Fiche Pédagogique

Énergie

par Jean-Christophe Anna et Benoit Bride

Énergie ?

 

 L’énergie est un concept qui remonte à l’Antiquité. Le mot français « énergie » vient du latin vulgaire energia, lui-même issu du grec ancien ἐνέργεια / enérgeia. Ce terme grec originel signifie « force en action », par opposition à δύναμις / dýnamis signifiant « force en puissance » ; Aristote a utilisé ce terme « au sens strict d’opération parfaite », pour désigner la réalité effective en opposition à la réalité possible.

Si le terme d’énergie s’est précisé dans le cadre des sciences physiques depuis le XVIIIe siècle, il garde toutefois plusieurs sens différents, fort d’une longue histoire. Le terme est utilisé dans de nombreux domaines dont la philosophie, l’économie, la nutrition, la spiritualité, voire l’ésotérisme, où il se rapporte à des notions variées, et à des concepts divergents en fonction des époques, des lieux et des auteurs. L’énergie est un concept qui intervient lors des transformations entre phénomènes physiques différents. Ces transformations sont contrôlées par les lois et principes de la thermodynamique. L’unité de l’énergie définie par le Bureau international des poids et mesures (BIPM) dans le Système international (SI) est le joule.  

L’énergie, d’où vient-elle ? Et sous quelle forme est-elle utilisée ?

L’énergie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, provient de 3 sources :

  • fossiles (pétrole, charbon, gaz liquide)
  • nucléaire (uranium)
  • renouvelables (hydraulique, éolien, solaire, biomasse et déchets)

Le mix énergétique mondial n’a pas évolué depuis… 1980. Selon le World Energy Outlook publié par l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) en 2017, les énergies fossiles fournissent toujours l’essentiel de la consommation d’énergie de l’humanité, soit 82% : 32% pour le pétrole, 28% pour le charbon et 22% pour le gaz naturel. Le nucléaire représente 5%, l’hydroélectricité 2%, les biocarburants et les déchets 10%.
Les deux formes d’énergies renouvelables notables dans le mix énergétique sont le bois-énergie et l’hydro-électricité.
Le bois-énergie est utilisé dans quasiment tous les pays pour le chauffage ou la cuisson : simple d’utilisation, souvent disponible localement à bas prix, il est en général privilégié par les plus pauvres. Il pourrait représenter une part encore plus importante de nos énergies si l’on améliorait et généralisait la maîtrise de la combustion dans des appareils simples et peu onéreux (poêles low-tech), tout en gérant intelligemment les coupes forestières (forêt jardinée et recépage).
L’hydro-électricité, en particulier des barrages, est encore aujourd’hui la seule source d’électricité renouvelable conséquente (entre 10 et 15% de l’électricité en France selon les années et les précipitations), qui de plus est très réactive et stockable. Dans certains pays bien pourvus, c’est une source qui peut représenter entre la moitié et 100% de la production d’électricité. Dans une société sobre en énergie, l’hydraulique pourrait donc satisfaire une grande part de nos besoins, rien qu’en utilisant et en entretenant le parc existant.
Les aures énergies renouvelables (solaire et éolien principalement), quant à elles, ne couvrent que… 1% de la consommation mondiale. Ainsi, malgré leur développement, leur proportion dans le mix énergétique n’évolue pas car, dans le même temps, les énergies fossiles continuent d’être utilisées toujours en plus grande quantité.

Dans notre société, nous utilisons l’énergie produite sous 3 formes : chaleur, électricité, essence.

Comme l’illustre brillamment la métaphore de cette voiture en pleine accélération alors que le réservoir est presque à sec (Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens), notre civilisation thermo-industrielle ultra-dépendante à l’or noir en consomme toujours plus alors qu’il y en a toujours moins. De l’extraction des ressources à l’acheminement des marchandises, de la production de l’ensemble de nos produits à leur recyclage, de l’agriculture à l’industrie, de nos déplacements quotidiens à nos voyages lointains… l’ensemble de notre économie et la quasi-totalité de nos échanges et interactions dépendent du pétrole. 

Le Taux de Retour Énergétique ou la question de la qualité

À la question essentielle de la quantité de pétrole disponible, s’ajoute celle tout aussi déterminante de la qualité. Très accessible à l’origine, le pétrole était aussi de très grande qualité. Le pétrole conventionnel est en effet directement exploitable. Sa densité énergétique, sa puissance, est exceptionnelle. Elle n’a d’ailleurs pas d’équivalent parmi les autres sources d’énergie. « Sale », le pétrole non conventionnel – pétrole de schiste et sables bitumineux – a besoin d’être raffiné. Sa densité énergétique est au moins 5 fois plus faible.

« Le taux de retour énergétique (Energy Return On Energy Invested, EROEI) est la principale mesure de la qualité de l’énergie. Il s’agit du rapport entre l’énergie utilisable par la société et l’énergie mise en œuvre pour la rendre utilisable. » Yves Cochet – Devant l’effondrement – Essai de collapsologie – Les Liens qui Libèrent, Septembre 2019 

Au début du XXème siècle, aux États-Unis, le Taux de Retour Énergétique (TRE) était de 100 pour 1 (100 :1). Pour 1 baril investi au Texas ou dans l’Oklahoma, 100 barils étaient extraits.  

