50 ans ! En 1972, nous avions toutes les données pour anticiper le crash, en réduire l’intensité et l’amortir. Et pourtant, nous avons réussi l’exploit inouï de perdre 50 ans. 50 ans d’inaction ou plutôt, bien pire encore, 50 ans d’aggravation d’une situation déjà préoccupante !

En 1972, le Rapport MeadowsLimits to Growth – mettait pour la première fois en évidence le risque d’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle du fait de l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies. Cette conclusion implacable est totalement alignée avec la célèbre formule de l’économiste Kenneth E.Boulding.

« Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth E.Boulding

Sollicitée par le Club de Rome – le Think tank commanditaire -, l’équipe d’ingénieurs du MIT (Massachussets Institute of Technology) livrait la clé de compréhension de l’évolution du système-monde sur 150 ans à partir de la prise en compte de ses 5 principaux paramètres. Le modèle World3, élaboré par Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens, proposait 13 scénarios différents à partir de l’évolution de ces paramètres : production de biens, production de service, production alimentaire, évolution de la démographie et augmentation de la pollution. Parmi les différentes possibilités envisagées, le pire scénario, baptisé «Business as usual» – celui où rien ne bouge – présentait alors la vertigineuse accélération de l’évolution exponentielle de ces paramètres et dans le même temps l’effondrement des ressources dû à leur sur-exploitation.

La conclusion du rapport fut brutale, sans appel et eut l’effet d’une bombe : l’inéluctabilité de l’effondrement de notre civilisation à l’horizon… 2020-2030 si ce scénario «Business as usual» se réalisait. Nous savons aujourd’hui que c’est bien la trajectoire que nous n’avons jamais quittée. Les prévisions du Rapport Meadows ont été confirmées à 5 reprises depuis, en 1992 et 2004 par Denis Meadows lui-même, en 2008 et 2012 par Graham Turner.
En 2004, l’analyse initiale est enrichie des données accumulées durant 30 ans d’expansion sans limites.

« Pour ceux qui apprécient les chiffres, nous pouvons affirmer que les scénarios très agrégés de World3 continuent à être,
trente ans plus tard, d’une redoutable précision. »
Dennis Meadows et Jorgen Randers – Préface des auteurs
Les limites à la croissance (dans un monde fini), 2004 (éd. Rue de l’échiquier, coll. « L’écopoche », 2017)

« Les hypothèses les plus importantes que nous avons faites sur la probabilité d’un effondrement ne sont pas le fruit d’une confiance aveugle dans les courbes générées par le modèle World3. Elles résultent tout simplement du décryptage des schémas comportementaux dynamiques produits par trois paramètres incontournables, chroniques et classiques du système mondial : les limites érodables, la poursuite incessante de la croissance et le retard avec lequel la société réagit lorsqu’elle approche des limites. Tout système régi par ces paramètres est prédisposé au dépassement et à l’effondrement. »
Dennis Meadows et Jorgen Randers – Préface des auteurs
Les limites à la croissance (dans un monde fini), 2004 (éd. Rue de l’échiquier, coll. « L’écopoche », 2017)


Le même travail de mise à jour est donc effectué par Graham Turner en 2012, 40 ans après la version d’origine. Et une nouvelle fois, les données initiales sont confirmées.

Comparaison réalisée en 2012 par Graham Turner entre les prévisions du Rapport de 1972 (« données du modèle ») et les données réelles enregistrées depuis (1970-2010)


« Il y aura plus de changements – sociaux, économiques et politiques – dans les vingt ans à venir que durant le siècle passé. »
Dennis Meadows, 2012


À l’occasion du 50ème anniversaire, la maison d’édition Rue de l’échiquier, dans sa collection l’écopoche, vient de publier une édition spéciale 50 ans du fameux rapport.

50 ans que nous nions ces limites, que nous les ignorons, que nous accélérons pied au plancher… dans la mauvaise direction… vers l’infini et l’au-delà…
Faire demi-tour ? Vous n’y pensez pas ! Stopper notre course folle ? Pourquoi donc ? Freiner ? Vous êtes sérieux·ses ?

50 ans que notre empreinte écologique – les ressources extraites du sol, les déchets et la pollution rejeté·e·s, les dégâts que nous occasionnons – a dépassé la biocapacité de la Terre – sa capacité à régénérer les ressources prélevées, à absorber les déchets produits et la pollution rejetée, à réparer les dégâts infligés.

50 ans que nous poursuivons notre fulgurante accélération avec pour unique objectif cette croissance infinie – infiniment destructrice – dans un monde aux ressources finies.

50 ans que la croissance rime avec explosion du chômage, diminution du bien-être et accroissement vertigineux des inégalités. Et pourtant, nos élites financières, économiques et politiques n’ont de cesse de rappeler ce triple bénéfice magique – plein emploi, augmentation du bien-être et réduction des inégalités – qui ne fut engendré par la croissance que de manière tout à fait conjoncturelle, pendant la période des Trente Glorieuses qui dura moins de 30 ans.

