Des études prospectives ont déjà montré de façon détaillée comment une politique volontariste pourrait diviser par deux ou trois la consommation d’énergie en France, tout en conservant de bons niveaux de confort et de services pour toute la population. L’association Négawatt et l’ADEME travaillent sur ce sujet depuis très longtemps et ont publié plusieurs documents très sérieux (1).

Mais qu’est-ce ces préconisations théoriques donnent en situation réelle? et quels sont les impacts mesurés d’une stratégie de sobriété et d’efficacité énergétique (les deux premiers piliers de la méthode Négawatt) ?

Pour amener des éléments de réponse à ces questions, voici quelques chiffres tangibles dans le cas d’un suivi des consommations réelles pour un projet de réduction de la consommation énergétique dans une famille de quatre personnes. Cette famille vit dans une maison rurale en zone climatique froide, et le projet a d’abord consisté à rénover la maison en visant a minima le standard “bâtiment basse consommation”. Ensuite, de façon plus générale, cette famille s’est efforcée de minimiser sa consommation d’énergie (et de biens de consommation).

Nous en profiterons pour vérifier si les solutions préconisées par l’état (pompe à chaleur ou voiture électrique) peuvent encore améliorer le bilan énergétique.

Chauffage

La maison a été isolée complètement, passant de la catégorie passoire thermique, à une performance entre le BBC rénovation et le passif. La cible intiale (BBC) a été dépassée et la consommation d’énergie pour le chauffage est devenue très faible.

La consommation de bois-bûches (chauffage principal) est passée d’environ 14 stères à 5 stères en 6 ans, alors même que dans la situation initiale toute la maison n’était pas chauffée et que le confort thermique était très réduit (grandes disparités de température, courants d’air, chute de la température la nuit). L’apprentissage de l’utilisation du poêle sans bas régime et avec allumage de haut en bas (top-down) a rendu les émissions de particules liées à la combustion du bois très faibles.

La facture finale pour le chauffage est maintenant très basse, à environ 275€ par an (le bois étant disponible et peu cher dans cette zone). A noter que cette consommation inclut également le chauffage d’un bureau professionnel pour un des deux adultes de la maison.

Bien sûr ces opérations de rénovation ont un coût. Ici elles ont été réalisées en partie en auto-rénovation, et sans subventions étatiques. Mais en théorie certains ménages pourraient être financés à près de 70% par les dispositifs d’aide à la rénovation : si ceux-ci étaient moins complexes et moins biaisés, plus de ménages s’y engageraient (2).

L’utilisation de 100% de matériaux bio-sourcés a limité fortement l’impact en énergie grise lié à la rénovation de cette maison.

A partir de cette situation où le besoin en chaleur de la maison est devenu faible, l’intervention sur le chauffage sera encore source d’économie si elle est bien choisie : le changement du poêle pourra encore réduire la consommation d’environ 15%. Un poêle de masse ou de semi-masse rendrait les émissions de particules quasi nulles.

Mais le passage à une pompe à chaleur serait tout à fait inapproprié :

  • pour une pompe à chaleur correcte, il faudrait installer un chauffage central (absent dans cette maison) et des planchers chauffants (pour avoir une performance acceptable dans cette région froide);
  • le coût serait élevé : environ 20000€ ;
  • officiellement, d’après les conventions du DPE, l’opération diminuerait un peu la consommation d’énergie primaire : de 8000 à 7400kWh/an ;
  • mais toujours officiellement, d’après les conventions du DPE, l’opération augmenterait les émissions de CO2 de 104 à 252kg/an ;
  • et en définitive, l’opération augmenterait grandement la facture énergétique : de 275€ de bois à 740€ d’électricité !

Eau chaude sanitaire

L’eau chaude sanitaire de cette maison est produite par un petit ballon électrique classique de 100 litres, qui a été déplacé de la cave à la zone chauffée d’une part pour réduire ses pertes thermiques, et d’autre part pour le mettre à proximité des points de puisage (moins de temps d’attente de l’eau chaude).

Mais cette famille est dès le départ très sobre en eau chaude : ses membres ne prennent pas une douche tous les jours, et des dispositifs à économie d’eau (mousseurs sur robinets et douche “pluie”) sont installés sur tous les points de puisage. Le chauffe-eau est raccordé à un programmateur et il ne fonctionne que trois fois par semaine.