Aujourd’hui, le TRE moyen au niveau mondial pour le pétrole conventionnel est de l’ordre de 15 pour 1. Vous imaginez bien que le jour où l’énergie consommée (la quantité de barils utilisée) pour l’extraction sera plus importante que l’énergie puisée (la quantité de barils produite), nous finirons par arrêter de creuser, quelle que soit la quantité de pétrole qu’il restera sous terre. Lorsque le TRE est de 1:1 (1 baril produit pour 1 baril produit), le « jeu » n’en vaut plus la chandelle. Mais, avant même d’en arriver là, l’inévitable descente énergétique va grandement impacter notre niveau de vie et l’ensemble de nos activités. En effet, notre train de vie mondial actuel correspond à un TRE situé entre 11:1 et 12:1 (Victor Court Energie, EROI et croissance économique dans une perspective de long terme, thèse de sciences économiques, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, 18 novembre 2016 et Energy, EROI and quality of life – Jessica Lambert). 

Nous nous en rapprochons donc dangereusement d’autant plus que le pic global mondial est prévu pour 2025 et que le TRE du pétrole non conventionnel est très inférieur à celui du pétrole conventionnel (environ 3:1 pour les sables bitumineux de l’Alberta, le pétrole et le gaz de schiste du Texas et du Dakota du Nord, les huiles extra-lourdes de l’Orénoque).                                                        

« Le problème est que nos sociétés modernes ont besoin d’un TRE minimal pour fournir l’ensemble des services actuellement offerts à la population. Le principe de l’exploitation énergétique est grossièrement le suivant : nous allouons d’abord le surplus énergétique dont nous disposons aux tâches indispensables à notre survie, par exemple à la production alimentaire, à la construction de nos habitats et au chauffage de ceux-ci, à la confection de nos vêtements, ou au système sanitaire dans les villes. Ensuite, nous répartissons le solde restant au fonctionnement des systèmes de justice, de sécurité sociale, de santé ou d’éducation. Enfin, s’il nous reste un surplus énergétique, nous l’utilisons pour nos divertissements (tourisme, cinéma, etc.). Aujourd’hui, le TRE minimal pour fournir l’ensemble de ces services a été évalué dans une fourchette comprise entre 12 :1 et 13 :1. En d’autres termes, il s’agit d’un seuil en deçà duquel il ne faut pas s’aventurer sous peine de devoir décider collectivement – et avec toutes les difficultés que cela implique – des services à conserver et de ceux auxquels il faudra renoncer. Avec un TRE moyen en déclin pour les énergies fossiles, et un TRE ne dépassant pas 12 :1 pour la majorité des énergies renouvelables, nous approchons dangereusement de ce seuil. » Pablo Servigne et Raphaël Stevens – Comment tout peut s’effondrer – Seuil, 2015  

Conclusion ? Si, en 2025, la seconde moitié des stocks de pétrole sera bien toujours disponible, une grande partie restera à jamais dans les entrailles de notre planète. Car, comme nous venons de le voir, le pétrole est de moins en moins accessible, et sa qualité, sa densité énergétique, de plus en plus faible. Nous allons donc finir par manquer de pétrole beaucoup plus vite qu’on ne le pense et notre niveau de vie va chuter irrémédiablement. 

« Lorsque le surplus d’énergie décroît, comme il le fait aujourd’hui, c’est-à-dire lorsqu’il faut de plus en plus d’énergie pour extraire et fournir de l’énergie – bref, lorsque l’énergie nette diminue –, la croissance ralentit, puis l’économie décline. » Yves Cochet – Devant l’effondrement – Essai de collapsologie – Les Liens qui Libèrent, Septembre 2019 

Il ne serait donc pas très étonnant que dans les prochaines années le pétrole finisse par être rationné ou réservé à certains usages considérés comme prioritaires (production agricole et approvisionnement alimentaire ? chauffage ? fonctionnement du système sanitaire ?) avec nécessairement une limitation des transports (et donc des vols, des voitures…), de l’industrie et du commerce, et forcément un impact gigantesque sur la totalité de nos activités. La pénurie du « sang » de notre économie s’accompagnera inévitablement de tensions voire de ruptures en matière de transport, de logistique et d’approvisionnement des supermarchés dans les villes… Non, les trois-quarts de l’humanité n’habiteront pas en milieu urbain en 2050, nous allons plutôt connaitre un exode urbain massif ! 

L’un des risques de la future pénurie d’énergie est l’augmentation de la déforestation pour compenser… Eh oui, avant de découvrir le charbon, les humains brulaient d’énormes quantités de bois et c’est pour mettre fin à cette activité estimée dangereuse (l’extermination des forêts) que nous nous sommes tourné·e·s vers le charbon, en ignorant à l’époque les impacts climatiques inhérents à l’émission des gaz à effet de serre. Puis, nous avons découvert l’or noir. Outre sa formidable densité énergétique, sans équivalent, le pétrole pouvait être pompé et transporté en se passant des mineurs et des conflits sociaux et grèves associé·e·s à l’exploitation du charbon, comme le raconte parfaitement l’excellent documentaire L’homme a mangé la Terre de Jean-Robert Viallet (disponible sur la boutique Arte).

