Fiche Pédagogique

Écologie intégrale

par Jeanne Sorin

Écologie intégrale


Le concept d’écologie intégrale propose de montrer l’interdépendance entre toutes les déclinaisons de l’écologie. L’écologie intégrale appelle chaque personne et chaque communauté humaine à prendre soin de toutes les relations constitutives de la vie : relations à soi-même, relations aux autres personnes humaines, relations à la nature, relations spirituelles. L’équilibre entre ces quatre relations est essentiel pour permettre à l’humanité et à la nature de vivre de manière saine et harmonieuse.

 

Les premières apparitions du terme « écologie intégrale » en France, sont recensées dans le mensuel Je suis Français, dans deux articles de 1984, où est présentée l’idée d’un écologisme inspiré du nationalisme intégral, développé par Charles Maurras (journaliste, essayiste, homme politique et poète français). À cette époque, l’auteur invoque l’importance d’un « réenracinement » de la France pour « dénomadiser » culturellement le pays afin de respecter la « nature éternelle », « seul moyen » de sa « renaissance ». À la fin des années 1990, les théologiens Michael E. Zimmermann et Sean Esbjörn-Hargens ont appliqué la théorie de Ken Wilber (écrivain américain) à l’écologie, pour présenter le concept d’écologie intégrale. Il s’agit de réconcilier l’écologie humaine et l’écologie environnementale classique. En 2007, le concept se fait davantage connaître en France dans les milieux chrétiens, notamment catholiques, avec Falk van Gaver, grâce à l’article « Pour une écologie intégrale » du magazine catholique L’Homme nouveau. Falk van Gaver se situe longtemps entre le christianisme, l’écologisme et l’anarchisme. Il prend ensuite ses distances avec le christianisme et se déclare agnostique puis athée, et s’oriente davantage vers l’écologie radicale, l’écologie profonde, l’anarchisme, l’animalisme, l’antispécisme et le véganisme. Le terme d’écologie intégrale a été utilisé à plusieurs reprises parle pape Benoît XVI. Il est aussi le thème central de l’Encyclique du pape François, nommée Laudato Si, ayant comme sous-titre « la sauvegarde de la maison commune ».

 
Il semblerait que depuis la publication de Laudato Si, en 2015, la confusion se soit immiscée quant à la définition et au sens de l’écologie intégrale. Il y a une peur, en se plaçant sous la bannière de l’écologie intégrale, d’être assimilé à certains courants réactionnaires. Pourtant, le terme d’écologie intégrale est utilisé d’un point de vue politique par de nombreuses personnes engagées écologiquement, n’ayant pas de croyances religieuses, comme Delphine Batho, Christian Arnsperger, et Dominique Bourg. Ce dernier reconnaît lui-même que « l’expression est désormais piégée », craignant la confusion entre « intégral » et « intégriste ».

Plan de la Fiche

  • Deux approches majeures de l’écologie intégrale
    • 1- L’écologie intégrale selon le pape François – Laudato Si
    • 2- L’écologie intégrale selon Delphine Batho – Écologie intégrale. Le manifeste
  • Les livres incontournables
  • Les vidéos à voir absolument
  • Les podcatst à écouter
  • Les sources de cette fiche

Première approche : l’écologie intégrale selon le Pape François (Laudato Si)

 Gaël Giraud, l’économiste « Laudato si’ »
Vatican News – Mars 2021

Dans Laudato Si, l’amour apparaît comme un thème central au sein de l’engagement écologique. Le pape François parle d’aimer la création, ce qui signifie simplement d’être en relation avec elle. Toute relation devrait être vécue selon la perspective de l’amour. Selon le pape, l’écologie intégrale commence par la bonne régulation de nos relations fondamentales dans le monde. Il parle de quatre types de relations : la relation avec soi-même, la relation avec les autres, la relation avec Dieu et la relation avec la Terre.

Source de l’image : https://www.lecedre.fr/fondation/

Celles-ci s’organisent géométriquement en tétraèdre, pour les raisons suivantes :

– Il s’agit d’une figure en forme de pyramide à base triangulaire ayant quatre faces et quatre coins, dont chacun est directement relié aux trois autres. C’est-à-dire que la manière dont on est en relation avec un des éléments de la figure a un impact direct sur les trois autres en même temps.

