Dans d’autres articles, j’ai souvent loué les mérites de la sobriété énergétique : elle ne coûte rien, et elle est efficace. Mais même si ce mot a été mis à la mode avec la survenue de la crise du gaz, et lors de la défaillance de notre parc nucléaire, il n’y a pas en France de politique volontariste de sobriété, et c’est même plutôt l’inverse pour l’électricité.

Envie de croissance ?

Quand on visualise la courbe de la consommation électrique française sur les dix dernières années, on constate que la tendance n’est plus à la croissance, mais plutôt à la stabilité, voire à une légère décroissance.

Bilan prévisionnel EDF-RTE 2023 (1)

Ce n’est pas une opinion personnelle, mais un constat de EDF-RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité national (1).

Pour l’environnement, c’est une bonne nouvelle : si on commence à consommer moins de kWh, on réduit les impacts de la production d’électricité, quelle qu’en soit la source (nucléaire, gaz, charbon, éolien, photovoltaïque…).

Malgré ce constat, EDF-RTE prévoit une forte croissance dans les années à venir, c’est le pointillé dessiné après le point d’interrogation sur le graphique.

Cette prévision n’est plus une observation factuelle, mais c’est un pari sur l’avenir, voire un désir de croissance.

Pourquoi ce désir de croissance ? Selon moi, il s’agit simplement du logiciel nucléariste d’EDF et de l’état, logiciel qui ne peut s’intégrer que dans une croissance sans fin de la demande, sujet déjà traité dans un article plus complet sur le nucléaire :

Pour justifier cette prévision de croissance, l’état et ses entreprises de l’électricité (EDF et ses filiales) lancent de vastes opérations de gaspillage de l’énergie électrique sous prétexte de lutter contre le changement climatique. Les technologies dont ils font la promotion ne sont pas si écologiques, mais elles sont assurément gourmandes en kWh.

Voitures électriques…

La principale opération de propagande est liée à la voiture électrique: quoi de mieux pour ne pas changer de logiciel que cette “miraculeuse automobile propre” ? L’état ne remet surtout pas en cause la voiture individuelle elle-même, qui est le vrai problème, mais on essaye de lui mettre de force de l’énergie nucléaire sous le capot.

Le résultat risque d’être désastreux à moyen terme pour plusieurs raisons :

  • les réserves mondiales de métaux en tension ne sont pas suffisantes pour électrifier toutes les voitures, ne serait-ce que d’un seul pays comme la France, et les grandes puissances seront en conflit pour s’approprier ces ressources (2) ;
  • l’extraction et le raffinage de ces métaux sont polluants, et notre voiture “propre” en occident générera des catastrophes écologiques ailleurs dans le monde (ou dans nos propres espaces naturels) ;
  • la voiture électrique réduirait un peu les émissions de CO2, mais elle amplifierait la demande énergétique mondiale, car elle est moins efficace qu’une voiture diesel (elle est beaucoup plus lourde, et il y a des pertes électriques sur le réseau et lors de la charge), et elle nécessite beaucoup plus d’énergie grise pour sa fabrication (3) ;
  • ces trois derniers problèmes sont aggravés par le fait que les ventes de voitures électriques sont à 40% orientées vers des SUV ou des berlines de luxe (Tesla…), qui nécessitent 3 à 5 fois plus de métaux critiques qu’une petite citadine (2) ;
  • seules les catégories aisées pourront se permettre d’acheter ce type de véhicule, et on creusera les inégalités sur le plan de la libre circulation ;
  • les investissements financiers nécessaires aux voitures électriques (nouvelles centrales, réseau de recharge…) nous empêcheront de mener d’autres politiques énergétiques plus efficientes.

Des stratégies plus intéressantes auraient pu être lancées depuis longtemps. La première vraie bonne solution serait de passer du “tout voiture” au “tout transport en commun”. Quoi de plus efficace et sain qu’un réseau de bus, cars et trains bien maillé sur le territoire, avec intermodalité vers le vélo et la marche? Ça n’a que des avantages, socialement, écologiquement, et même en terme de santé publique.

Et pour les trajets obligatoires en véhicule individuel, l’engin le plus léger est le plus écologique. J’en avais déjà parlé dans certains articles :

Et dans le bâtiment, l’état nucléaire veut aussi nous vendre l’électrification forcée, à coup de pompes à chaleur.