La non-substituabilité du pétrole 

Pour bien appréhender l’extraordinaire puissance des énergies fossiles, et notamment celle du pétrole, une image forte est particulièrement parlante. Savez-vous que, pour profiter de notre niveau de confort actuel en France, nous sommes toutes et tous, sans le savoir, des esclavagistes en puissance ? En effet, comme le rappelle souvent dans ses interventions Jean-Marc Jancovici, ingénieur spécialiste des questions énergétiques, chaque Français·e – donc vous comme moi – utilise annuellement une quantité d’énergie (transports + agriculture + industrie + résidentiel) équivalent au travail que fourniraient 400 à 500 humains adultes en bonne santé travaillant 210 jours par an. Nous avons donc chacun·e 400 à 500 esclaves (fictifs) énergétiques à notre disposition ! Aucun pharaon, aucun sultan, aucun empereur, aucun roi, n’a jamais eu autant d’esclaves directement à son service. Autrement dit, la formidable densité énergétique des énergies fossiles nous a permis de vivre plus que largement au-dessus de nos moyens, en nous habituant à un confort absolument non soutenable. 

« Un Français a l’équivalent de 400 à 500 esclaves à sa disposition 24 heures sur 24 ! […] En bref, aujourd’hui, l’énergie mécanique ne vaut pas cher, elle ne vaut rien, et son abondance a fait du plus minable des Occidentaux un nabab au regard de ce qu’étaient les conditions matérielles d’un « Français moyen » du 19è siècle. Qui avait les moyens, avant que charbon, pétrole et gaz – et marginalement le reste – n’envahissent nos vies, de se payer avec le seul fruit de son travail « normal » l’équivalent de cinq cent domestiques pour se déplacer, se nourrir, se divertir, faire sa cuisine et sa vaisselle, et j’en passe, ce qui est maintenant la condition de M(me). « tout le monde » ? Le roi, et encore ! […] La conclusion de cette affaire est évidemment indicible en démocratie : ce n’est pas seulement le mode de vie de M. Dassault ou de la Reine d’Angleterre qui est devenu « non durable » si nous nous mettons sur le terrain de la physique, mais bien celui de chacun(e) d’entre nous, ouvrier(e)s d’usine, agents de nettoyage et caissier(e)s de supermarché compris. […] Il y a quand même une bonne nouvelle : une division de l’énergie fossile consommée par 4 dans l’Hexagone, ce qui est nécessaire pour régler le problème climatique, signifie encore, à technologie constante, une bonne centaine « d’équivalent esclave » par Français. Ce ne serait pas vraiment le retour à l’âge de pierre, contrairement aux affirmations de certains ! » Jean-Marc Jancovici – «Combien suis-je un esclavagiste ?» – jancovici.com

Nombreux·euses sont celles et ceux qui pensent que nous pouvons remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables. Pourtant, ces « essences » de substitution représentent une fausse solution pour remplacer notre carburant principal.  

Aucune des énergies renouvelables n’a une densité énergétique, une puissance, comparable à celle du pétrole (1,6:1 pour le solaire à concentration aux États-Unis, 2,5:1 pour le photovoltaïque en Espagne). 

Second point faible et non des moindres : les énergies renouvelables sont intermittentes. Il n’y a pas de soleil la nuit et le vent ne souffle pas en continu. Par conséquent, elles posent un problème de stockage, paramètre souvent éludé par leurs promoteurs. Cet inconvénient, non négligeable, diminue considérablement le TRE annoncé généralement. En tenant compte de l’intermittence de l’énergie éolienne et de la nécessité d’y associer un dispositif de stockage, le TRE a priori intéressant de 18:1 dégringole littéralement à 3,8:1 !

« Les énergies renouvelables ont des caractéristiques physiques qui sont très inférieures à celles du pétrole, et même par rapport au gaz et au charbon. Pour les plus « en vogue », éolien et solaire, elles sont intermittentes et non pilotables, en plus d’utiliser des sources diffuses.
Historiquement, le vent est une énergie qui fut utilisée pour mettre en place la marine à voile et les moulins. À cette époque-là, ces infrastructures ont servi à une production qui était stockable, c’est-à-dire la farine ou les marchandises transportées. Si le vent est intermittent mais que la farine est stockable, l’intermittence n’est pas trop grave. 
En revanche, comme l’électricité est par définition un électron en mouvement, et que donc par définition on ne peut pas la stocker (sans la transformer en autre chose), l’intermittence devient très gênante. Ainsi, si on veut remplacer un système électrique centralisé quel qu’il soit (charbon, gaz ou nucléaire) par un système non pilotable, avec les capacités de stockage qui vont avec, on se rend compte que ça demande entre 5 et 40 fois les investissements du système centralisé, et une consommation de ressources non énergétiques (métaux, ciment, espace au sol) multipliée par un facteur voisin, ce qui est hors d’atteinte. » Jean-Marc Jancovici « On ne peut plus éviter la totalité des claques » – Mr Mondialisation, 22 mars 2019

Enfin, il convient de ne pas oublier que les énergies renouvelables sont hyper dépendantes du pétrole pour l’extraction, le raffinage et le transport des matériaux qui entrent dans leur composition d’un côté, tout comme pour la fabrication et l’acheminement des batteries électriques, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes de l’autre. Or, il ne reste pas assez de pétrole pour développer massivement des énergies renouvelables susceptibles de remplacer le pétrole. Notre dépendance à l’or noir est bel et bien absolue… Le pétrole n’est pas substituable !

