Fiche Pédagogique
Les 9 limites planétaires
par Jeanne Sorin
Les 9 limites planétaires
Les activités humaines sur la Terre mettent en péril les équilibres naturels, tels qu’ils existent depuis le début de l’Holocène (nom de l’ère géologique qui représente les 11 000 dernières années). Depuis la révolution thermo-industrielle, notre planète a changé d’état et nous pouvons dire que nous sommes aujourd’hui dans l’Anthropocène. Cette révolution géologique d’origine humaine a été marquée par une grande accélération des activités humaines et d’une accélération de la croissance démographique. La démographie humaine est passée de trois à six milliards entre 1950 et 2000. L’Anthropocène est aussi fortement marqué par l’exploitation massive des énergies fossiles, la montée du capitalisme et la mondialisation. C’est tout cela qui nous a fait sortir de l’Holocène. Nous sommes donc définitivement sorti·es de cette période qui était favorable à l’essor des civilisations humaines.
L’origine des 9 limites planétaires
Le concept des limites planétaires met en avant un ensemble de neuf limites planétaires, dont certaines peuvent d’ailleurs se diviser en deux sous limites. Il s’agit des ressources ou des fonctionnements de notre planète dont le dépassement emmènerait à un basculement des équilibres planétaires. Ces limites ont été identifiées pour aider à définir un espace sûr et stable dans lequel l’humanité puisse prospérer à long terme.
Les neuf limites planétaires ont été proposées pour la première fois en 2009 par le chercheur suédois Johan Rockström du Stockholm Resilience Center et par un groupe de 28 scientifiques de renommée internationale. Ces neuf limites concernent le climat, la biodiversité, les forêts, l’eau douce, l’acidification des océans, les cycles de l’azote et du phosphate, les pollutions chimiques, les aérosols émis dans l’atmosphère et la couche d’ozone. Dépasser chaque limite accroit le risque de définitivement fragiliser et déstabiliser l’environnement planétaire. Franchir ces limites augmente aussi le risque de provoquer des dégâts majeurs pour tous les êtres vivants. Les limites sont fixées en amont d’un potentiel point de bascule. Par exemple, concernant le climat, nous pouvons noter que le changement climatique est arrivé à un point de non-retour car les changements initiés par le réchauffement vont s’accentuer même si les émissions de gaz à effet de serre s’arrêtent.
Durant une conférence à l’Université de Technologie de Troyes, Dominique Bourg explique que « Depuis 2018, nous commençons à percevoir l’effet boomerang de nos dégradations antérieures. Cet effet boomerang n’est pas linéaire mais exponentiel. L’habitation de la planète devient de plus en plus difficile, et c’est cela le sens du référentiel des limites planétaires. »
Les différentes limites planétaires et leur évolution
En 2009, quand le référentiel a été publié, trois limites étaient franchies. En 2015, une quatrième limite a été dépassée, puis en 2022, une cinquième. Selon le site du Stockholm Resilience Center et leurs dernières mises à jour, six des neuf limites ont été transgressées.
Les trois premières limites atteintes au moment de la première évaluation en 2009 étaient le changement climatique, la disparition trop rapide des espèces et les rejets d’azote menaçant les écosystèmes marins. À ce moment-là, les pollutions chimiques (nouvelles entités) et les rejets d’aérosols dans l’atmosphère n’étaient pas encore quantifiées. En 2015, les chercheur·euses ont constaté que la limite des rejets de phosphates dans l’environnement avait été franchie et que la limite sur la biodiversité s’était complexifiée. En 2022, pour la première fois, la limite des nouvelles entités a été évaluée et la limite des ressources en eau douce a été appréciée avec plus de précision, grâce à la considération de l’humidité des sols.

« Les segments en orange sont ceux pour lesquels la limite est atteinte ou franchie. La limite est une zone d’augmentation forte des risques. »
© Stéphane Jungers/Reporterre
Les limites déjà atteintes
Le changement climatique
La limite du changement climatique est évaluée selon la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2). Il y a aujourd’hui une augmentation constante de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. En 2023 nous sommes à 425 ppm contre 280 ppm en 1850. Le franchissement de cette limite a marqué le début de l’Anthropocène. À cause du dérèglement climatique, il y a des vagues de chaleur, des vagues de sécheresse, des cyclones, des inondations hors normes, des méga feu. Tout cela a notamment un très fort impact sur la production alimentaire.
