« Oh ! ma chère enfance ! Comme c’est stupide de te regretter à vingt-cinq ans et, à la veille de mourir, de n’avoir que de toi un souvenir exaltant et reconnaissant! Le soleil était alors si éclatant, si différent de celui de Pétersbourg, et nos jeunes cœurs battaient avec tant d’ardeur et d’allégresse! Autour de nous, alors, il y avait des champs et des bois et non un amas de pierres mortes comme aujourd’hui. »
Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Humiliés et Offensés
En ce début de troisième millénaire, les sociétés dites développées, auparavant sûres de leur cheminement sur la voie du progrès, traversent une période de doute. Un doute nécessaire, au vu des troubles qui semblent s’annoncer, et peut-être salvateur s’il peut nous mener à une relation plus pacifiée avec le monde qui nous héberge.
Dans le siècle précédent, le monde occidental était sorti des guerres mondiales avec l’espoir de pouvoir créer un monde idéal, un monde où la vérité scientifique aurait résolu toutes nos interrogations, amenant avec elle la promesse d’un beau progrès industriel pour tous les citoyens et pour tous les pays. Avec la fin de la guerre froide, les puissances internationales, enfin unies, s’imposaient comme les garantes de l’ordre et du développement économique standardisé. Elles imaginaient la notion de “fin de l’histoire”, qui laissait penser que la stabilité des systèmes économiques et des hiérarchies géopolitiques serait éternelle. Mais aujourd’hui, dans ce nouveau siècle, nous redescendons du nuage, et nous nous apercevons peu à peu que le chemin emprunté ne nous a pas encore mené à l’Eden espéré. Car en effet, de nombreux problèmes sont clairement visibles, ils ne peuvent plus être niés et ils impactent notre santé, notre bien-être, nos possessions… et, plus alarmant encore, ils sont parfois causés par la science, l’industrie, l’économie ou la politique de développement, des outils pourtant au service des êtres humains et de leur “bien être”. Certains de ces problèmes s’aggravent même d’une façon dramatique.
Face à ces problèmes climatiques, sociaux, économiques, environnementaux ou géopolitiques, une petite voix commence à se faire entendre à nouveau. C’est la voix de la Terre. Elle parle quasiment à toutes les femmes et à tous les hommes, de diverses façons, mais elle est encore assourdie car elle a été recouverte à plusieurs reprises: recouverte par le sang des paysans morts dans les grandes guerres et par celui des peuples premiers, recouverte par l’expansion du béton, recouverte par l’exploitation minière et pétrolière, recouverte par les engrais et les pesticides… De façon générale, elle a été recouverte par la soif d’avoir, cette envie d’accumuler de l’argent et des biens, qui revient tôt ou tard à prendre à la Terre sans limite sans rien donner en retour.
Cette petite voix s’exprimait déjà de façon marginale chez des penseurs éclairés, décroissants, hippies, nostalgiques… mais l’omniprésence du spectacle de masse recouvrait de son voile le discours de ces empêcheurs de consommer en rond.
Aujourd’hui, à côté de nos modes de vie occidentaux à bout de souffle, les valeurs des peuples premiers deviennent audibles et montrent leurs avantages. Les tribus amérindiennes, bien que décimées par les peuples européens, n’ont pas abandonné leurs croyances basées sur l’harmonie avec la nature, et elles réactivent leurs luttes pour protéger ce qu’il reste de leur environnement. De la même façon, le bien fondé du “buen vivir” (bien vivre) est aujourd’hui ravivé chez les peuples andins. Ces sociétés, qui privilégient l’être plutôt que l’avoir, n’ont pas fait totalement disparaître leurs idéologies dans le bouillon du développement à l’occidental, et elles mettent en évidence le fait que nos certitudes d’hommes “civilisés” ne sont pas forcément des vérités universelles.
Mais contrairement aux apparences, dans les pays que l’on dit “développés”, le germe qui nous accroche à la nature et à la Terre n’a pas été sectionné par la vie moderne. Le plus bel argument, alliant vérité et simplicité, peut être trouvé dans l’alimentation : personne ne peut vivre sans s’alimenter, et notre nourriture provient de la nature, et principalement des plantes, directement ou indirectement. Le lien est évident et ne peut pas être coupé. On peut faire un pas supplémentaire, en remarquant qu’aucun être humain ne peut s’alimenter durablement sans symbiose avec les bactéries, car elles créent et entretiennent la flore intestinale. Nous faisons donc toujours partie intégrante de la nature, et la déconnexion façonnée par l’industrialisation et l’urbanisation n’est qu’un mince paravent inétanche entre les hommes et le reste de la biosphère.