En sept ans, la consommation électrique totale est passée d’environ 2300 kWh à 1600 kWh, mais seule une partie de cette consommation est utilisée pour le chauffe-eau : on l’a estimé en 2016 à 1000 kWh et en 2021 à 650 kWh. Au cours de la période, un récupérateur de chaleur sur eaux grises des douches a été installé : ce dispositif low-tech et passif (sans moteur ou électronique) permet de transmettre la chaleur de l’eau du siphon de la douche à l’eau froide du chauffe-eau et du mitigeur. Cette installation a servi à amortir l’augmentation d’usage liée aux adolescents de la famille qui ont amplifié leur consommation d’eau sous la douche !

Mais la sobriété appliquée ici permet de consommer trois à quatre fois moins d’électricité pour l’eau chaude par rapport à la moyenne française pour ce type d’installation (qui serait de 2600kWh uniquement pour le ballon électrique).

En ce qui concerne l’eau chaude sanitaire, l’investissement a été très faible puisque le récupérateur de chaleur a coûté 700€ (et a été installé par le propriétaire), et les mousseurs quelques dizaines d’euros.

Si on veut encore réduire la consommation énergétique lié à la production d’eau chaude sanitaire, trois solutions pourraient être envisagées :

  • une pompe à chaleur air-eau pourrait produire l’eau chaude sanitaire de façon plus efficace que le ballon classique, mais comme on l’a vu dans la partie “chauffage”, ce type d’installation a peu d’intérêt pour cette maison ;
  • un ballon thermodynamique dans le garage (petite pompe à chaleur dédiée à l’eau chaude sanitaire) coûterait environ 4000€ (installation comprise), pour un gain potentiel de 65€ par an, soit un temps d’amortissement de 62 ans pour une machine qui peut durer 15 ans ;
  • enfin l’installation d’un chauffe-eau solaire est envisageable, système plus durable et facilement réparable, mais le coût (environ 7000€) serait tout aussi difficile à amortir (économie potentielle de 100€ par an).

Il est évident que dans cette situation où la sobriété est importante, et donc la consommation faible, investir dans un système plus complexe est difficile à justifier.

A noter que cette sobriété sur l’eau chaude se voit aussi dans la consommation totale d’eau potable de la maison, qui est également équipée de toilettes sèches.

La famille consomme environ 120 litres d’eau de réseau par jour, soit 30 litres par personne et par jour, alors que la moyenne française est de 150 litres par personne et par jour. C’est 5 fois moins de gaspillage

Transports

Dans cette famille, l’énergie utilisée pour les transports est sans conteste la consommation d’énergie avec le plus d’impact sur l’environnement. Ceci est lié au fait que le bourg n’est pas desservi par le train, et que les transports en commun y sont extrêmement réduits (un car par jour uniquement vers la “grande” ville à 20km). Les commodités essentielles (écoles, collège, commerces et petits supermarchés) sont tout de même accessibles à pied, et les deux adultes ont leur lieu de travail dans le bourg. L’unique voiture de la maison sert à la fois aux transports plus lointains (visites à la famille, approvisionnement divers, petits voyages…) et aux rendez-vous professionnels d’un des adultes.

La famille n’utilise pas l’avion, mais prend parfois le train.

L’unique véhicule est une voiture diesel légère, pesant environ 1000 kg et consommant environ 4 litres/100 km (véhicule économe).

15000 km sont parcourus annuellement avec cette voiture soit environ 600 litres de diesel par an, soit encore 6000kWh.

Avec 1.5 voitures pour un ménage français de 4 personnes (statistiques 2019), et 12000 km par voiture, la consommation moyenne d’essence ou de diesel pour ce type de famille est de 10000 kWh.

Ceci signifie que malgré le contexte plutôt défavorable (peu d’accès aux transports en commun), cette famille a une consommation d’énergie pour les transports automobiles inférieure de 40% à la moyenne.

On peut maintenant se poser la question de l’opportunité de passer à la voiture électrique en remplacement de la voiture diesel.

Dans une étude de l’ADEME de 2012 (3), le nombre de km à parcourir pour rentabiliser énergétiquement et écologiquement (CO2) l’achat d’un véhicule électrique par rapport à l’achat d’un véhicule thermique avait été calculé. Cette analyse avait été faite sur la base de deux types de productions électriques, un plutôt nucléaire (mix français), et un autre plutôt fossile/renouvelable (mix allemand). L’énergie grise et le CO2 émis lors de la fabrication du véhicule étaient prise en compte à l’achat du véhicule, sachant que ces deux quantités sont plus importantes pour un véhicule électrique que pour un véhicule thermique (les batteries étant plus complexes à fabriquer).