-De ce fait, s’il y a un désordre sur l’un des composants, toute la figure est désorganisée. Cela signifie, par exemple, que si la relation aux autres est désordonnée, cela aura un impact sur la relation à soi, à Dieu et à la Terre.

L’écologie intégrale invite donc l’être humain à mettre l’amour au centre de ces quatre relations fondamentales pour une vie plus équilibrée et harmonieuse.

Selon le pape, l’écologie intégrale n’est pas un protocole à appliquer, mais un projet à poursuivre. Ce projet consiste à chercher le juste équilibre entre ces quatre relations fondamentales. Cela implique une dimension personnelle et communautaire, voire culturelle. Selon l’approche du pape, nous devons lire l’ensemble des crises que traverse notre humanité comme la déformation de cette figure au niveau de notre humanité. La recherche de solutions à ces crises doit se faire par le réajustement de ces quatre relations fondamentales, de manière équilibrée.

C’est pourquoi dans Laudato Si, l’expression « Tout est lié » revient très souvent :

« … Tout est lié. Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de la société. »

« … Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre. »

« Cette conversion implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle ».

Le pape François a la conviction que le problème de la pauvreté est étroitement connecté aux problèmes d’écologie. Pour lui, les structures socio-économiques produisant de l’exclusion sont les mêmes qui produisent de la pollution environnementale.

« Parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui “gémit en travail d’enfantement” ».

« Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. »

L’évolution de l’Église Catholique sur la question écologique

D’après l’article consacré à l’écologie intégrale dans Socialter (Hors-Série L’écologie ou la mort – Hiver 2021-2022), rédigé par Youness Bousenna.

En 2015, grâce à l’encyclique Laudato Si (la première consacrée à l’écologie), le pape François a donné un tournant à l’Église catholique sur la question de l’écologie. En effet, du chemin a été parcouru depuis les années 1960 au sein de l’Église catholique, où une vision dominait : celle de l’homme supérieur à la nature. Les universitaires Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon soulignent qu’à cette époque « le concile de Vatican II (1962-1965) promouvait l’exploitation des ressources (en particulier le développement de l’agriculture industrielle) ».

En 1967, Lynn White, historien médiéviste américain, publie dans Science, l’article « les racines historiques de notre crise écologique », provoquant un débat, aujourd’hui pas encore clos. L’article incrimine le christianisme, en octroyant à une interprétation du texte biblique née au Moyen Âge, les fondements d’une nouvelle relation dominante de l’homme envers l’environnement. Une phrase en particulier contrarie nombre de chrétien·nes « Spécialement dans sa forme occidentale, le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connu. » L’article de Lynn White fait l’objet de nombreuses polémiques, contribuant à placer l’Église catholique sur la sellette.

Par ailleurs, Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon, affirment que « Les Églises protestantes et orthodoxes montrent un intérêt pour l’écologie bien plus précoce que la catholique ». Chez les protestant·es, l’ouvrage Nature menacée et responsabilité chrétienne est publié en 1979 par la Commission de la défense de la nature des Églises de la confession d’Augsbourg et réformée d’Alsace et de Lorraine. Ce livre définit sept priorités, enseignant une théologie de la Terre. Chez les orthodoxes, la vision de la Création se trouve plus incarnée que chez les catholiques. Cela a donc facilité la prise en compte du sujet. Presque 20 ans avant l’Eglise catholique, l’Église orthodoxe a créé une Journée de la Création chaque 1er septembre.

Lentement, l’Église catholique se positionne en faveur du respect de la Création. Cela commence grâce à la dynamique des rassemblements œcuméniques(1). Le premier rassemblement « Paix et Justice » a lieu à Bâle en 1989. Il mobilise environ cinq cents millions de baptisés en Europe et six cent soixante délégués des Eglises catholique, protestantes, orthodoxes, anglicane de l’Ouest et de l’Est du Vieux Continent. Ils traitent ensemble, pour la première fois, des questions de paix, de justice et d’environnement. C’est ainsi que l’Église catholique se dirige doucement vers sa propre doctrine.

