Dans le livre qu’il vient de publier, Jean-Christophe Anna nous invite à « écrire ensemble un nouveau récit pour sauver la VIE ». Cette invitation, cette injonction contient un implicite très fort qui résonne en nous comme une évidence ; et pourtant nous assistons bien, comme les bras croisés, à la sixième extinction de masse comme s’échine aussi à le répéter de vidéos en vidéos Aurélien Barrau. Cela dit nous sommes déjà dans un effondrement de la vie, avant même que le réchauffement climatique, comme une sinistre chronique jour après jour annoncée, ne fasse son œuvre ; sans qu’aucune COP, en forme de rituel de conjuration, n’y puisse rien..

 

Méditation de la vie

Mais alors pourquoi cela résonne-t-il si fort en nous, pour peu qu’on y pense ? Parce que nous tenons à la vie, et que la mort nous effraie, que de tout temps l’homme a cherché une planche de salut, soit du côté de la religion, soit du côté de la philosophie. « Philosopher c’est apprendre à mourir », se plaisait à nous enseigner Montaigne dans ses Essais. Néanmoins, il entendait par cette sentence nous guider dans une école de la vie. Pascal observait de son côté que « les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux , de n’y point penser » ( Pensées L133 ). Contre cette stratégie du divertissement, Spinoza nous invitait quant à lui, à suivre les inclinations de ce qui fait notre essence , comme ce qui fait l’essence de l’ensemble des vivants : « persévérer dans notre être », en augmentant notre puissance d’agir (ce qu’il appelait le conatus – le désir), c’est-à-dire à orienter notre action selon ce qui nous met en Joie.

Pour lui « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ». Éthique 4, proposition LXVII

On pourrait penser que par cette proposition Spinoza ne fait que reprendre cette idée un peu convenue qu’il nous faut – nous autres pauvres humains – nous interroger sur le sens de notre existence individuelle. Il faut y entendre bien plutôt un message plus fort quant à la puissance et à la beauté du vivant qui dépasse le seul horizon de l’existence humaine.

 

Penser le vivant

Spinoza nous invitait ainsi à « Penser le vivant ». Ceci est aussi le titre d’un recueil d’articles passionnant, publié sous la direction de 4 professeurs de littérature (Laurence Dahan-Gaida , Christine Maillard , Gisèle Séginger, Laurence Talairach-Vielmas).

On peut y lire combien cette idée que nul ne saurait s’autoriser à « penser le vivant » s’il n’est spécialiste des sciences biologiques, peut être limitante et fausse. L’introduction de l’ouvrage par Gisèle Séginger, professeur de littérature, nous démontre magistralement le contraire. Elle met bien en évidence comment le développement de la biologie au 19e siècle s’opère en suivant une veine du temps non plus référée à la création divine ou à l’idée plus ancienne encore d’un Cosmos ordonné de toute éternité, mais à celle d’un temps archéologique structurant l’évolution même de l’Univers, de la Nature et du Vivant .

Jean-Baptiste de Lamarck est l’un des tous premiers à appeler à l’invention d’une science de la biologie qui envisagerait le vivant dans son unité et sa continuité. Il s’agit donc pour lui au travers de sa théorie du « transformisme », de dépasser l’approche dominante jusqu’alors qui consistait à élaborer des classifications et des taxinomies des espèces inventoriées, pour s’intéresser aux propriétés générales de la vie.

Gisèle Séginger fait référence aussi à Michel Foucault qui dans Les mots et les choses montre comment le 19e siècle constitue un moment de rupture épistémologique ouvrant sur la modernité.

« L’épistémé classique de la représentation et du visible qui a fait son temps cède la place à une nouvelle épistémé qui réinvente la vie comme un phénomène caché dans l’organisation invisible des êtres ».

Résumé

Au-delà des connaissances scientifiques et en particulier des découvertes importantes pour la médecine (cellules, bactéries, molécules organiques, et plus tard ADN), le succès des sciences du vivant a provoqué la circulation de savoirs, d’images, de modèles de pensée vers d’autres disciplines, mais aussi la formulation de nouvelles interrogations sur le pouvoir de l’homme, sur ses interventions dans le domaine du vivant, sur son rapport à l’environnement, qui dépassent bien le cercle d’intérêt de la science elle-même, et encouragent de ce fait l’approche transdisciplinaire.
La particularité de cet ouvrage est de montrer d’une part l’implication de l’imaginaire et de l’esthétique dans les discours scientifiques sur le vivant, et d’autre part la plasticité des savoirs du vivant ainsi que leur puissance modélisante qui expliquent leur diffusion dans le champ des sciences humaines.

L’arbre de la vie

J’ai trouvé que cette présentation pouvait introduire de manière tout à fait pertinente ce projet magnifique de l’arbre de l’évolution de la vie qui vise à nous faire découvrir et penser, tout à la fois, la profondeur et l’étendue du vivant au travers d’une carte interactive, conçue sur le principe de l’arbre phylogénétique imaginé par Darwin pour présenter l’évolution des espèces.
Cet arbre proposé dans le projet OneZoom présente cette particularité d’utiliser la puissance de l’outil informatique pour mettre en perspective cette histoire du Vivant, au travers d’une image fractale. L’effet de zoom nous plonge dans les dimensions enfouies et cachée de la biodiversité tout au long de l’histoire de la Vie . Cela a pour effet saisissant de remettre l’homme à sa place comme un point dans cette galaxie infinie du vivant, représentée ici par plus de 2 millions d’espèces. On comprends là, toute la symbolique attachée à l’image de l’Arbre, en référence au Cosmos et à la Vie. On comprend aussi comment l’arbre peut cacher la forêt…

 

Légende (du visuel à gauche)
La première esquisse de Darwin d’un arbre phylogénétique tirée de son First Notebook on Transmutation of Species (1837).

 

Cette représentation en arborescence fractale nous ramène au titre de cet article « L’arbre ou le sens de la vie »  et à Spinoza en faisant penser aussi à ces premières images aussi du Teaser du film Terra de Yann Arthus-Bertrand où l’on voit se développer comme des filaments de mycélium, dans une profusion vitale et en tous sens, qui  pourrait laisser penser à un mouvement parfaitement désordonné, et que tout cela n’a aucun sens précis (idée avancée par le darwinisme à l’encontre du  « finalisme » d’ailleurs). La « méditation de la vie »  à laquelle nous invite Spinoza nous livre cette connaissance intuitive de niveau supérieur selon son propre ordre de rationalité : le sens en question est celui de « persévérer dans son être ». C’est un sens qui semble dénié, démenti  un peu plus chaque jour par l’homme manifestant bien plutôt dans son fol hubris sa puissance d’extinction du vivant. Lui qui cherche souvent un sens à sa vie, comment ne voit-il pas qu’il est tout autour de lui et en lui, dans le Vivant ?!

 

Qu’est-ce que l’arbre de vie ?

« L’arbre de vie montre comment toute la vie sur terre est liée. Chaque feuille représente une espèce différente. Les branches montrent comment ces nombreuses espèces ont évolué à partir d’ancêtres communs sur des milliards d’années. Dans notre arbre de vie interactif, vous pouvez explorer les relations entre 2 235 322 espèces et vous émerveiller devant 105 313 images sur une seule page zoomable. » Présentation de l’outil sur le site web https://www.onezoom.org/

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