Fiche Pédagogique

Éco-anxiété et Solastalgie

par Aline Bué

Éco-anxiété et Solastalgie

 

« Elsa a alors la sinistre impression de mourir. Un poids comprime violemment sa poitrine. Sa respiration se fait courte et sifflante. Il lui faut alors attendre un moment, qui sur le coup paraît interminable, avant que l’air ne pénètre enfin ses poumons. Et comme un nouveau-né, à sa première bouffée d’oxygène, Elsa se met ensuite à pleurer sans retenue. Sa psychologue lui a dit qu’elle souffrait d’éco-anxiété. Elle lui a appris que ses symptômes physiques (pleurs, étouffements, hyperventilation, etc.) sont la manifestation visible de l’angoisse générée par ses préoccupations écologiques. »

Noémie Larouche, rédactrice en chef du magazine québécois de science pour adolescent·e·s Curium, partage ce qu’elle a vu de l’éco-anxiété chez les adolescent·e·s dans son livre L’éco-anxiété : L’envers du déni. Ici, elle parle d’Elsa, canadienne et petite-fille d’immigré bengladais, qui voit à la télévision les nombreux inondations et cyclones détruire le Bangladesh. « Préoccupations qu’elle entretient avec raison, puisque son Bangladesh figure parmi les pays les plus affectés par les changements climatiques. » 

Deux concepts pour essayer d’exprimer
notre mal-être
face à la catastrophe écologique

Le mot éco-anxiété  a été inventé en 1996 par la médecin et chercheuse en santé publique Véronique Lapaige. Elle exprime ses premières observations ainsi dans une interview pour National Geographic « Je me suis aperçue, dans le groupe multiculturel d’une cinquantaine de personnes que je suivais à l’époque, que beaucoup exprimaient un mal-être identitaire […] face au constat effroyable de ce qui se passait autour de nous. Mais ce sentiment n’était pas uniquement négatif car il provoquait aussi une responsabilisation de ces personnes face aux changements planétaires ».
L’éco-anxiété est le fait de ressentir de la préoccupation, du stress et/ou même des angoisses face à la catastrophe écologique. Elle s’accompagne de différentes émotions telles que la colère ou un sentiment d’impuissance. Bien que le terme comprend le mot anxiété, l’éco-anxiété n’est pas catégorisée comme un trouble de l’anxiété. Ce n’est pas une pathologie mais plutôt un mal être.

Interview de Charline Schmerber par Sismique Podcast : « Nos émotions face aux mutations du monde »

La solastalgie est définie en 2007 par Glenn Albrecht, philosophe de l’environnement et ancien professeur à l’université de Murdoch en Australie.
Solacium signifie « réconfort »  en Latin et algos « douleur » en Grec. La combinaison des deux mots exprime un mal-être face à la perte de réconfort engendré par l’altération d’un endroit familier. Glenn Albrecht utilise d’abord ce mot pour exprimer le lien entre la nature et notre santé. Il compare la solastalgie avec la nostalgie ou la mélancolie ressentie lorsqu’on quitte un foyer.
La solastalgie n’est pas un sentiment totalement négatif puisqu’elle est liée à de bons souvenirs. La solastalgie peut aussi être définie comme un sentiment de deuil pour un monde qu’on a connu et qui est en train de disparaître.

Pour Alice Desbiolles, médecin et auteure de L’éco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, la solastalgie touche les personnes qui « appréhendent la terre dans son ensemble et la considèrent comme leur foyer » . Elle décrit l’éco-anxiété comme « une inquiétude anticipatoire des différents scénariis établis par les scientifiques sur la viabilité de la planète dans les décennies à venir. Toutes les personnes conscientes « qu’il n’y a pas de planète B » sont ainsi susceptibles de devenir éco-anxieuses et de se sentir acculées par l’absence d’alternative dans l’avenir. Ce manque de choix, doublé d’un sentiment de résignation, engendre une souffrance morale et une sensation de détresse ».

La psychothérapeute Charline Schmerber a écrit le Petit-guide de survie pour éco-anxieux. Elle définit 3 profils d’éco-anxieux·euses/solastalgiques à partir de l’observation de ses patient·e·s avec la méthode suivante : « J’ai constitué cette classification à partir de l’état émotionnel du patient et je l’ai combiné avec sa connaissance et réaction face aux problématiques environnementales » .

  • Le burn-out écologique : Les patient·e·s sont sujet·te·s à un épuisement face à la catastrophe écologique et présentent une fatigue qui les handicapent dans tous les domaines de leur vie. Ils·elles se sentent impuissant·e·s.

  • L’éveil écologique « traumatogène » : Les patient·e·s ont découvert récemment la réalité de la catastrophe écologique et les conséquences pour leur futur notamment grâce à la lecture ou le visionnage d’œuvres traitant de la collapsologie. « Cet effondrement possible du monde extérieur réactive chez ces patients la réalité de leur propre mort à venir et les amène à ressentir un effondrement intérieur » .

