Le plus souvent, c’est de la peur de la vérité que l’on parle. Cependant, il arrive aussi que nous soyons confrontés à la peur d’une autre vérité auquel nous ouvre la spiritualité. Peut-être cette peur est-elle l’expression d’une inquiétude se faisant jour dans la confrontation à ce qui peut échapper à la stricte rationalité. La découverte qu’il n’y aurait pas une seule vérité, que des vérités alternatives pourraient émerger, peut déstabiliser la raison. Sont ainsi révélés des plans de réalité décalés, différents, ouvrant à un au-delà de l’exigence convenue d’un accord nécessaire sur la « réalité » du monde.

Aux temps du confinement, hier, il y a longtemps, j’avais abordé déjà cette question de « la vérité », à un moment où il était question de la bascule entre un monde d’avant et un monde d’après le Virus.

C’était dans les traînées de la polémique développée par les médias mainstream, véritable chasse aux sorcières contre les désignés « complotistes », accusés de manipuler la vérité, comme dans « Hold up » réalisé par Pierre Barnérias, cible de toutes les critiques. La participation ces jours-ci à la journée de clôture du Festival des Oasis à l’éco-domaine du Bois du Barde à Mellionnec, présenté aussi comme les « rencontres du monde d’après », m’a confronté à nouveau à cette question d’un rapport contrasté à la notion de « Vérité ».

La table ronde de l’après-midi affirmait en intitulé : « le monde de demain se fera dans une démarche d’écologie intérieure ou ne se fera pas ». Cela rappelait un peu la prophétie attribuée à André Malraux : « le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas ».

Peu de temps avant la fin des échanges nourris, une intervention dans le public venait interroger cette affirmation la critiquant pour son caractère péremptoire, voire excluant, et donc contradictoire entre son intention (l’ouverture de la transition intérieure) et son expression sémantiquement maladroite.

Christine Kristof (autrice du livre Sur la Terre comme au Ciel), l’une des intervenantes de la table ronde, avec Anne-Laure Nicolas (co-fondatrice de l’éco-domaine du Bois du Barde) avait bien pris la précaution d’entrée de jeu d’attirer l’attention sur la mécompréhension usuelle quant au mot « spiritualité », dont le sens est souvent rabattu sur la dimension religieuse, avec l’aura de « croyances », de celle-ci. Le décor était planté pour réinterroger les rapports que les uns les autres entretiennent à la vérité, à la réalité. Il ne s’agit pas ici de reprendre les arguments développés dans l’article En vérité, ou encore dans celui qui le prolongeait sur la lucidité.

Je voudrais là explorer plus en avant les raisons possibles de cette méfiance, de cette réticence à l’égard d’une spiritualité proposant une réalité, une vérité alternative, plus englobante par son caractère transcendant. Pour cela, il peut être nécessaire de revenir sur le titre de la table ronde pour le décoder. Que pouvons-nous dire d’autre que cette manifestation d’une exclusion ressentie par l’intervenant dans le public, d’une forme d’intolérance à l’encontre des approches strictement matérialiste, et prônant l’impératif de l’écologie intérieure ?

Et d’abord que veut dire « le monde de demain » ? S’agit-il simplement de faire référence à un futur du monde, en dehors de toute appréciation qualitative ? Le monde possède un niveau de réalité que nous connaissons aujourd’hui, et demain, quelle qu’en soit l’échéance, le monde possédera toujours un niveau de réalité, « existera » « sera » d’une manière ou d’une autre. C’est ce que défend une approche strictement matérialiste.
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Ainsi, l’expression « le monde de demain » comporte aussi une dimension plus extensive. Elle exprime un imaginaire générateur d’un récit qui appelle la constitution d’un autre monde, plus vivable et plus désirable que celui nous connaissons, rentré depuis un moment déjà dans un processus d’effondrements. Ce que reconnaissent de plus en plus d’êtres humains avec inquiétude et souffrance le plus souvent. Or, c’est bien on en référence à cet imaginaire que l’affirmation que ce monde se fera on ne se fera pas, selon le niveau de développement de l’écologie intérieure, peut se comprendre. D’une certaine manière, cette affirmation d’un lien fort entre le monde de demain et l’écologie intérieure vient comme une tautologie, exprimer la force et la prégnance de l’élan spirituel dans cette transformation. Pas de transformation radicale du monde pour refaire un monde viable sans transformation intérieure des êtres humains, voilà ce qui est dit. Mais nous sommes alors envoyés à cette autre question du sens de cette transformation intérieure. S’agit-il de changer l’Homme, sa Nature ? Cela est-il pensable et possible ? Ou bien s’agit-il d’indiquer la nécessité d’une évolution spirituelle de chacun, et à partir de là, une transformation de nos rapports au vivant, entre nous comme vivants, et d’autres espèces animales et végétales ? Sans doute cette perspective est-elle plus abordable, pensable, même si elle n’est ni facile, ni certaine.

