Fiche Pédagogique

Écologie pirate

par Jeanne Sorin

Écologie pirate


L’écologie pirate est un mouvement écologiste, proposé par Fatima Ouassak. Cette politologue, essayiste, militante, écologiste et féministe française, prône une écologie accessible à toutes et tous et un accès à la liberté. Co-fondatrice du « Front de mères », premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, et de « Verdragon », une maison de l’écologie populaire, elle a aussi écrit La puissance des mères et plus récemment Pour une écologie pirate : Et nous serons libres.

Ce dernier livre s’adresse aux populations des quartiers populaires et aux populations des quartiers pavillonnaires, aux adultes et aux enfants. Il nous invite à la créativité pour qu’ensemble nous puissions créer un projet écologiste qui soit en mesure de faire face aux politiques d’étouffement (des humains et non-humains), menées par le système en place.

Dans son ouvrage, Fatima Ouassak part du constat que les personnes vivant dans les quartiers populaires, principalement descendantes de l’immigration ouvrière et post-coloniale, sont les premières victimes du dérèglement climatique et des défaillances du système actuel (celui qui a permis la destruction du vivant). Elle précise d’ailleurs que les plus touchés sont les enfants, étant les plus vulnérables. Pour elle, le principal problème dans les quartiers populaires, c’est que les personnes qui y vivent ne se sentent pas chez elles, et ce, non pas parce qu’elles ne le souhaitent pas, mais à cause du processus de désencrage organisé et systémique. Dans son livre, elle parle de ces populations comme étant des « sans-terre » et « sans-pouvoir ».

L’écologie proposée par Fatima Ouassak se veut à la hauteur des urgences climatiques et d’un potentiel risque de l’accès au pouvoir de l’extrême droite.

Plan de la Fiche

  • Pourquoi parler d’écologie pirate ?
  • Dénonciation du projet écologique majoritaire
  • Les notions clés de l’écologie pirate
  • Les livres incontournables
  • Les sources de cette fiche

L’écologie pirate : un projet de résistance pour se libérer
Blast, le souffle de l’info – février 2023

Pourquoi parler d’écologie pirate ? 

Selon Fatima Ouassak, l’écologie majoritaire n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. L’écologie proposée aujourd’hui est trop défensive, et ne se positionne pas suffisamment sur ce qu’elle souhaite pour l’avenir.  

L’écologie pirate c’est une forme de radicalité rejetant l’écologie majoritaire et œuvrant pour créer un monde où l’on serait libre et notamment libre de circuler, que ce soit au sein des villes et entre les différents pays et continents. Le but de l’écologie pirate est d’élargir le front écologiste en mettant en place un projet de résistance, visant à la libération et l’égale dignité humaine. Il s’agit donc de reprendre la liberté au système colonial et capitaliste oppressif. Pour Fatima Ouassak, cette écologie pirate doit être radicale et en rupture avec le projet politique déjà existant.  

Le mot pirate a été choisi car il incarne la liberté et il fait référence à un imaginaire enfantin. En effet, elle souhaite intégrer les enfants dans ce mouvement écologiste, de manière enthousiaste et positive. À la fin de son livre, Fatima Ouassak propose d’ailleurs un conte pour eux, afin qu’ils puissent s’identifier à cette quête de liberté. Dans le préambule de son livre, elle fait aussi référence au manga One Piece, qui symbolise l’envie et le besoin de liberté de toutes celles et ceux qui sont victimes de l’oppression du système.  

Dénonciation du projet écologique majoritaire 

Fatima Ouassak insiste sur le fait que l’écologie majoritaire n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Elle dénonce d’ailleurs la manière dont le mouvement climat appréhende les classes populaires, qui sont hors de ses rangs. Ce mouvement social est très clivant puisqu’il se compose presque essentiellement des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées en France et de personnes blanches. Pour Fatima Ouassak, le projet de l’écologie majoritaire aujourd’hui est compatible avec le système coloniale et capitaliste, dans le sens où il cherche à garder son niveau de confort. 