« Les énergies renouvelables n’ont pas assez de puissance pour compenser le déclin des énergies fossiles, et il n’y a pas assez d’énergies fossiles (ou minerais) pour développer massivement les énergies renouvelables de façon à compenser le déclin annoncé des énergies fossiles. » Pablo Servigne et Raphaël Stevens – Comment tout peut s’effondrer – Seuil, 2015

Et le nucléaire ? 

« Dans les alternatives aux fossiles, vous n’en avez que trois : économiser l’énergie, utiliser des renouvelables et utiliser du nucléaire. » Jean-Marc Jancovici « On ne peut plus éviter la totalité des claques » – Mr Mondialisation, 22 mars 2019

Que penser du nucléaire ? C’est LA question taboue par excellence, surtout en France, le pays où cette énergie, symbole de souveraineté, a un statut si singulier. Je dois avouer en toute transparence avoir longtemps pensé que cette énergie était la plus dangereuse. Forcément, le nucléaire fait immédiatement penser à Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl et Fukushima. 

Entre l’horreur inqualifiable de son utilisation militaire et les dommages inévitables de son exploitation civile, le nucléaire n’est pas vraiment l’énergie la plus rassurante qui soit. Et nous pourrions ajouter les incroyables dégâts occasionnés par les essais nucléaires, tout comme les risques associés à l’arme nucléaire dans les mains de pays comme l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée du Nord l’Iran – mais… est-ce plus rassurant de savoir que Biden (et Trump avant lui !), Johnson, Xi Jinping, Poutine ou Macron peuvent appuyer sur le bouton fatal ? – ou encore la question sensible et insoluble des déchets nucléaires.
La question de l’énergie nucléaire est absolument atypique pour la France, car cette énergie y représente 85 % de la production d’électricité, contre 12 % au niveau mondial. Mais depuis Fukushima cette part ne cesse de décroître, car les quelques constructions de centrales ne compensent pas les innombrables fermetures. Pour comprendre cette tendance, il faut noter que l’incident de Fukushima a été un choc non seulement pour le commun des mortels mais aussi pour les partisans du nucléaire : ce fut la concrétisation d’un ensemble d’incidents menant à « la grosse brèche » du cœur du réacteur. Ce scénario – étudié lors des études de sûreté des installations – était considéré comme impossible. De surcroît, cet évènement a eu lieu dans un pays riche avec des travailleurs sérieux et connus pour leur rigueur, contrairement à Tchernobyl, ou la responsabilité de l’accident a été largement imputée à la gabegie supposée des organisations soviétiques.
Cette tendance baissière n’a pas de raison de s’inverser, même si la France et ses entreprises du nucléaires tente de s’accrocher à cette technologie quoiqu’il en coûte. Et le coût est énorme : les entreprises sont renflouées régulièrement par l’état, et la récente faillite d’AREVA met en évidence les coûts pharaoniques de nouvelles centrales de type EPR. EDF est d’ailleurs en cours de démantèlement, et tout porte à croire que les pertes liées aux centrales vieillissantes et aux déchets nucléaires seront entièrement supportés par l’état et ses contribuables.

Si certains scientifiques ou experts s’accrochent à cette technologie en raison de ses faibles émissions de gaz à effet de serre (comme Jean-Marc Jancovici), réduire les risques du nucléaire à sa seule empreinte carbone est pour le moins dangereux. Les doutes exprimés par Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont parfaitement lucides et la vision noire d’Yves Cochet – dans son livre Devant l’effondrement – particulièrement clairvoyante :