Il ne s’agit donc pas là de transformer notre nature humaine, mais plutôt de reconnaître que nous sommes des « êtres spirituels ». Voilà encore une formulation qui demande à être définie, et peut-être peut-elle permettre de mieux faire comprendre aussi ce terme suspect de « spiritualité », de rendre praticable ce chemin vers la spiritualité. Le reconnaître, c’est s’ouvrir à cette dimension constitutive de l’esprit humain, de notre nature, que d’être doué d’un esprit tout à la fois et autant, rationnel que sensible. Autant le premier terme peut-il être compris assez facilement en référence à la raison pensante, si bien inscrite dans la philosophie moderne par le cartésianisme et valorisé par l’idéologie des Lumières, autant le second terme peut-il encore faire l’objet d’ambiguïtés, d’indéterminations. Que veut dire « sensible » exactement ? Que nous somme doués de « sens » (au sens des cinq sens ) comme de nombreux animaux et végétaux – ce qui ce qui ne nous en distingue guère. Mais sans doute faut-il y voir et entendre davantage : que nous pouvons donner une signification pour nous-même et pour les autres à ce que nous sentons et ressentons, de manière interreliée et réfléchie dans une visée intentionnelle de communication. Là, se situe sans doute dans notre espèce, cette articulation entre l’intelligence rationnelle et l’ intelligence émotionnelle. Là émerge cette puissance de l’esprit humain qui en fait un « être spirituel ». Il s’agit de « remonter à la source » pour reprendre le titre du deuxième épisode d’une série tout à fait passionnante sur le sujet de l’écologie intérieure, proposée par Pierre-Paul Anders, inspiré par « le mouvement pour un monde meilleur » : « des arbres qui marchent ».

Remonter aux sources, établir ainsi notre point d’origine – d’où nous venons – permet de savoir, de prendre conscience, moins du chemin parcouru peut-être, que du lieu où nous sommes encore sans le reconnaître vraiment, au cœur même de notre nature vivante. Cette vérité là, indépassable, englobante d’autres vérités, est bien une alternative, de la vérité dominante présentée comme régissant l’ordre du monde actuel et opposant au contraire l’homme à la nature dans une vaste et longue histoire de l’évolution civilisationnelle, ayant permis d’accéder à la culture. N’est-ce pas cette vérité spirituelle de notre être, qui peut faire peur ? Et pour quelle raison ? Je ne suis pas, ni seul, ni le premier, a observer ce phénomène et à m’en interroger. Au sein même des mouvements de la transition écologique, on peut noter que cette question de la place de la spiritualité pose problème, divise parfois, entre en tension avec d’autres approches plus « idéologiques », engageant à des luttes de « libération » et de transformation par l’action « politique », en ligne plutôt avec le modèle de la révolution des Lumières. Donner la priorité à la nécessité individuelle de se « changer soi », conduirait à l’oubli de la lutte militante et collective. Faut-il opposer les deux ou faut-il au contraire les articuler dans une spirale du Travail Qui Relie ? Je partage donc cette interrogation de Sophie Swaton qui pose aussi cette question dans son blog : Pourquoi le mot « spiritualité » fait-il peur ? . « Cela a-t-il à voir avec le sentiment d’une intrusion dans la sphère privée, celle des croyances personnelles et devant le rester ? » comme elle l’écrit ? Oui sans doute, mais il y a aussi, comme elle le soupçonne, cette confusion entre la dimension spirituelle et la dimension religieuse, réduite à l’aveuglement, l’asservissement des populations par les croyances, « l’opium du peuple » auquel faisaient référence, de manière plus subtile, Marx et Engels.

Il y a là une opposition sous-jacente entre le monde de la rationalité, visant à rendre compte du réel et des phénomènes par des vérités de type scientifique, compréhensibles selon les règles de la logique et de la causalité, et un monde de croyances infondées, pervertissant des esprits crédules, susceptibles de manipulation, liées aux superstitions ou opérations « magiques » . Il y a là cet affrontement entre le Bien de l’esprit critique et le Mal de l’esprit magique, tout comme s’il était impossible de développer, tout en même temps, son esprit critique et sa spiritualité. Est-ce abandonner son esprit critique que de renoncer à vouloir tout expliquer, à tout vouloir mettre sous le régime de la raison toute-puissante, à accepter qu’il puisse y avoir au cœur même de notre Être, du Vivant et de la « Nature », une transcendance, quelque chose qui nous dépasse, qui ne peut être mis, ni en mots, ni en équations ? C’est en tout cas la position, l’affirmation du courant et éco-psychologique, telle qu’elle est souvent reprise, comme lors de la table ronde au Bois du Barde ou lors d’une autre table ronde organisée en 2020 par le mouvement Alternatiba sur le thème : Quelle place pour la spiritualité dans la transition ?, à laquelle participait Michel Maxime Egger affirmant déjà qu’il ne pouvait imaginer une transition écologique sans spiritualité.

« Personnellement, je ne peux pas imaginer une telle transition écologique et solidaire sans spiritualité n’est pas possible, Celle-ci est une démarche de conscience qui nous amène à la racine des problèmes, à revenir à l’essentiel. Certains freins et obstacles à la transition sont assurément d’ordre spirituel. Quand nous parlons de spiritualité, nous sommes toujours dans des démarches d’unification intérieure. Une des difficultés pour réaliser une transition est le hiatus qui peut exister entre la tête et le cœur, le mental et les émotions. Cette division, cette dualité explique en partie le fait qu’il y a un tel décalage entre la gravité de la situation planétaire et l’absence de changement dans nos comportements. L’être humain est divisé intérieurement entre sa tête et son cœur. »

Qu’il faille renoncer ainsi à vouloir tout expliquer, à un savoir pensé comme une forme d’appropriation du monde qui confine à sa domination, voilà peut-être la source de cette inquiétude à l’égard de la spiritualité ; la peur d’une autre vérité qui dit l’impossibilité de la connaître totalement, qui vient contredire dans une voie de sagesse, cette soif de savoir avec ce risque de perversion mis en évidence par Pascal, de la libido sciendi.

 

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