Pour elle, l’écologie majoritaire ne remet pas en cause fondamentalement le système d’oppression (de classe, de genre et de race) qui conduit à la destruction du vivant. Les rapports de domination ne sont pas remis en question, que ce soit entre le sud global et le nord global, entre les quartiers pavillonnaires et les quartiers populaires, entre la classe moyenne supérieure et la classe ouvrière. Or, ce sont ces rapports de domination qui sont la cause principale de la destruction du vivant. Pour elle, les questions migratoires, démographiques, raciales, coloniales sont liées à l’écologie et au climat. Ignorer ces points revient à soutenir le système d’oppression et l’ordre établit. Pour Fatima Ouassak, il n’est pas possible de conduire un projet écologiste sans conduire un projet antiraciste, anticolonial et internationaliste. Dans son interview pour Reporterre, elle s’exprime « Le racisme et le rapport colonial au monde participent de la dévastation du vivant et, pour spolier une terre, on a besoin de déshumaniser les personnes qui l’habitent. Pour pouvoir spoiler les quartiers populaires, y implanter des déchetteries et les infrastructures les plus polluantes, il faut s’assurer que les populations qui y vivent n’aient pas leur mot à dire. Et, a fortiori, les sous-humaniser et les priver de leur pouvoir politique — notamment de leur liberté de circuler, les contrôles policiers étant une manière de leur signifier qu’elles ne sont pas ici chez elles.» 

Les notions clés de l’écologie pirate 

Libérer et protéger la terre  

Selon Fatima Ouassak, il existe deux principales raisons qui empêchent les populations des quartiers populaires de protéger la terre. La première raison, c’est parce qu’on leur dit qu’elles ne sont pas chez elles ici, en France, en Europe. Les populations des quartiers populaires ne sont pas en position de protéger une terre alors qu’elles sont elles-mêmes opprimées et sous contrôle. Dans son livre Pour une écologie pirate, Fatima Ouassak précise « On ne peut pas demander aux habitants des quartiers populaires de s’impliquer contre ce qui détruit la terre ici et, en même temps, leur rappeler sans cesse qu’ils ne sont pas chez eux à coups de discriminations raciales massives dans tous les espaces sociaux, de contrôles policiers racistes, de difficultés à obtenir des papiers ou d’islamophobie plus ou moins assumée ». La seconde raison, c’est que les quartiers populaires sont éloignés de la terre, à cause de leur bétonisation extrême. Les quartiers populaires sont emmurés, privés de nature. 

Avant de parler de protection de la terre, Fatima Ouassak préfère d’ailleurs parler de libération de la terre.  Pour elle, les habitant·e·s des quartiers populaire doivent d’abord s’ancrer sur ce territoire sur lequel ils et elles vivent à présent. Cela doit se faire par la réappropriation du pouvoir politique. 

 

Avoir du pouvoir politique et se positionner  

Pour Fatima Ouassak, les personnes vivant dans les quartiers populaires sont empêchées de faire de la politique. Dans son interview pour Blast, elle dit que « les populations populaires sont exclues sur champ écologiste et du champ politique de manière générale ». Elle insiste sur le fait que la plupart des habitant·e·s des quartiers populaires n’ont aucun pouvoir politique. « On s’étonne que ces populations ne se sentent pas concernées par l’écologie, ne se sentent pas légitimes, à participer au front écologiste, mais on oublie de poser cette question du pouvoir politique. Mon hypothèse, c’est que dès lors que ces personnes, qui vivent dans les quartiers populaires, ont accès à du pouvoir politique, dès lors qu’elles se sentent chez elles sur cette terre en Europe, en France, dans leurs quartiers populaires, elles auront davantage la légitimité de protéger la terre.»  

Dans son interview pour Reporterre, elle s’exprime sur le fait que tout le monde devrait être inclus dans le domaine de la politique. « Nous devons mener un projet politique qui ait à cœur d’inclure tout le monde, toute la terre de l’Hexagone, et pas seulement celle de Sainte-Soline [Deux-Sèvres] — pour moi, les « sans terre » sont les habitants des quartiers populaires, les personnes migrantes, les personnes roms.»  