« Notre affirmation initiale sur l’absence de nucléaire en 2050 mérite réflexion dans la perspective de l’effondrement. En effet, certains éléments radioactifs utilisés dans cette filière demeurent radioactifs très longtemps, et le resteront bien au-delà de 2050. Il se pourrait donc que, lors de la débâcle des services, la sécurité et la sûreté des 450 réacteurs nucléaires existants dans le monde – dont 58 en France aujourd’hui – deviennent défaillantes par manque de personnel. Cette hypothèse n’a jamais été envisagée par les thuriféraires du nucléaire. Pourtant, l’édification, la conduite et la surveillance de la filière nucléaire réclament un certain type de société, à la fois très technologique, très sécurisée et très stable sur le long terme.
On peut considérer comme une chance que, depuis soixante ans, aucun conflit, aucun attentat dans le monde n’ait affecté de zones munies d’installations nucléaires. Mais qu’en sera-t-il au cours du XXIème siècle ? Qui a parié que la France, ou les États-Unis, ou la Russie, ou la Chine, ou l’Inde, ou le Japon, ou tout autre pays nucléarisé, demeureront des sociétés technologiques, sécurisées et stables pendant encore un siècle ? […]C’est pourtant mal connaître l’âme humaine et l’histoire sanglante du XXe siècle, s’aveugler devant les bouleversements qui s’annoncent face aux déséquilibres croissants entre les régions du globe, rêver innocemment à un monde de paix et de fraternité comme il n’en a jamais existé, que de croire possibles la poursuite et le développement du nucléaire sans désastres majeurs, qu’ils soient civils ou militaires, fortuits ou volontaires.
Que deviendrait un réacteur nucléaire laissé à lui-même – c’est-à-dire sur un territoire effondré, sans personnel de contrôle, de sûreté et de sécurité, et sans électricité ? À la suite des catastrophes de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011), il est possible de prédire que la réaction en chaîne qui, en fonctionnement ordinaire, permet de fournir beaucoup de puissance s’arrêterait rapidement grâce à la descente gravitaire des barres de contrôle en quelques secondes, ce qui exclut, en principe, toute explosion de type bombe atomique (sauf dans les réacteurs comme celui de Fukushima, où ces barres sont placées au fond de la cuve !). La puissance résiduelle due à la radioactivité sans réaction en chaîne serait alors suffisante pour faire grimper la température jusqu’à plusieurs milliers de degrés et faire fondre le cœur en quelques heures. Se formerait ensuite un magma de métaux et minéraux fondus, le corium, qui pourrait traverser la cuve du réacteur, éventuellement engendrer une explosion de vapeur si de l’eau est présente. Une fois le fond de la cuve fondu, le corium pourrait percer ou faire exploser le bâtiment réacteur, et ainsi répandre quantité d’éléments radioactifs dans le milieu naturel.
Selon la dynamique de la catastrophe, la topographie des lieux et la météorologie, la dispersion de ces éléments serait plus ou moins étendue, pour des décennies. En outre, une autre source de dispersion que le corium serait simultanément activée : l’arrêt de refroidissement des piscines de stockage du combustible usagé ou neuf. Lorsque l’eau s’évaporerait – en quelques jours –, les barres de combustible s’échaufferaient jusqu’à s’enflammer ou fondre, avec la possibilité d’un dégagement d’hydrogène, par radiolyse de l’eau, produit par l’interaction avec le béton. Derechef, des explosions dispersives pourraient alors répandre des éléments radioactifs dans le milieu ambiant. Dans certaines régions de France, une contamination radioactive durable rendrait inhabitables, voire intraversables, les territoires concernés. Enfin, rien n’exclut une guerre nucléaire mondiale qui pourrait mettre fin, entre autres, à l’espèce humaine.
Dans les paragraphes qui précèdent, je me suis appliqué à employer des verbes au conditionnel et efforcé de fournir une description objective, sans pathos. Toutefois, je ne puis me retenir de souligner que cette dimension nucléaire de l’effondrement sera la plus terrifiante de toutes. 
»

On peut retenir un chiffre simple sur les accidents nucléaires majeurs (comme Tchernobyl ou Fukushima) : 1000km², c’est la superficie devenu inhabitable, soit un disque de 36km de diamètre à rayer définitivement de la carte. En France, contrairement aux certitudes des partisans de l’atome, la probabilité d’occurrence d’un tel accident n’est pas plus faible qu’ailleurs, et elle est à multiplier par 56 (le nombre de réacteur depuis que les 2 tranches de Fessenheim sont arrêtées).

L’arrêt progressif des centrales implique impérativement de répondre à trois questions cruciales !

1. Comment assurer l’indispensable refroidissement des centrales dans de graves conditions de pénuries d’eau – multiplication des cours d’eau à sec en raison de la sécheresse – de plus en plus fréquentes ? 

2. Comment arrêter les réacteurs en urgence dans le cas d’une longue coupure d’électricité ?

« Plus dramatique encore, des pannes d’électricité trop longues, couplées à des ruptures d’approvisionnement en pétrole, pourraient gêner les procédures d’arrêt d’urgence des réacteurs nucléaires. Car – faut-il le rappeler – il faut des semaines, voire des mois de travail, d’énergie et de manutention pour refroidir et éteindre la plupart des réacteurs… » Pablo Servigne et Raphaël Stevens –  Comment tout peut s’effondrer

3. Comment garantir l’impérieuse transmission du savoir relatif au fonctionnement des centrales et à la gestion des déchets ? 

« Sans le savoir technique déjà accumulé, comment feront les générations futures pour tenter de traiter la toxicité des déchets que notre génération a produits ? Voilà une question cruciale qui ne se pose que dans le meilleur des cas, celui où les réacteurs actuellement en fonctionnement auront pu être arrêtés avec succès. En effet, non seulement les instabilités géopolitiques et le réchauffement climatique menacent gravement le fonctionnement normal des réacteurs (terrorisme, conflits armés, manque d’eau pour le refroidissement, inondations, etc.), mais, en cas d’effondrement financier, économique puis politique des régions nucléarisées, qui pourra garantir le maintien en poste des centaines de techniciens et d’ingénieurs chargés de la simple extinction des réacteurs ? » Pablo Servigne et Raphaël Stevens –  Comment tout peut s’effondrer – Seuil, 2015

Inutile de vous dire que ces petits « détails » ne sont absolument pas étudiés par nos politiques…

Ces questions doivent avoir été anticipées (aïe…) et il nous faut espérer que les chocs liés à la phase terminale de l’effondrement n’anéantissent pas définitivement toute organisation sociétale à même de répondre aux trois typologies de périls évoquées.