50 ans que nous traversons le mur des limites physiques de notre planète pour plonger le plus vite possible dans le précipice abyssal de l’effondrement situé juste derrière.

Le comble pour le Rapport Meadows dont le message principal était donc d’alerter sur l’effondrement de notre civilisation est d’être régulièrement associé au réchauffement climatique alors même que ce dernier ne faisait absolument pas partie de l’équation du modèle World3. L’impact de cette approche climato-centrée de la crise écologique est tellement puissant dans l’inconscient collectif qu’il en vient à détourner un travail de recherche sur les conséquences de l’épuisement de nos ressources de son objectif premier, démontrer la vulnérabilité de notre modèle civilisationnel.

« Ardu, technique, dérangeant, le livre tiré de ce document fait pourtant un tabac et se vend à plusieurs millions d’exemplaires sous le titre « Halte à la croissance » avec un point d’interrogation. Mais ce cri d’alarme restera un cri dans le désert, et 50 ans après rien n’est venu démentir la probabilité d’une catastrophe climatique. »
Fabrice Drouelle – « 1972, le rapport Meadows : premier cri d’alarme pour la planète »
Affaires sensibles – France Inter, mercredi 16 février 2022

Évidemment, dans ce propos introductif du journaliste, il convient de remplacer catastrophe climatique par effondrement de notre civilisation thermo-industrielle. Après une très intéressante présentation chronologique du rapport et des réactions qu’il a suscitées dans le monde politique et économique au cours des décennies 1970 et 1980 – avec de nombreux enregistrements audio de l’époque – le même journaliste n’a pas trouvé mieux que d’inviter un membre du GIEC pour évoquer les conclusions de Limits to Growth... quand il aurait été bien plus logique d’interroger Pablo Servigne ou Arthur Keller.

« Il fut un temps où les limites à la croissance appartenaient à un futur éloigné. Elles sont bien là, aujourd’hui. Il fut un temps où le concept d’effondrement était inconcevable. Il fait aujourd’hui son apparition dans les discours publics […]. Nous estimons qu’il faudra encore 10 ans pour pouvoir observer clairement les conséquences du dépassement et 20 ans pour que le dépassement soit accepté comme un état de fait. »
Dennis Meadows et Jorgen Randers – Préface des auteurs
Les limites à la croissance (dans un monde fini), 2004 (éd. Rue de l’échiquier, coll. « L’écopoche », 2017)

Ce diagnostic me semble un peu trop optimiste, car malgré l’évidence des conclusions du Rapport Meadows – l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies – certains médias pro-croissance préfèrent continuer de la nier 50 ans plus tard.

l’Opinion et Le nouvel Économiste rivalisent dans la surenchère négationiste : « Erreurs », « Les énormes failles », « La prédiction d’une limite à la croissance économique par la raréfaction des ressources a été démentie par les faits »….


Pour conclure, quand je constate l’incroyable inertie de notre espèce et notamment celle de nos décideurs – qui n’ont jamais eu la moindre vision à long terme et qui préfèrent servir leurs propres intérêts économico-financiers de toute puissance – je me dis que Dennis Meadows doit faire preuve de la plus grande sagesse fataliste pour poursuivre infatigablement sa quête de lanceur d’alerte depuis 5 décennies.

« Si les objectifs implicites d’une société sont d’exploiter la nature, d’enrichir les élites et de faire fi du long terme,
alors cette société développera des technologies et des marchés qui détruiront l’environnement,
creuseront le fossé entre les riches et les pauvres et privilégieront les gains à court terme. »
Dennis Meadows et Jorgen Randers – Préface des auteurs
Les limites à la croissance (dans un monde fini), 2004 (éd. Rue de l’échiquier, coll. « L’écopoche », 2017)

Tout aussi lucide dans ses analyses que dans son travail scientifique, notre Cassandre (*) des temps modernes ne cherche plus à convaincre car il sait pertinemment que c’est vain. Le brillant scientifique est devenu un humble philosophe. Chapeau l’équilibriste !

« Cela fait quarante ans que j’essaie de sensibiliser les gens, et je dois reconnaître que j’ai totalement échoué. »
Dennis Meadows lors de la 3ème mise à jour du Rapport en 2012


« Beaucoup croient que l’on a besoin de voir pour croire. Je pense que c’est faux. Sinon, tout le monde serait aujourd’hui convaincu.
C’est sans doute l’inverse : on voit ce que l’on croit.
»
Dennis Meadows – Croissance : la leçon d’humilité de Dennis Meadows à l’égard des Cassandre incompris – Slate, Septembre 2012

* : Petite précision loin d’être inutile : Cassandre, qui a donné son nom à une expression visant à disqualifier les personnes annonçant de mauvaises nouvelles, avait raison !

   

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