  • L’acceptation lucide du monde : Les patient·e·s ont toujours ressenti un mal-être face aux dysfonctionnements de notre société et les termes d’éco-anxiété  et de solastalgie permettent de mettre des mots sur leurs souffrances.

L’éco-anxiété touche majoritairement la jeunesse

Il n’y a pas de doute, les personnes âgées de 15 à 35 ans se sentent davantage concernées par la catastrophe écologique. Véronique Lapaige donne deux raisons à ce phénomène. L’utilisation des réseaux sociaux, d’abord, où les informations sur la catastrophe écologique sont constamment relayées. « Cette facilité de transmission de l’information à un grand nombre favorise la prise de conscience collective et l’effet de groupe. » dit-elle à National Geographic. « L’autre raison c’est que les plus jeunes sont comme soudainement plongés dans l’eau bouillante. C’est le phénomène de la grenouille placée dans une casserole d’eau chaude. Si on chauffe progressivement la casserole, la grenouille a toutes les chances d’y rester et d’y cuire, comme une grande partie des plus de 30-40 ans qui entendent parler du réchauffement climatique depuis de nombreuses années. » Les plus vieilles générations se sont malheureusement habituées à entendre parler de la « crise » écologique de façon progressive et sans que leur vie quotidienne ne soit impactée. Ils n’ont pas intégré la catastrophe écologique comme une urgence, mais plutôt comme une menace potentielle et lointaine, entendue comme un bruit de fond pendant des années. Les individus de 15 à 30 ans ont accès à une information différente et sont confrontés à un contexte d’urgence qui aura une conséquence directe sur leur quotidien. Ils sont alors plus sujets à l’éco-anxiété.

En septembre 2021 la revue The Lancet Planetary Health a publié une enquête sur l’éco-anxiété chez les jeunes de 16 à 25 ans. La revue a interrogé 10 000 jeunes dans 10 pays par le biais d’une plateforme en ligne du 18 au 7 juin 2021 : en Australie, au Brésil, en Finlande, en France, en Inde, au Nigeria, aux Philippines, au Portugal, au Royaume-Uni, et aux Etats-Unis. Sur ces 10 000 jeunes, 45% souffraient d’éco-anxiété et 75% jugeaient le futur effrayant. Ils grandissent avec la catastrophe écologique et sont conscient·e·s qu’ils·elles verront les effets de leur vivant. Leur mal-être peut être renforcé par le fait que leurs parents, leurs professeurs et les politiques ne partagent pas forcément leur vision des choses.

L’éco-anxiété n’est pas une maladie mentale, c’est plutôt un signe de lucidité

L’éco-anxiété est considérée comme une réaction tout à fait normale face à un monde en danger. Les personnes anxieuses ne sont pas malades, mais sont au contraire, lucides. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne la considère pas comme une maladie. L’enquête réalisée par la revue The Lancet précise en effet que les jeunes interrogés ne présentent pas de pathologies et sont tout à fait rationnels.

Au contraire, ne pas être anxieux du tout pour l’avenir, c’est être dans le déni de ce qu’il est en train de se passer.

Charline Schmerber nuance cette idée. L’éco-anxiété peut devenir une pathologie si elle vient s’ajouter à une anxiété préexistante « qui peut faire basculer la personne dans une dépression aiguë, avec des idées suicidaires. »  Charline Schmerber décrit les personnes éco-anxieuses comme des « sentinelles du vivant » . Ils sont plus sensibles à ce qu’il se passe et leur anxiété devrait alerter ceux qui sont moins sensibles.

Certaines angoisses nous permettent de prendre conscience de la réalité. L’éco-anxiété peut-être une étape avant de réaliser le danger que notre planète encourt pour ensuite agir.

L’activisme comme conséquence de l’éco-anxiété

Les activistes et militant·e·s s’engagent souvent face à l’angoisse que leur procure la catastrophe écologique. La volonté de militer provient de la compréhension de la gravité de la situation comme un problème imminent auquel il faut faire face tout de suite. La prise de conscience d’un danger imminent peut amener du stress et de l’anxiété.

« Somatiser et intérioriser les souffrances de la planète n’empêche pas de s’épanouir et de se réaliser, de manière enthousiaste et positive » affirme la médecin et auteure Alice Desbiolles. Plus facile à dire qu’à faire. Ce discours positif et qui promeut l’action revient souvent lorsqu’on parle d’éco-anxiété. La solution mise en avant face à cette anxiété serait d’agir contre l’effondrement de la biodiversité ou le dérèglement climatique que ce soit en militant, en changeant ses habitudes, en sensibilisant les autres.. N’importe quelle action qui puisse participer à la préservation de notre planète.