À ce jour en France, seul l’arrêt de la centrale de Fessenheim, la doyenne française, a été enclenché, après 43 ans d’activité, avec l’arrêt du premier réacteur le 22 février 2020 et le débranchement du deuxième réacteur le 30 juin 2020. Le démantèlement est programmé en 3 étapes – en dehors de toute considération relative à l’effondrement, évidemment non envisagé, le contraire eut été surprenant – sur une durée totale de… 20 ans ! 5 ans pour la mise à l’arrêt définitif : retrait du combustible, vidange des circuits de la centrale, démontage des installations non nucléaires afin d’éliminer 99% de la radioactivité du site. 15 ans pour le démantèlement partiel : démontage de tous les équipements et des bâtiments (à l’exception du bâtiment réacteur), isolement des réacteurs placés sous surveillance, conditionnement des déchets avant leur acheminement vers les centres de stockage. Enfin, peut commencer la dernière étape, celle du démantèlement total : démontage entier du bâtiment réacteur et évacuation des matériaux et équipements radioactifs, assainissement du terrain pour éliminer toute trace de radioactivité. Comment imaginer que ces 3 étapes puissent se dérouler sans accroc une fois que l’effondrement systémique global aura eu lieu ???

Blackout ! 

Enfin, n’oublions pas que si l’électricité, omniprésente, semble si évidente, si « naturelle », elle est en réalité totalement artificielle et finalement assez fragile. Il nous faut vivre une privation à la suite d’une tempête, d’un ouragan ou d’un séisme pour que nous prenions conscience que nous avons bien du mal aujourd’hui à nous en passer. Mais, nous ne sommes pas à l’abri non plus de coupures d’électricité géantes, en dehors de tout événement météorologique ou incident climatique grave, en raison d’infrastructures et de réseaux de distribution de plus en plus sophistiqué·e·s et interconnecté·e·s. Peut-être avez-vous visionné l’une des vidéos partagées sur les médias sociaux montrant Paris complètement plongée dans le noir le 27 novembre 2019 en raison d’un incident technique intervenu sur un poste électrique de Cergy-Pontoise. Pendant quelques minutes, toutes les lumières de la capitale se sont éteintes, de la Tour Eiffel aux Grands boulevards, des Champs-Élysées à Montmartre. New-York, elle aussi, a connu une panne d’électricité géante le 14 juillet 2019, le jour anniversaire du «Blackout» de 1977, la coupure d’électricité gigantesque qui avait touché quasiment toute la ville pendant 25 longues heures ! Mais la palme 2019 de la méga-coupure électrique revient sans aucune hésitation à l’Argentine et à l’Uruguay qui partagent un système d’interconnexion électrique situé sur le barrage binational de Salto Grande, situé à 450 kilomètres au nord de Buenos Aires et à 500 kilomètres au nord de Montevideo. La panne géante du 17 juin 2019 a privé d’électricité près de 50 millions d’Argentins et d’Uruguayens pendant une dizaine d’heures ! Le Paraguay, le Chili et le sud du Brésil ont également été affectés. L’incident était dû à une panne du système de distribution. 

Lorsqu’une telle panne électrique survient, tout s’arrête : les lumières dans les logements, hôtels, auberges, bars, restaurants et commerces ; les lampadaires et les enseignes dans les rues, les feux de circulation, les ascenseurs, les escalators, les métros, tramways, trains et avions cloués au sol, les spectacles ; tous les appareils potentiellement vitaux dans les hôpitaux et cliniques (en espérant qu’ils soient bien équipé·e·s de générateurs de secours) ; les frigos et chambres froides ou tous les appareils électriques et électroniques (ceux munis d’une batterie peuvent encore fonctionner le temps de la charge)… Mais, de très nombreux dommages collatéraux aggravent rapidement la situation. Sans électricité, les pompes des stations service ne délivrent plus d’essence et les distributeurs plus de billets. Toute carte bancaire redevient un vulgaire morceau de plastique puisque les TPE (Terminaux de Paiement Électronique) ne fonctionnent plus. Les réseaux téléphoniques et internet sont également impactés. Les stations de radio et les chaines de télévision n’émettent plus… Last but not least : sans courant électrique vous pouvez faire une croix sur le chauffage (à l’exception des cheminées et poêles à bois) et sur l’alimentation en eau courante des habitations ! Alors forcément, si une telle panne devait durer plusieurs jours, c’est toute l’économie qui se retrouverait paralysée !

