du MAUSS – 2021

Éléments d’une politique convivialiste
Alain Caillé
Éditions Le Bord de l’Eau – 2016

Le convivialisme en dix questions 
Alain Caillé
Éditions Le Bord de l’Eau – 2015

Second manifeste
convivialiste
Divers autrices et auteurs
Actes Sud – 2020

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