L’intégrité de la biosphère
Cette limite évalue les risques concernant la perte de la diversité du vivant. Selon Reporterre dans son article Tout comprendre aux limites planétaires « En dessous de 10 espèces perdues par an pour 1 million, l’érosion de la biodiversité est jugée sans effet majeur sur la biosphère. Cette limite est largement dépassée puisque le taux de disparition des espèces évalué aujourd’hui est de 10 à 100 fois supérieur. » La diversité fonctionnelle des espèces est un autre indicateur qui aide à mieux comprendre le rôle de chaque espèce dans les écosystèmes. Néanmoins, cet indicateur doit encore être mieux étudié. Reporterre précise « Les chercheurs estiment en effet que la disparition des espèces ne suffit pas à mesurer la menace, puisque toutes les espèces ne se valent pas et que certaines contribuent plus à l’équilibre des écosystèmes que d’autres. Les effets observables du changement climatique ont par ailleurs poussé les experts à rabaisser cette limite. »
Le changement d’usage des sols
Cette limite évalue la perte des forêts. Les changements d’utilisation des sols, par le déboisement d’immenses surfaces forestières, sont majoritairement dus à l’intensification et à l’extension de surfaces agricoles. La déforestation réduit la capacité des forêts à jouer leur rôle de puits de carbone, nécessaire à la régulation du climat. Les changements d’utilisation des sols ont de graves conséquences : la perte de biodiversité, l’érosion des sols, l’accroissement des risques d’inondations et les coulées d’eau boueuse, l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre, etc.
L’utilisation d’eau douce
Les prélèvements en eau douce pour les besoins des activités humaines ont un impact néfaste sur les écosystèmes car ils perturbent le cycle de l’eau. La limite en eau bleu (lac, rivières, nappes souterraines) n’est pas atteinte. Elle est fixée à un prélèvement annuel de 4000 km3/an, et les prélèvements sont à 2 600 km3/an. Néanmoins la limite en eau verte est dépassée. Il s’agit de l’humidité des sols dans les zones racinaires. Les sols sont d’ores et déjà soit très asséchés ou au contraire, détrempés.
La perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore
L’agriculture industrielle dans certaines parties du monde est l’unique responsable du franchissement de cette limite. Cette activité est en effet responsable de la perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore. Les rejets de ces deux éléments dans les océans constituent un risque majeur pour la préservation des écosystèmes marins. L’excès d’azote et de phosphore qui sont apportés aux cultures, exerce une influence très néfaste sur les rivières et océan. Cela favorise l’eutrophisation des rivière (surabondance de matière organique dans un cours d’eau, un lac ou une zone côtière entraînant l’asphyxie du milieu, donc une perte sérieuse de biodiversité et des pollutions) et l’anoxie des océans (diminution de l’oxygène dissous ou présent et biodisponible dans le milieu).
Les nouvelles entités introduites dans l’environnement
Les nouvelles entités sont les substances créées par les humains, ayant un impact néfaste sur l’environnement. Il s’agit notamment des produits chimiques et des substances synthétiques (comme les microplastiques, les perturbateurs endocriniens et les polluants organiques), des matières radioactives (comme les déchets nucléaires et les armes nucléaires), les organismes génétiquement modifiés et d’autres interventions humaines directes dans les processus évolutifs. La production et la dissémination de ces substances sont considérées comme étant hors de contrôle. En effet, des centaines de milliers de produits chimiques synthétiques sont désormais produits et rejetés dans l’environnement. Selon l’article de Reporterre, il semblerait qu’une petite partie seulement des 350 000 substances mises sur le marché aient été évaluées sur leur danger pour la santé et pour l’environnement.
Les limites presque franchies
L’acidification des océans
La dissolution du dioxyde de carbone dans l’océan réduit le pH de l’eau de mer, et cause une acidification de cette eau. Cette limite correspond au niveau d’acidité qui provoque une dissolution du carbonate de calcium formé par des organismes marins. La tendance s’accentue et s’aggrave à mesure que les émissions anthropiques de CO2 continuent de croître.
La charge en aérosols atmosphériques
Il y a une quantité croissante d’aérosols (particules en suspension) émis dans l’atmosphère. Ces particules émises par la combustion des énergies fossiles perturbent le système climatique. Cela a aussi des effets néfastes sur la santé humaine. L’augmentation des aérosols dans l’atmosphère menacent la mousson indienne, qui pourrait disparaitre. Cette limite qui a été étudiée en Asie du Sud, n’a pas encore été évaluée à échelle globale.