Dans son célèbre et brillant thriller Black-out, Marc Elsberg détaille tous ces impacts et dépeint avec maestro l’extraordinaire vulnérabilité du réseau électrique européen :

« La Suède, la Norvège et la Finlande au nord, l’Italie et la Suisse au sud sont tombées, expliquait l’opérateur derrière lequel se tenait Jochen Pewalski. Y compris des parties des États voisins comme le Danemark, la France, l’Autriche, également la Slovénie, la Croatie et la Serbie. E.ON signale quelques pannes, Vattenfall et EnBW sont totalement dans l’orange. Les Français, les Polonais, les Tchèques et les Hongrois aussi. Plus quelques taches sur les îles Britanniques.»
Jochen Pewalski, directeur de la conduite réseaux pour Amprion, travaillait depuis plus de trente ans au sein du complexe situé non loin de Cologne, sorti de terre en 1928 pour servir de dispatching à l’ancienne compagnie d’électricité de la Rhénanie Westphalie (RWE), connu depuis longtemps sous le nom de « disjoncteur principal de Brauweiler ». L’écran gigantesque, de seize mètres sur quatre, zébré de lignes rouges, oranges et vertes, ainsi que ceux, innombrables, des postes de travail, lui rappelaient jour après jour la responsabilité qui lui incombait, ainsi qu’à ses équipes.
À Brauweiler, on surveille, aiguille et conduit l’intégralité du réseau de transport d’électricité de la société Amprion, l’un des quatre réseaux allemands les plus étendus, l’un des plus grands réseaux européens pour le 380 et le 220 kilovolts. On y coordonne en outre l’interconnexion entre les quatre grands gestionnaires de réseaux de toute l’Allemagne, ainsi qu’avec toute la partie nord-européenne du réseau d’électricité, et on en surveille l’équilibre entre production et consommation d’électricité. Il s’agit de la Belgique, de la Bulgarie, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche, de la Pologne, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la République tchèque et de la Hongrie.
Depuis la libéralisation du marché de l’électricité, il y a quelques années, les missions sont devenues de plus en plus importantes, et, simultanément, de plus en plus complexes. Aujourd’hui, l’électricité traverse presque toute l’Europe, depuis l’endroit où elle est produite jusqu’à celui où elle est consommée. Donner et prendre en permanence. Mais cet équilibre, précisément, venait de s’effondrer dans plusieurs parties de l’Europe.
 »

Cessons de vouloir à tout prix remplacer telle énergie qui serait polluante ou dangereuse par telle autre qui le serait moins. Toute énergie passe par une extraction de ressources, une pollution et des déchets, des dégâts écosystémiques et climatiques. La seule solution qui vaille réellement à mes yeux est d’accepter l’inéluctable descente énergétique, voire même de l’accélérer en réduisant considérablement nos besoins pour finir par nous en passer au maximum. 

« On aurait pu s’en douter, mais ce fait confirme la cécité des cornucopiens1 face aux réalités thermodynamiques du monde : le taux de croissance de la production planétaire d’énergie a franchi son maximum à la fin du XXème siècle et n’a cessé de décroître depuis. La production nette d’énergie elle-même va bientôt piquer et entamer son déclin terminal, de même que la qualité des énergies fossiles restantes. Compte tenu de l’importance première de l’énergie dans toute civilisation et de la folle exubérance de la consommation énergétique dans les pays industrialisés, ce seul facteur de décroissance de la quantité et de la qualité de l’énergie disponible suffirait presque à expliquer l’effondrement du monde au cours des prochaines années, ainsi que le vandalisme rival des années suivantes pour acquérir les deniers stocks de carburant liquide avant épuisement définitif. C’est pourquoi notre scénario n’envisage pas, vers 2050, d’autres disponibilité que certaines formes d’énergies renouvelables. Pas de fossiles, pas de nucléaire, pas d’électricité (même issue de renouvelables). La situation globale et locale est, de ce fait, intégralement renversée. En France, la consommation totale d’énergie primaire – aujourd’hui environ 250 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Tep), soit 3,7 Tep par habitant et par an – sera sans doute divisée par vingt en 2050 compte tenu de la disparition de toutes les sources industrielles de production. Si l’effondrement systémique mondial imminent n’entraîne pas la disparition de l’espèce humaine, les habitants de la France dans la seconde moitié du XXIème siècle pourraient bénéficier de trois sources principales d’énergies renouvelables thermiques, produites localement : le bois de chauffage, le charbon de bois et le biogaz. Complémentairement, la domestication élémentaire de l’eau et du vent (roues à aube, moulins à vent), ainsi que l’utilisation d’animaux de trait (bœufs et chevaux), pourraient fournir un peu d’énergie mécanique. » Yves Cochet – Devant l’effondrement – Essai de Collapsologie – Les Liens qui Libèrent, Septembre 2019

Alors, oui, il nous faudra revenir à la bougie, au feu et faire à nouveau usage de nos muscles ! Et alors ?