En 2015, en offrant à l’Église catholique une doctrine, ayant pour nom l’écologie intégrale, le pape François a renforcé une effervescence déjà présente. Dans les années 2010, des initiatives concrètes sur l’écologie ont été mises en place : En 2011, ont lieu les premières Assises chrétiennes de l’écologie ; en 2012, est créée l’association Chrétiens unis pour la Terre ; en 2013 c’est le mouvement Jeûne pour le climat qui se met en place. Ensuite, en 2017 a lieu le lancement en France du label Église verte. Après plusieurs appels faits par Jean-Paul II et Benoît XVI pour considérer une « écologie humaine », le vrai changement se fait avec le pape François. Dans son encyclique, le pape revendique une « approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature ». Le pape François apporte ici une nouvelle approche : assimiler les souffrances de la Terre et les souffrances des pauvres, comme deux faces d’un même combat.

(1)Signifie universel. Terme de religion qui qualifie quelque chose qui concerne voire rassemble tous les croyant·es de confession chrétienne. https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/oecumenique/

Sources :

– Les 10 familles de l’écologie politique : L’Écologie intégrale, Socialister, Youness Bousenna, 2022 https://www.socialter.fr/article/les-10-familles-de-l-ecologie-politique-l-ecologie-integrale

– Au rassemblement oecuménique de Bâle Les Eglises européennes de l’Est jouent les trouble-fête, Le monde, archive de 1989 https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/05/20/au-rassemblement-oecumenique-de-bale-les-eglises-europeennes-de-l-est-jouent-les-trouble-fete_4144558_1819218.html

Deuxième approche : l’écologie intégrale selon Delphine Batho et Dominique Bourg

Delphine Batho : face aux effondrements, l’écologie intégrale
Présages – Avril 2019

Delphine Batho, femme politique française et militante écologique a écrit l’ouvrage Écologie intégrale, le manifeste. Le point de départ de celui-ci est d’essayer de poser une proposition politique qui réponde aux faits scientifiques. « Le présent manifeste est un hymne à la vie sur Terre, à l’amour de la Nature et au respect des conditions d’existence des humains. L’enjeu de conserver une planète habitable pour l’humanité supplante en effet désormais tous les autres. L’écologie est devenue une question de vie ou de mort. Oubliez tout ce que vous avez aimé, imaginé, rêvé pour vous et pour l’avenir de vos enfants, dans le confort plus ou moins assuré d’une vie moderne. Tout est déstabilisé. Tout peut disparaître. Nos besoins les plus essentiels – respirer, boire, se nourrir, sont menacés par le chaos climatique et la destruction massive du vivant sur Terre. Ce n’est plus une prévision scientifique pour plus tard, mais un fait et déjà une réalité sensible. Cette destruction s’accélère avec une violence inouïe. Elle est, en fait, la véritable cause de la crise politique internationale, européenne et française. »

Dans une interview faite par le podcast Présages, Delphine Batho affirme que son concept d’écologie intégrale fait en partie référence à Laudato Si. Néanmoins elle précise que son approche n’est pas religieuse, mais politique.

Delphine Batho explique qu’aujourd’hui, ce qui dirige nos sociétés, c’est le concept de l’économie, l’argent, les références à l’indice du PIB, au CAC 40, etc, et que tout cela doit être remis en cause. Le principe de l’écologie intégrale, c’est de prioriser le fait de rester en vie. Il s’agit d’embrasser l’ensemble du vivant comme étant une partie de nous-mêmes. Le plus important c’est notre sécurité par rapport au climat, la biodiversité, notre rapport à la nature. Et c’est en fonction de cela que l’on devrait prendre les décisions budgétaires, les décisions politiques étrangères, de politique de défense, de politiques éducatives, de politique culturelle, etc. L’écologie intégrale, c’est prendre le problème de l’écologie en premier. C’est l’écologie qui devrait structurer le paysage politique. Tous les choix doivent être tendus vers la nécessité d’arrêter les trajectoires en cours, et de préparer notre résilience face aux effondrements. Dans son approche de l’écologie intégrale, elle ne considère plus que l’écologie est une politique sectorielle parmi d’autres. Selon Delphine Batho, il faut comprendre l’écologie intégrale au sens d’intégratrice « elle appréhende de façon systémique absolument tous les enjeux et tous les domaines de l’action publique à travers son paradigme. Ainsi, elle organise un changement d’échelle dans les réponses apportées aux défis de l’Anthropocène en faisant sortir l’écologie du ghetto, où elle est souvent reléguée, de la seule politique environnementale ou énergétique. »

Dans son ouvrage, Delphine Batho oppose les terriens aux destructeurs. Elle explique que les destructeurs sont celles et ceux qui sont responsables de la situation actuelle et qui continuent, par cupidité, par cynisme ou par aveuglement, à être dans le déni des limites planétaire et de l’anthropocène. Derrière le terme « terriens », il y a l’idée de rassembler celles et ceux qui savent qu’il faut préparer nos sociétés à l’effondrement déjà en cours, et ce, de façon urgente. Selon cette approche, les changements doivent être radicaux et se faire au plus vite.