Rentabilité énergétique, étude ADEME

Rentabilité écologique (CO2), étude ADEME (3)

Dans l’analyse énergétique, on voit que la fabrication du nouveau véhicule électrique n’est jamais “remboursée” par rapport à un véhicule diesel moyen.

Dans l’analyse CO2 avec mix électrique majoritairement nucléaire (France), le surplus de CO2 lié à la fabrication du véhicule électrique est “remboursé” au bout de 25000 km.

Seulement, dans le cas de notre famille, l’ancien véhicule, s’il est bien entretenu, peut durer sans problème encore une dizaine d’année. Le fait de ne pas le remplacer tout de suite évite aujourd’hui la production de CO2 d’une fabrication. Ceci reporterait la “rentabilité CO2” a environ 60000km parcourus, soit 4 ans.

Le surcoût d’une voiture type citadine électrique par rapport à un modèle thermique est de l’ordre de 7000€ aides d’état réduites. Avec 15000km/an et les tarifs actuels de l’énergie, le passage à l’électricité pour le véhicule réduirait la facture énergétique correspondante de 700€, soit un temps de retour sur investissement de 10 ans.

Donc si on résume les chiffres principaux concernant le remplacement de cette voiture diesel par une voiture électrique, on a :

  • rentabilité énergétique : jamais atteinte
  • rentabilité CO2 en France : 4 ans
  • rentabilité économique : 10 ans

Le critère du CO2 est celui qui paraît le plus intéressant, les autres n’étant pas nettement positifs. Cependant nous n’avons pas pris en compte dans le bilan environnemental de l’opération les impacts autres que énergétique ou climatique (par exemple les pollutions liées à l’extraction minière et au raffinage des métaux), ni même les impacts de la production nucléaire liée à la charge électrique (eau, rejets, déchets…). Pour minimiser ces derniers critères, il nous semblerait plus pertinent pour cette famille d’étudier la possibilité d’acheter un micro véhicule électrique, de type Twizy ou plus petit, pour effectuer les trajets professionnel ou les courses locales : cette solution pourrait améliorer tous les indicateurs (énergétique, économique et environnemental).

Cependant, si le réseau de transport en commun était amélioré dans cette zone, le nombre de km parcourus avec la voiture diesel pourrait grandement baisser, et aucun autre véhicule ne serait nécessaire pour réduire l’impact du transport pour cette famille.

Empreinte carbone

 

 

Un calcul de l’empreinte écologique de cette famille a été réalisé avec le calculateur du footprint network (4). Ce calculateur a l’avantage de donner l’impact de notre mode de vie à la fois en hectares de Terre, et en émissions de CO2. Le calculateur de l’ADEME (5) a été testé et donne un résultat proche, mais fournit le calcul seulement en émissions de CO2.

L’empreinte écologique (1,5 hectares) atteinte est en dessous du seuil maximal par être humain (qui est à 1,7 hectares).

Par contre l’empreinte carbone (2,8 tonnes de CO2 par an) est au dessus du seuil maximal pour rester en dessous d’une augmentation de température de 1,5°C, ce seuil étant à 2 tonnes. Mais cette empreinte carbone est très basse par rapport à la moyenne française, qui est de 9 tonnes.

Sans surprise, ce sont les transports (et donc la voiture diesel), qui ont le plus gros impact.

En conclusion, on voit que l’ordre de grandeur de l’impact de la sobriété et de l’efficacité énergétique dans le scénario Négawatt est tout à fait réaliste : ces deux piliers permettent de diviser par 3 la consommation d’énergie sans perte de confort.

Avant de penser à des projets pharaoniques voués à l’échec ou trop lents face à l’urgence climatique (nouveaux EPR, remplacement complet du parc automobile…), il est primordial d’appliquer et de diffuser cette démarche simple, rapide et accessible !

Références/notes

Si vous voulez voir un de mes “bidules”, ou me contacter pour toute autre raison, vous pouvez passer par la page contact de mon site professionnel : www.pachama.eu

Crédit photo bandeau : Ricardo Annandale

Pour aller plus loin, voici quelques liens utiles à découvrir sur notre site ressources :

 

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