Une limite non dépassée
La diminution de la couche d’ozone
Les substances qui appauvrissent la couche d’ozone diminuent son rôle protecteur face aux rayons du soleil, dangereux pour les écosystèmes et la santé humaine. Selon Reporterre, « Cette limite, qui fixe un minimum de concentration d’ozone dans l’atmosphère, est la seule qui s’éloigne. » C’est la seule zone qui est appelée à rester verte.
La théorie du Donut
Kate Raworth est une économiste se consacrant aux défis sociaux et environnementaux de notre époque. Elle a écrit La Théorie du Donut, l’économie de demain en 7 principes lors de ses années de travail à Oxfam Grande-Bretagne. Son but est de repenser l’économie pour pouvoir répondre aux besoins vitaux des humains et préserver l’environnement. À travers la Théorie du Donut, Kate Raworth lie les enjeux d’intégrité environnementale et de justice sociale.
Dans le Donut, l’autrice définit les besoins dont personne ne devrait être dépourvu·e (alimentation, santé, éducation, eau potable, logement, accès à un travail digne, égalité des genres, une voix politique, etc). Ce cercle appelé « plancher social » constitue un objectif à atteindre pour que chacun·e puisse s’épanouir. Cet épanouissement est étroitement lié au « plafond environnemental » qui expose les neuf limites planétaires. Cet épanouissement dont parle Kate Raworth, ne peut avoir lieu si nous utilisons les ressources de manière trop intensive, au risque de soumettre l’équilibre de la planète à une trop grande pression.
Selon l’article d’Oxfam France, La théorie du donut : une nouvelle économie est possible, « L’objectif de la Théorie du Donut est de développer une nouvelle approche économique, durable et inclusive. » Aujourd’hui, le processus industriel est linéaire et dégénératif. Les ressources de la planète sont captées, transformées, utilisées pour être ensuite rejetées. C’est cela qui cause le dépassement des limites planétaire. Mais avec ce donut, Kate Raworth propose un système circulaire et régénératif. « Au lieu même de recycler, il est possible de réutiliser, de réparer, de partager. Cette économie régénérative repose également sur les énergies renouvelables au lieu des énergies fossiles. » Au sein de ce donut, se trouve l’espace juste et sécurisé pour les humains, dans lequel peut se développer une économie durable et inclusive.

Le respect des limites planétaires est crucial pour maintenir la stabilité de la Terre et prévenir des changements environnementaux catastrophiques qui pourraient menacer la vie sur notre planète. Les scientifiques surveillent ces limites et cherchent à les maintenir dans des plages sûres pour assurer la durabilité de notre planète à long terme.
Les vidéos à voir absolument
ET SI ? Admettre les limites planétaires par Dominique Bourg
Université de Technologie de Troyes – 2022
En quoi consistent les limites planétaires ?
France Culture – 2022
Les sources de cette fiche
Planetary boundaries, 2023 https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html
Earth beyond six of nine planetary boundaries, 2023 https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.adh2458
En quoi consistent les limites planétaires ?, France culture, 2022 https://www.youtube.com/watch?v=HhGtZkZVte8
ET SI ? Admettre les limites planétaires par Dominique Bourg, Université de Technologie de Troyes, 2022 https://www.youtube.com/watch?v=0055y-7o3yg
Tout comprendre aux limites planétaires, Magali Reinert et Stéphane Jungers, 2022 https://reporterre.net/Qu-est-ce-que-les-limites-planetaires
La théorie du donut : une nouvelle économie est possible, Oxfam France, 2020 https://www.oxfamfrance.org/actualite/la-theorie-du-donut-une-nouvelle-economie-est-possible/
Changement d’utilisation des sols, Commissariat général au développement durable, 2019 https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/limites-planetaires-ressources/article/changements-d-utilisation-des-sols
Eutrophisation de l’eau : définition et solutions, 2023 https://aquagir.fr/gestion-milieux-aquatiques/connaissances/eutrophisation-de-leau-definition-et-solutions/#:~:text=Le%20terme%20eutrophisation%20vient%20du,lac%20ou%20une%20zone%20c%C3%B4ti%C3%A8re.
Anoxie, 2021 https://glossaire.eauetbiodiversite.fr/concept/anoxie
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