Delphine Batho parle également de construire une République écologique et un État résilient. Un État résilient est un repositionnement de l’État sur les règles du respect des limites planétaires, sur les enjeux d’égalités entre toutes et tous, et redonner du pouvoir au niveau local. Elle soutient que c’est au niveau local que la résilience peut s’organiser.

Son approche de l’écologie intégrale parle aussi d’écologie intérieure. Il s’agit de notre rapport au monde qui devrait changer. Cela signifie qu’il faut se détacher du mythe de l’humanité supérieure à la nature et déconnectée d’elle. Il s’agit aussi de se détacher de l’idée que l’hyperconsommation nous rend heureux·se alors que cela nous apporte de la frustration. Cette écologie intérieure propose l’idée de reprendre son pouvoir personnel, sa souveraineté. Delphine Batho affirme que cela doit aussi se faire au niveau collectif.

Dans son approche, elle insiste sur le fait de parler d’économie permacirculaire ou de résilience, et non de transition. En effet, ce terme a été repris et son sens est maintenant biaisé. Pour elle, le terme « transition » ne dit pas l’endroit où l’on va. « Ce mot d’ordre de l’écologie politique a représenté une étape dans le mouvement des idées. Mais bien que pertinent pour évoquer le nécessaire changement de notre modèle de développement, il induit en erreur. Il laisse à penser que l’écologie n’est qu’un enjeu de long terme. La transition a ainsi été récupérée par les tenants du conservatisme pour renvoyer l’action à plus tard, comme un prétexte à l’inaction présente. »

Selon elle « L’économie permacirculaire organise non pas l’oisiveté, mais la réappropriation d’un nombre infini d’activités économiques laissées en jachère. Elle est une économie sociale et solidaire. » Elle ajoute « La valeur du travail est centrale dans l’écologie intégrale parce qu’elle entend organiser la mobilisation générale des ouvriers, des ingénieurs, des salariés de tous métiers, du secteur privé comme du secteur public, des agricultrices et des agriculteurs, des artistes, des urbanistes, des scientifiques… bref, de toutes les forces vives et de toutes les intelligences dont les savoir-faire doivent se mettre en mouvement pour inventer l’avenir. »

La notion de non-violence est aussi très importante dans cette vision de l’écologie intégrale. Selon Delphine Batho, la radicalité ne se confond pas à la violence. Une lutte peut être radicale et sans concession, sans impliquer la violence.

Pour elle, l’écoféminisme politique est une notion majeure à intégrer quand on parle d’écologie intégrale. « L’écoféminisme politique reconnaît le lien intrinsèque entre écologie et émancipation des femmes. Le combat universel pour la féminisation du pouvoir est un des leviers les plus puissants, au niveau mondial, pour accomplir la révolution de l’écologie intégrale ». Elle explique que « L’exploitation de la nature par les humains et des femmes par les hommes relève des mêmes mécanismes ancestraux accordant un statut inférieur à la féminité ». Selon Delphine Batho, la transformation du pouvoir, sa féminisation et son écologisation, sont finalement le même sujet. Il s’agit d’une transformation culturelle et radicale.

Pour résumer, l’écologie intégrale est une approche holistique considérant l’interdépendance des systèmes naturels et humains. Cette vision globale reconnaît que les humains font partie intégrante de l’écosystème et que la préservation de la biodiversité et des écosystèmes est essentielle. L’écologie intégrale, qu’elle ait une dimension plutôt religieuse ou politique, affirme qu’il est nécessaire de prendre soin de toutes les relations de vie pour tendre à un équilibre.

Les livres incontournables

Écologie intégrale. Le manifeste

Delphine Batho, Dominique Bourg

Editions du Rocher – 2019

Laudato Si

Pape François

2015

Ecologie intégrale: Pour une société…

Christian Arnsperger, Dominique Bourg

Presses Universitaires de France – 2017

Sources

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