Ce texte a été diffusé au format courriel, 1 courrier électronique par jour, lors d’un voyage de 11 jours à vélo en 2020.
Jour 7 : Le collectif au coeur des nouveaux possibles
« Décidé à ne fréquenter que mes égaux, je ne fréquente bien évidemment personne puisque je suis sans égal »
Samedi 19 Septembre, à Corn, jour 1 du “week-end des possibles”
9h08, j’ai raté le petit-déjeuner. Je ne suis pas seul à être mal réveillé, certains viennent d’arriver après 3 heures de route.
Je m’installe dans la deuxième ligne du demi-cercle, je privilégie toujours cette position, je peux partir facilement. Je ne sais pas ce qui m’attend.
Un jeune homme prend la parole, il met un fond sonore avec de la musique douce, le silence s’installe religieusement. Pour commencer la journée et se réveiller, tout le monde saute et se masse le visage. Je suis amusé par la situation.
Julien, l’animateur, explique ensuite le déroulé du week-end. Tout est organisé, rien n’est prévu. C’est aux participants de proposer des ateliers et de les classifier selon ce qu’ils sollicitent : tête, cœur ou corps. Je suis curieux de voir si ce sera un succès ou un bide.
Après un temps où la timidité règne, les esprits s’éveillent et chaque personne expose son sujet. Je suis étonné par leur diversité : de la conception de low-tech à une danse à 5 temps, des ateliers de Communication Non Violente à des explications de textes de lois. Je suis ravi par toutes ces découvertes à venir.
Je choisis une première activité manuelle. Je vais réaliser le montage d’un zome. Ekki a ramené le sien en kit, il est adorateur de cette forme géométriquement parfaite et mystique. Il en a monté des dizaines et des dizaines à travers le monde. Il a dessiné celui-ci. Nous sommes 8 à le monter avec des bras cassés comme moi et des régisseurs les plus avisés. En moins d’une heure trente, le petit habitat est monté. C’est un record, l’architecte allemand est ravi. Je suis épaté par ma faculté à m’être si bien adapté.
L’après-midi, je rêve et je réfléchis. Dora & David racontent l’histoire de leur nouvelle vie à Pourgues. Ils vivent dans une grande bâtisse avec 23 personnes. Ce collectif a une valeur fondamentale au cœur de tous leurs choix : la liberté. La liberté financière, de temps et d’action.
« La liberté d’action, c’est aussi accepter que les autres ne fassent rien. C’est un travail sur soi au quotidien » explique David.
J’ai du mal à appréhender ce concept de liberté, surtout en collectif. Peut-on être libre s’il faut demander l’avis à 23 personnes quand on invite un ami ? Dora a mis 2 ans pour le saisir et l’incarner.
Pour le moment, je saisis juste une chose, l’épanouissement du couple et de ses 2 enfants. Ils ne regrettent pas ce changement, cela se ressent par les sourires constants, la joie de partager les bons conseils et leur envie de motiver d’autres collectifs à se créer. Ma tête se met sur pause pour esquiver les détails philosophiques, mon cœur a envie de rejoindre ces gens formidables, mon corps vibre et veut pédaler le plus vite possible pour arriver dans ce village ariégeois.
Lors du dernier atelier, je marche dans tous les sens, lorsque je m’arrête, je me retourne vers la personne la plus proche. Une question est posée, chacun y répond en 2 minutes. J’écoute et je dessine au fur et à mesure les valeurs de mon éco-village rêvé. Le voilà.
Je rêve d’un petit village.
Je rêve de ce village au milieu de verdure, dans un paysage de montagne.
Je rêve d’un village accessible pour toutes et tous et facilement accessible.
Je rêve d’un village relié aux autres communautés, nous partageons tout entre nous, il n y a plus de secret.
Je rêve d’un collectif qui rende les communes aux alentours fières, qui les grandisse, qui les verdisse.
Je rêve d’un collectif qui consomme en conscience localement.
Je rêve d’un ensemble de petites maisons toutes bâties à partir d’une expérimentation, chacune à sa fonction. Elles créent la communion du collectif.
L’orage gronde. Je rentre. Ma cape de pluie et le clignotement des leds de mon casque me donnent un look de super-héros sur mon vaisseau-vélo. Je rentre électrisé par toutes ces rencontres et idées d’un futur souhaitable… si proche ?
Jour 8 : La débrouille et la créativité pour être autonome
“Outò, give me your sound
Drummer, give me your sound
The sun rises »
Le dimanche 20 Septembre à Corn, 2ème et dernier jour du “Weekend des possibles”
8h23 — Je suis motivé ce matin et donc à l’heure pour le café. Je le bois avec une grande tablée, surpris par le sujet de la discussion : ce n’est pas le confinement, ce n’est pas l’histoire du pot de miel local qui traîne sur la table, c’est un questionnement sur l’intérêt des lunettes de soleil : diminuent-elles notre vue ? Je n’aurais jamais cru avoir ce type de discussion, ici tout est remis en question.