Elle pose les questions suivantes « Quelles sont les conditions matérielles d’existence de ces personnes-là, qui sont les principales victimes du dérèglement climatique et des pollutions, mais aussi de la montée en puissance de l’extrême droite ? Comment les améliore-t-on de façon à ce que ces populations puissent mieux respirer, mieux se nourrir, être libres de circuler, etc. ? Comment casse-t-on les murs, comment ouvre-t-on les horizons des quartiers populaires, qui n’ont jamais été autant bétonnés, emmurés ?» Pour elle, toutes ces questions devraient être au cœur des débats, et ce n’est pas encore le cas. 

Dans son livre, elle parle de « faire sécession », si l’extrême droite devait venir au pouvoir. Dans son interview pour Blast, elle affirme d’ailleurs, « je refuse d’être gouvernée, d’être dirigée par des suprémacistes blancs». Pour elle, le fait de faire sécession a un rapport direct avec la piraterie, avec cet accès à l’autonomie, en ayant la possibilité de subvenir à ses besoins et d’être libre de circuler.  

 

Créer un commun 

Selon la politologue française, les populations des quartiers populaires sont réduites à leur force de travail et elles sont sous-humanisées. C’est pour changer cela qu’elle souhaite que l’écologie soit accessible à toutes et tous. Pour elle, cela ne suffit pas d’informer et d’essayer de sensibiliser les populations des quartiers populaires à l’écologie. Tout le monde devrait pouvoir être acteur·ice du changement. Pour rendre cette idée concrète, elle a créé un lieu qui s’appelle « Verdragon ». Il s’agit d’une maison de l’écologie populaire, se situant entre Bagnolet et Montreuil, où se retrouvent des classes moyennes supérieures et les classes populaires, des personnes blanches et non blanches, des adultes et des enfants. Ce lieu propose différents projets et activités : conférences, AMAP, ateliers de toutes sortes, tables rondes. C’est un projet de protection du vivant, d’émancipation et de libération de la terre. C’est un lieu qui laisse l’espace à toutes et tous de s’exprimer. Fatima Ouassak propose d’envisager de créer des lieux comme « Verdragon », où les populations pourraient créer un autre rapport à la terre, au temps, à l’environnement. 

Pour elle, ce sont des projets comme celui-ci qui permettent à des personnes venant de milieux différents de se rencontrer et de créer ensemble un monde respirable pour les enfants. Pour elle, il est important de se demander ce qui peut faire commun, ce qui peut toutes et tous nous réunir. Pour Fatima Ouassak, ce qui fait commun c’est la terre (qui est un besoin universel) et la liberté. 

 

La liberté de circulation 

La liberté de circuler est un privilège de classe, raciale et coloniale et non un droit fondamental. Dans son interview pour Blast, Fatima Ouassak s’interroge : « Pourquoi n’est jamais posée la question de la liberté de circuler sans conditions des populations qui subissent des catastrophes climatiques ou autres. La liberté de circuler aujourd’hui n’est pas un droit fondamental. » Le mouvement écologiste et plus précisément le mouvement climat, se contentent de poser la question de la réduction de la circulation des plus riches, ce qui pour elle, est loin d’être suffisant.  

Pour Fatima Ouassak, si tout le monde était libre de circuler, pas seulement les européen·ne·s vers l’Afrique par exemple, mais aussi les africain·e·s vers l’Europe, cela permettrait notamment aux populations descendantes de l’immigration, de pouvoir renouer avec leurs héritages, leurs communautés, leurs langues maternelles.  

 

En résumé, l’écologie pirate de Fatima Ouassak est une approche de l’écologie qui s’inscrit dans une perspective radicale de transformation sociale. Elle s’oppose aux formes d’écologie majoritaire ou mainstream, qui ignorent les questions de justice sociale et de lutte contre les inégalités. 

Les livres incontournables

Pour une écologie pirate – Et nous serons libres
Fatima Ouassak
La Découverte – 2023

Sources

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