En France, on a longtemps tourné autour du pot en terme de rénovation énergétique du bâti résidentiel. Dans les années 2000, les subventions ont été versées souvent à pertes dans des opérations peu importantes (quelques fenêtres), puis à partir de 2010 dans des arnaques d’entreprises peu scrupuleuses (isolation à 1€), et aujourd’hui l’agence nationale de l’habitat a lancé un dispositif de rénovation global aussi compliqué que mal intentionné :

  • D’abord la refonte de la méthode oblige maintenant à calculer avantageusement les gains supposés de l’installation d’une pompe à chaleur (4).
  • Ensuite on fait l’inverse sur le bois, pourtant énergie renouvelable et locale dans beaucoup de zones rurales, et on le pénalise dans le calcul du gain (4).
  • Et enfin on complexifie le système pour favoriser les grosses boîtes parisiennes prêtes à diffuser partout sur le territoire des pompes à chaleur médiocres dévoreuses d’électrons (7). Il va sans dire que les nucléaristes avaient mis le pied dans la porte pour promouvoir cette fantastique “transition”.

Multiplication des ventilateurs de pompes à chaleur et de climatisations

Seulement, les spécialistes savent que dans beaucoup de rénovations, cette stratégie sera un échec :

  • dans les zones froides (est/nord de la France, montagnes) la pompe à chaleur air-eau est peu efficace, car l’écart de température entre l’extérieur et l’eau chaude à produire est trop important (5) ;
  • dans ces mêmes lieux, cette inefficacité devient dramatique sur radiateurs (95% des logements), car la température d’eau doit être plus haute que sur les planchers chauffants (5) ;
  • en période de grands froids sur tout le territoire, un parc important de pompes à chaleur conduira à une pointe de consommation accentuée, car tous les coefficients de performance s’effondreront et l’appel de puissance électrique nécessitera la mise en route de toutes les centrales à combustibles fossiles disponibles ;
  • et comme pour les voitures électriques, cet effort financier sur cette politique empêchera d’autres stratégies plus efficientes.

Et là aussi les “vraies bonnes solutions” sont connues, il s’agit avant tout de tabler sur l’isolation globale et totale des logements, indépendamment du mode de chauffage en place. Si l’on vise une rénovation énergétique de qualité et durable, il est crucial de passer d’abord par cette première étape (l’isolation), car les efforts sur l’enveloppe thermique diminuent la puissance nécessaire pour l’installation de chauffage. Si une chaudière ou une pompe à chaleur est installée avant l’isolation, elle sera sur-dimensionnée après isolation, elle fonctionnera à bas régime (rendement moins bon), ou elle fera de nombreux arrêts/démarrage, avec à la clef une fin de vie rapide. Ceci est d’autant plus vrai pour les pompes à chaleur, qui ont une durée de vie sans panne et sans rechargement de fluide assez réduite comparée à d’autres systèmes.

Sobriété organisée

Agir sur le transport et le chauffage résidentiel, c’est tout de même une bonne idée, car avec ces deux secteurs on touche à plus de 70% de la demande en énergie et des émissions de CO2.

Cependant, le premier problème à traiter n’est pas la source d’énergie, et enchaîner ces deux domaines à l’électricité n’est pas a priori écologique ou sobre, les motivations de cette politique sont à chercher ailleurs. Ce qui est clair, c’est que cette méthode permettrait d’améliorer les perspectives financières des entreprises travaillant dans l’électricité et dans le nucléaire.

N’oublions pas qu’EDF est au bord de la faillite (8), et qu’il vient d’être sauvé via la renationalisation. Son endettement est colossal, et les dépenses à venir le sont tout autant : éponger le fiasco des EPR (Flamanville en France et Olkiluoto en Finlande), lancer le programme de maintenance du parc vieillissant (grand carénage), remettre en service les tranches à l’arrêt (et solutionner le problème des microfissures dans les conduites de refroidissement de secours), investir pour la gestion des déchets, essayer de construire d’autres EPR… Et donc, si les factures des français baissent, ou même restent stables, son équation financière n’a pas de solution!

Selon moi, c’est pour cette raison-là que les excellents scénarios de sobriété de Négawatt et de l’ADEME (6) ne sont pas embrassés par l’état, et que le scénario de EDF-RTE (1) qui imagine une croissance de la demande électrique est largement préféré.