Le premier Observatoire français de l’éco-anxiété (OBSECA) a été créé en 2022 par des scientifiques et expert·e·s en santé mentale dont le psychologue Pierre-Eric Sutter, auteur du livre N’ayez pas peur du collapse. Cet observatoire cherche à apporter une définition plus précise à l’éco-anxiété et à trouver des réponses plus adaptées à ce mal-être.

Les observations de Pierre-Éric Sutter lui ont permis de distinguer deux conséquences psychologiques principales chez les patient·e·s éco-anxieux·euses :

  • « un retour à l’homéostasie [c’est-à-dire une forme de stabilité] mentale positive favorable à l’engagement et à l’action écologique (« l’éco-projet ») ce qui permet le dépassement de l’éco-anxiété et la resocialisation via une forme « d’entrisme sociétal » écologique,
  • une manifestation psychopathologique reconnue (anxiété chronique voire dépression réactionnelle) ».

Est-il possible d’être heureux

lorsqu’on est conscient de la catastrophe écologique et des effondrements ?

« Appelons « effondrement » de la société mondialisée contemporaine le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus concerne tous les pays et tous les domaines des activités humaines, individuelles et collectives ; c’est un effondrement systémique mondial. » Yves Cochet – Devant l’effondrement. Essai de collapsologie – Les Liens qui Libèrent, Septembre 2019

La catastrophe écologique est un témoin des limites de la civilisation industrielle. En conséquence, des effondrements probables des différentes sphères qui constituent nos civilisations sont à craindre : l’économie, la finance, l’industrie, l’accès à l’alimentation et à l’eau etc. La collapsologie étudie « l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder »  comme la définissent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre Comment tout peut s’effondrer. Ces concepts sont susceptibles d’amener de l’éco-anxiété parce qu’ils nous mettent devant notre propre finitude et notre propre mort.

Ne pas ressentir une quelconque émotion négative face à la situation actuelle est plutôt anormal étant donné les enjeux pour notre planète et le Vivant. Ces personnes insensibles à la réalité peuvent être dans le déni ou déconnectées avec elles-mêmes, incapables de ressentir quelque chose ou de se rendre compte de ce qu’il se passe.

            Pablo Servigne partage son expérience de l’éco-anxiété lors d’une interview avec la chaîne YouTube Soif de sens. À la question « Est-ce que Pablo Servigne fait de l’éco-anxiété ? », il répond que oui et fait part de la difficulté qu’il avait pour gérer ses émotions il y a 10 ans : « la peur […] beaucoup de colère, beaucoup de ressentiment envers un système, des gens qui font rien, qui ont les leviers du pouvoir et qui pourrissent la planète, qui pourrissent la vie de nos enfants […] ». Pablo Servigne dit être toujours sujet à l’éco-anxiété, mais de façon plus atténuée. Il compare l’éco-anxiété à un deuil. Nous en revenons au concept de solastalgie, qui lie le mal-être face à la catastrophe écologique à l’idée que l’on fait le deuil du monde dans lequel on vit. Pour lui, il est important de communiquer son mal-être, de ne pas le vivre seul et d’en parler jusqu’à l’acceptation. Il est nécessaire d’accepter les mauvaises nouvelles pour ensuite aller de l’avant, passer à l’action sans être dérouté·e par ses émotions.

Les conseils de Pablo Servigne face à l’éco-anxiété.

– Conseil n°1: « Communiquer, trouver des gens avec qui pouvoir parler sérieusement de ses peurs, une oreille attentive, un psy, un réseau de personnes [qui partageraient les mêmes idées et peurs que vous] ».

– Conseil n°2: « Passer à l’action ». Il soutient que prendre conscience de l’effondrement ne mène pas à la démobilisation, au contraire. « C’est parce qu’on passe à l’action, qu’on retrouve le collectif, la joie d’agir ensemble et qu’on retrouve l’espoir » .

Interview de Pablo Servigne par la chaîne Soif de sens : « Pablo Servigne : Effondrement vs Éco-anxiété »

Les 2 sites à consulter

Solastalgie, le site de Charline Schmerber

La Maison des éco-anxieux, le site de Pierre-Eric Sutter

Les livres incontournables

Petit guide de survie pour éco-anxieux
Charline Schmerber
Philippe Rey – 2022

Ecoanxiété – L’envers d’un déni 
Noémie Latouche
Editions MultiMondes – 2021

L’éco-anxiété
Alice Desbiolles
Fayard – 2020

Comment rester écolo sans finir dépressif 
Laure Nouhalat
Éditions Tana – 2020

Les émotions de la Terre
Glenn Albrecht
Les liens qui libèrent – 2020

N’ayez pas peur du collapse
Pierre-Éric Sutter et Loïc Steffan
Desclée De Brouwer – 2020

Les vidéos à voir absolument

Conférence : « L’éco-anxiété, une voie pour passer à l’action ? » avec Charline Schmerber et Pierre-Eric Sutter

Interview de Laure Noualhat par le média Blast : « Changer de vie face à l’urgence écologique »

Sources

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