Je commence la journée dans la partie Mandala située au fond de la salle. J’aime son ambiance tamisée, son tapis et cette vieille lampe. Je me sens dans le confort d’un vieux salon d’une grande maison. L’atelier de la matinée fait sensation, nous sommes un peu serrés comme des poissons, une « coach de vie » présente le concept de la spirale dynamique. Cette théorie explique les différentes étapes de la vie d’un individu et d’un collectif. Elle est utilisée pour mieux communiquer et comprendre les différences de valeurs. Apprendre à ne pas s’offusquer ni s’énerver lorsque les points de vue des autres sont différents. Nous l’abordons d’abord avec notre tête via quelques slides, échanges et belles références, puis nous sortons dehors pour l’expérimenter dans notre corps. Nous dansons chaque étape de la spirale. Le groupe se confronte à la différence entre chacun de nous. A la fin de l’atelier, nous expliquons à quelle étape de la spirale nous pensons être dans notre corps et dans notre tête. Avec ma tête, je me définis dans l’étape dite “opportuniste” : je me remets en question et cherche de nouvelles opportunités. Mon corps quant à lui me fait ressentir l’étape “absolutiste” : j’ai besoin d’ordre, sans cela je n’arrive pas à avancer. Je comprends qu’il ne faut pas négliger les sensations de mon corps pour être aligné avec mes pensées.
10h34 – Je m’initie au low-tech alors que j’utilise les high-tech depuis 30 ans. Les opposés s’attirent-ils ? J’y retrouve la même passion, la même envie de partager, le même besoin de tout optimiser et le même esprit de communauté que j’aime tant. Ce sont les adjectifs qui changent : tout est instantané, abondant et compliqué avec les hautes technologies, tout est patience, sobriété et débrouillardise avec les basses technologies. J’y perçois les valeurs de mon changement de vie. Cette session me pose des questions sur mon confort moderne : ai-je besoin d’un four électrique quand il peut être solaire ? Puis-je réduire ma consommation d’eau pour utiliser uniquement l’eau de pluie ? Ai-je besoin d’un chauffage central et permanent ? Les détails techniques dépassent mes compétences, j’en tire un autre enseignement : je ne dois pas faire et créer, je dois réduire, dépenser et consommer moins. Cela me convient bien.
15h02 – Le rangement est terminé, je suis épaté par notre efficacité ! C’est déjà le temps des au revoirs, «ce n’est qu’un « au revoir » ? Pas vraiment, celui-ci est surprenant. Les 80 participants entrent en chaussettes, des panneaux joliment écrits demandent le silence pendant 50 minutes. Je suis désemparé. Le silence représente le vide et l’ennui pour moi. Je suis perplexe. Tout le monde est si bavard ici, arriverons-nous à tenir ce vœu de silence collectif ?
Une musique d’ambiance, hypnotique et progressive accompagne ce moment de calme. Je suis rassuré. Les panneaux portés à bout de bras invitent à partager avec des gommettes, à l’écrit ou en dessinant nos ressentis : quelle est notre énergie, qu’a-t-on appris, quel portrait ai-je envie de crayonner ? Nous sommes invités ensuite à un moment de gratitude anonyme en collant dans le dos des gens des post-it de remerciement. Je m’assois, je ne sais pas quoi écrire. Je n’ai pas l’habitude de partager les belles choses, d’exprimer mes émotions. Les percussions de la musique s’accélèrent. Je me relève. Je marche. Une main touche ma colonne vertébrale de manière précise et rapide. Mon envie de partager monte. Je me fais confiance. J’écris et je colle. J’écris et je colle. J’écris et je colle. La musique devient plus mélodique, le rythme plus pop, les sonorités donnent un sourire presque béat sur le visage de chacun. Nous pouvons enfin découvrir l’amour partagé sur notre dos. Je suis fasciné par la beauté des mots de mon fardeau.
« Do you remember ? » les voix d’Earth, Wind and Fire appellent les nôtres à chanter, notre corps à danser. Elles procurent le sentiment d’être Intouchables.
19h02- J’ai toujours été mauvais pour les « au revoirs », j’utilise la technique du dernier à partir pour que l’on me dise au revoir et ne pas avoir à le faire.Je ne suis pas seul. Une poignée de résistants reste en chantant de manière spontanée, en improvisant un rap. Ils honorent la beauté d’un texte brésilien. Je les rejoins. Grâce à eux, je quitte progressivement et en douceur ce week-end hors du temps.
21h07 – Dans mon lit, mes yeux sont fixés sur l’écran bleu. Je planifie mon trajet en vélo pour demain, direction Aurillac. Je dois vous l’avouer, je ne vous ai pas tout dit. Il y a 3 jours, j’ai reçu l’appel d’une inconnue. Emma travaille pour un incubateur auvergnat que j’avais contacté il y a plus d’un mois. Je la rejoins demain pour découvrir de nouveaux possibles.
Pour aller plus loin, voici quelques liens utiles à découvrir sur notre site ressources :
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