Ce germe de connexion est ainsi toujours vivant et semble entrer en résonance lorsque s’expriment les pensées alternatives: buen vivir, pachamisme, théorie de Gaïa, sobriété heureuse, permaculture, simplicité volontaire, décroissance… Cette résonance est d’autant plus réelle que certains concepts présentés comme nouveaux pour la pensée occidentale sont en vérité voisins des valeurs paysannes ou rurales jadis répandues.
D’un point de vue personnel et intime, j’ai toujours senti que l’harmonie avec la nature était un élément primordial de nos vies. Je suis né en milieu rural, loin des grands ensembles urbains, et mes grands-parents étaient paysans. Ma famille vivait modestement, avec très peu d’argent. Les récoltes du verger et les saisons du potager ont rythmé mon enfance. Lorsque le hasard des études m’a conduit à apprendre à être ingénieur, c’est naturellement dans l’environnement et les énergies renouvelables que j’ai désiré me spécialiser. Quinze années de vie en ville et de travail dans l’industrie m’ont ensuite fait comprendre à quel point les hommes modernes ont prétendu se déconnecter de leur planète. Dans ma jeunesse naïve je pensais pouvoir agir et faire bouger les lignes, pour parvenir à un équilibre utopique d’une industrie en harmonie avec la nature. C’est dans les erreurs que l’on puise les plus grands enseignements. À ce titre, je crois que la première partie de ma vie d’adulte m’a beaucoup appris.
Suite à mon retour dans le monde rural, une pensée est née : la mode du naturel, le renouveau du “faire”, l’activisme environnemental, l’attrait de la sobriété, la contemplation, la coopération, la permaculture, tous ces comportements que l’on observe de plus en plus dans nos sociétés modernes sont issus d’un germe qui est resté en dormance sans jamais se dessécher totalement, celui qui nous lie à la Terre. Si aujourd’hui les trois quarts des gens de notre pays vivent dans un environnement urbain, cela n’efface pas le fait que l’on a quasiment tous des grands-parents ou des arrières grands-parents qui vivaient au milieu des champs. Et l’élevage hors-sol, dans des cubes de béton, ne fait pas de nous des statues de ciment.
Aujourd’hui j’aurais une envie, l’envie de démêler ce lien à la Terre, de montrer son évidence face à la négation que lui oppose le monde moderne. Il me semble que ce nœud pourrait se défaire en adoptant cinq postures successives :
- Celle de la dualité, qui regarde le monde d’une façon simpliste: l’industriel contre le naturel, le moderne contre le traditionnel, l’extractiviste contre l’écologique, l’occidental contre l’indigène, l’urbain contre le rural, le consumériste contre le sobre, le compétitif contre le collaboratif, le toxique contre le sain, le rapide contre le lent…
- La posture du “toujours plus”, qui veut nous faire croire qu’on n’arrête pas la progrès, et que le progrès c’est du plus, pas du mieux.
- La question du centre du monde : est-ce soi-même ? le genre humain ? la nature dans son ensemble ? le cosmos ? qui est le plus proche de la vérité, l’égocentrisme ou le biocentrisme ?
- La position dans le rang : logique hiérarchique et soumission acceptée, voilà ce qui chapeaute souvent les notions de vérité (scientifique aussi), tout autant que les choix politiques.
- Et pour finir, allons piocher dans l’inspiration de la nature, car la nature est ce grand tout qui est à l’origine de toute créativité humaine. Le fondement de la créativité est inclus dans la vie même: une idée innovante provient soit de l’observation de la nature, soit d’une introspection profonde dans notre nature, soit d’une intuition sortie spontanément de nos tripes, mais quasiment jamais de notre rationalité ou d’un ordinateur pré-programmé. Il y a dans ce dernier constat une forme d’issue de secours qui nous montre que la nature elle-même nous apporte tout ce que nous sommes, et tout ce que nous serons. La nature, notre nature, génère l’inspiration nécessaire pour surmonter nos problèmes: un vrai remède à l’autodestruction !
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