« S’il n’y a pas de sursaut collectif anticipé, il est donc possible que, dans le grand silence du monde postindustriel, nous revenions à une situation bien plus précaire qu’au Moyen Âge. Et dans ce cas, ce seraient paradoxalement les partisans de la croissance effrénée qui nous auront tous fait revenir à « l’âge de pierre ». Ces chantres du « Progrès » ont vénéré la brève grandeur, cet esprit de la fête telle qu’elle a été pratiquée depuis deux siècles, sans lendemain, où l’intention était d’essayer de vibrer, bouger et crier toujours plus fort, pour oublier tout le reste, pour s’oublier. Il fallait toujours plus d’énergie, d’objets, de vitesse, de maîtrise. Il fallait toujours plus d’avoir. Aujourd’hui, pour eux, c’est la gueule de bois, la fête est finie ! Finalement, la modernité ne sera pas morte de ses blessures philosophiques postmodernes, mais faute d’énergie. Et si les amphétamines et les antidépresseurs ont été les pilules du monde productiviste, la résilience, la sobriété et les low-tech seront les aspirines de cette génération gueule de bois. » Pablo Servigne et Raphaël Stevens – Comment tout peut s’effondrer – Seuil, 2015

1 : Un cornucopien est un futurologue qui estime que les innovations technologiques permettront à l’humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels (Wikipédia).

La sobriété comme unique échappatoire ! 

Quelles que soient les sources d’énergie utilisées à l’avenir, la démarche la plus saine pour anticiper les crises énergétiques consiste donc à diminuer drastiquement notre consommation. Ceci peut sembler être une régression pour certains, comme un « retour à la bougie », mais nous devons prendre en compte le fait que nous savons beaucoup mieux utiliser une calorie d’énergie aujourd’hui qu’il y a 100 ans : nous savons isoler les logements, créer des poêles ou des chaudières à haut rendement, faire des moteurs légers et efficaces, éclairer avec des LEDS… Nous pourrions déjà sans aucune perte de confort ou d’usage diviser par deux nos consommations d’énergie.
Le souci principal est celui de l’effet rebond, qui montre qu’à chaque innovation plus économe, on augmente la quantité d’usage : lorsque nous isolons les logements, nous chauffons plus de m² par personne ; lorsque nos voitures consomment moins, nous roulons plus de kilomètres ; puisque nos frigos sont moins gourmands en électricité, nous achetons un format américain…

Il est donc primordial de travailler d’abord sur la diminution des besoins : favoriser la relocalisation des logements près des emplois, décourager les fortes consommations d’énergie par personne (forfait énergie, prix progressifs), récompenser la sobriété (prime aux basses consommations)…

Ceci rejoint le travail de l’association française Négawatt, qui depuis près de 20 ans publie et met à jour un scénario de diminution de la consommation énergétique basé sur trois piliers : sobriété, efficacité, énergies renouvelables. Leur travail est parfaitement réaliste, et montre qu’une division par deux de notre consommation d’énergie pourrait être atteinte sans difficulté majeure.

Il est cependant clair que la sobriété est un préalable à la réflexion sur les sources d’énergie, car une fois la demande réduite il devient beaucoup plus aisé de la satisfaire avec des énergies renouvelables.

Si les éoliennes et les panneaux solaires pourraient alors jouer un rôle important dans le mix électrique, il faudrait avant tout compter sur l’hydro-électricité, en particulier les barrages existants, car c’est une source d’électricité renouvelable conséquente, bon marché, réactive et stockable.
À noter également que si l’éolien et le photovoltaïque sont en effet des énergies erratiques (mais en partie prédictibles), ranger le nucléaire dans la case « pilotable », comme les barrages ou le fossile, est assez discutable. Une fois le combustible nucléaire chargé, les exploitants ne changent que très peu la puissance de la tranche, car sinon le coeur subit une usure différenciée qui nécessitera un déchargement anticipé. En France ce sont les autres moyens de production (barrages, charbon, gaz, fioul) qui assurent l’essentiel du suivi de la consommation. Pour pallier ce problème, lors de la mise en place du parc nucléaire dans les années 70-80, EDF a aussi construit des stations de pompage hydrauliques (turbine réversible, qui produit de l’électricité le jour et qui remonte l’eau dans un réservoir amont la nuit) pour assurer le suivi de la consommation à la place du nucléaire. Ces installations sont également un atout pour l’intégration des nouvelles énergies renouvelables.

En ce qui concerne le chauffage des habitations, diviser par deux la consommation d’énergie est parfaitement accessible grâce à l’isolation. Certains pays sont en avance sur ce sujet : par exemple l’Allemagne a déjà une consommation moyenne au m² moitié moindre par rapport à celle de la France. Une fois ce travail fait, il devient également plus facile de chauffer grâce au solaire thermique et/ou à la biomasse. Ces deux énergies renouvelables peuvent être envisagées dans des maisons individuelles ou dans des réseaux de chauffage urbain. En ce qui concerne le bois-énergie, il est primordial de procéder à la réduction du besoin en amont pour éviter le massacre de nos forêts, et passer dans toutes les régions à une forêt jardinée (éclaircissements raisonnés sans coupe blanche) ou à des méthodes de recépage (coupe cyclique des branches hautes, sans tuer l’arbre).

Enfin en ce qui concerne la mobilité, on retiendra que les mobilités douces (marche, vélo, transport en commun) sont une vraie solution. Pour les rendre accessibles à tous une grande réflexion sur l’aménagement du territoire est inévitable. À noter que la voiture électrique ne solutionne rien en ce qui concerne l’énergie, c’est même l’inverse : les pertes de la batterie et du réseau, le surpoids du véhicule, l’énergie nécessaire à la production de la batterie, tout cela peut conduire à une consommation supérieure pour 1km parcouru.

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