Scénarios ADEME à gauche et Négawatt à droite

Cependant, récemment, cette envie de croissance a été contrariée par deux crises concomitantes, suite auxquelles l’état a dû organiser une sobriété forcée:

  • d’un côté la guerre en Ukraine, et la crise du gaz qui a provoqué l’envolée des prix de l’énergie ;
  • de l’autre la découverte de microfissures critiques sur le parc nucléaire, qui a entraîné l’arrêt de la moitié des tranches nucléaires pile au mauvais moment.

C’est ainsi que contre son gré, le roi Macron a mis à la mode le mot de sobriété. On a demandé aux français de baisser le chauffage, de décaler la consommation, de mettre des pulls, d’arrêter des usines… et ça a été plutôt efficace car certaines analyses ont montré que les consommations de gaz et d’électricité avaient baissé de près de 10% durant l’hiver tendu de 2022–2023.

Mais ça, c’était une sobriété subie, forcée, non préparée.

Une sobriété organisée et anticipée pourrait être beaucoup plus efficace écologiquement, bien moins difficile à vivre, et plus équitable socialement : les centaines de milliards que l’état veut engloutir dans le tout électrique et le nucléaire pourraient être très utiles pour les transports et commun (et doux) et pour l’isolation performante de tous les logements de France. Le résultat serait que lors des prochaines crises (énergétique, écologique ou économique), que l’on sait inévitables, tous les citoyens, riches ou pauvres, auraient encore accès à un confort thermique minimal et à la libre circulation dans un périmètre raisonnable.

 

Références/notes

(1) Bilan prévisionnel Édition 2023, RTE, https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/les-bilans-previsionnels#Lesbilansprevisionnels

(2) voir le dernier livre à jour sur le sujet: La guerre des métaux rares, de Guillaume Pitron, éditions Les liens qui libèrent. Sur le sujet des SUV électriques, voir l’alerte de Greenpeace sur https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/metaux-critiques-le-wwf-france-alerte-sur-les-suv-electriques)

(3) voir l’étude de l’ADEME: ELABORATION SELON LES PRINCIPES DES ACV DES BILANS ENERGETIQUES, DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE ET DES AUTRES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX INDUITS PAR L’ENSEMBLE DES FILIERES DE VEHICULES ELECTRIQUES ET DE VEHICULES THERMIQUES. Cette étude de 2012 est toujours valide aujourd’hui car les procédés de fabrication des véhicules n’ont pas évolué significativement.

(4) en 2021, l’état a changé le coefficient de conversion en énergie primaire de l’électricité, de 2.58 à 2.3 dans les DPE immobiliers, pour améliorer l’étiquette énergie des biens chauffés à l’électricité (convecteurs ou pompe à chaleur). Puis en 2023, il a imposé l’utilisation des calculs type DPE aux audits énergétiques, jusqu’alors réalisés avec la méthode de la réglementation thermique, qui gardait l’ancien coefficient pour l’électricité, et qui appliquait un coefficient diminutif de 0.6 pour le bois-énergie considéré comme renouvelable. Dorénavant les arrêtés imposent de considérer dans toutes les études le bois-énergie comme les énergies fossiles (gaz et fioul, coefficient de 1.0), et le label “BBC-Bâtiment Basse Consommation” applique ces changements (cf. Arrêté du 3 octobre 2023 relatif au contenu et aux conditions d’attribution du label prévu à l’article R. 171–7 du code de la construction et de l’habitation).

(5) l’étude Perf in mind (rénovation performante de maisons individuelles, co-élaborée par l’ADEME, Négawatt, Enertech, Effinergie…), a mesuré les consommations électriques réelles des pompes à chaleur sur des maisons rénovées globalement (type BBC rénovation). Le coefficient moyen sur radiateurs est de 2 sur l’ensemble de la France, loin des valeurs idéales à 4 ou 5 selon les machines. Pour une région froide, ce constat est a priori pire encore, et l’appoint par la résistance électrique est inévitable.

(6) voir “scénario Négawatt 2022” sur www.negawatt.org et scénarios ADEME sur www.ademe.fr

(7) voir les nombreux articles dans la presse sur les complexités administratives de “ma prime rénov” et sur les “arnaques à la pompe à chaleur”. Un article récent sur Reporterre.net souligne l’inefficacité du système national: https://reporterre.net/Renovation-thermique-pourquoi-ca-bloque

(8) voir par exemple https://www.lexpress.fr/economie/dette-stratospherique-pertes-colossales-les-raisons-dune-annee-noire-pour-edf-Z4QPFBF2TBCZPNTK7N4KXV6BRA/

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