Ce texte a été diffusé au format courriel, 1 courrier électronique par jour, lors d’un voyage de 11 jours à vélo en 2020.
Jour 9 : Du confort et des personnes en or
“Un jour, peut-être, le nec plus ultra du snobisme sera d’être sobre et respectueux de l’environnement, et non de posséder un 4 x 4 suréquipé. Dans cette hypothèse, dès l’instant où le statut social sera associé aux comportements respectueux de la planète, la partie sera gagnée. Le striatum sera devenu le moteur de la préservation, et non de la destruction.
Lundi 21 Septembre
Je pédale sur cette route empruntée les 3 derniers jours pour aller au festival. Je la connais par cœur, il y a 4 virages assez longs et larges, une statue de la vierge après 400 mètres, un panneau qui annonce l’aire de camping et un verger partagé quelques mètres avant l’arrivée. Ce matin, le ciel est gris, j’entends un bruit métallique à l’arrière de mon vélo. A chaque petite vibration de la route, il sonne. J’arrive sous le préau de la salle des fêtes. Je dis bonjour aux 3 personnes restées passer la nuit. Toutes viennent observer mon vélo. Je retire mon paquetage : 2 sacoches, une tente et un sac de couchage. J’identifie la faille. Une vis qui maintient mon porte-bagages a pris la fuite. Je suis rassuré, c’est facile à réparer avec une bonne vis…que je n’ai pas ! Une petite mission s’enclenche pour m’en trouver une. Après 15 minutes de bidouille, le porte-bagages est bien serré.
De ce petit pépin va éclore une belle découverte. Je vais visiter la earthship du coin et boire un café avec les propriétaires, Martin et Cécile. Ils habitent tout en haut, leur terrain est encore en chantier. Je vois une grande butte, plein d’outils à droite à gauche et tout un tas de vieux objets de récup. Derrière la motte de terre apparaît une grande verrière ornée de plantes exotiques. Je découvre une maison confortable, belle et agréable. La particularité de ce vaisseau terrien est sa résilience et son autonomie. La butte, qui longe la maison et double sa largeur, cache tout cela : un puits canadien et des pneus pour réguler la température, un système de phytothérapie pour le circuit de l’eau, alimenté par de grandes réserves et enfin des panneaux solaires pour récupérer l’énergie. J’y vois la maison d’un futur proche, l’autonomie amène une sobriété confortable et non destructrice, le confort permet une transition en douceur. Je suis convaincu. J’en veux une. Je me demande pourquoi ces nouveaux vaisseaux se comptent sur les doigts de la main en France.
Nous passons en revue les raisons pragmatiques : cela demande du temps et des mains, + 200 personnes ont participé au chantier en 2 ans et la maison n’est toujours pas finie ; cela demande de l’argent 1000€ par mètre carré et surtout cela demande de monter un dossier, plusieurs mois de bataille juridique pour convaincre l’architecte des Bâtiments de France ainsi que le maire.
Suite à cette belle rencontre, je reclipse mes chaussures dans les pédales. Il pleut, les montées sont courtes mais les dénivelés terribles, je galère à trouver les bonnes forces, mes cuisses ne répondent plus et le bas de mon dos commence à crier de douleur. Après 32 kilomètres, je trouve une petite gare, je ne m’égare pas, je consulte les trains en ligne. Il y en a un, direction Aurillac : hallelujah !
Mon vélo sur l’épaule, les cheveux d’un chien mouillé et mon cuissard ringard, je sonne à la porte d’Emma. J’espère que ce n’est pas un traquenard. Je souffle, prends confiance et sors mon plus beau sourire pour faire oublier mon look. La porte s’ouvre, elle m’accueille avec un grand « bonjour ! », je visite rapidement son grand appartement et sa terrasse qui en fait le double. La neo-aurillacoise m’explique le premier avantage de son déménagement, elle habite dans un lieu trois fois plus grand.
Nous nous baladons dans son nouveau lieu de travail, ce n’est plus un grand appartement parisien, mais un lycée agricole désaffecté. Elle adore tout l’espace qu’on lui a confié et m’y raconte tous ses projets : transformer une salle de classe en espace de coworking, la lugubre entrée en café avec des produits bios, le terrain de tennis en zone d’expérimentation pour la permaculture. Elle veut expérimenter, métamorphoser ce lieu pour découvrir les possibles de demain. Elle m’invite à y participer, comment résister et ne pas y adhérer.
Lors du dîner, nous parlons de sensibilisation à l’écologie, de collapsologie, de comment passer à l’action. Je comprends que c’est en prenant soin d’elle et en effectuant sa propre transition qu’elle trouve la force d’agir pour la transition.
Je m’endors dans un lit tout confort. Inspiré par mes rencontres du jour, je rêve de devenir une personne en or.
Jour 10 : L’entreprenariat pour changer la campagne
« Nous sommes une armée de rêveurs et pour cette raison nous sommes invisibles.»
Je marche dans le centre ville d’Aurillac, les rues sont recouvertes de parapluies, “le Lac D’or” en est la capitale. La ville dispose de grands bâtiments et d’immeubles peu entretenus. Avec ses petites maisons médiévales, le centre a un peu plus de charme.
J’ai envie d’aider les entrepreneurs locaux, mais je ne sais pas comment. En explorant les cours secrètes des bâtiments, je réfléchis à mes futurs agissements. Pourrais-je aider en créant ce fameux café ? Pourrais-je aider en fournissant des ressources ? Pourrais-je aider en organisant une tournée touristique des entrepreneurs ? Chacun de mes pas m’aide à avancer dans ma réflexion, mais les traces s’effacent vite. Je ne suis pas convaincu par mes idées.
Je rejoins Emma dans un coworking moderne au centre. Nous mangeons des Nachos. Sur la façade est affichée une annonce pour un cours de Tango. Elle symbolise le vivier associatif, le voyage et les alternatives. En la regardant Emma a eu le déclic, il est possible de mener des projets engagés et alternatifs ici. C’est grâce à cette affiche qu’Emma a décidé de venir vivre au centre de la diagonale du vide.
Elle vit ici pour accompagner les entrepreneurs. Accompagner la mise en place de distributeurs automatiques de produits locaux sur les parkings des interminables zones commerciales. Aider une ferme à construire son projet et obtenir les subventions de la région. Développer la recherche sur le pouvoir des abeilles pour limiter l’usage de pesticides. Des projets qui me font penser au combat de David contre Goliath. Emma les aide tous, ensemble, ils feront une bonne paire ! L’objectif d’Emma est de créer l’alliance entre tous ses David pour faire vivre la transition dans la région.
J’ai envie de me voir petit, alors je me lance un défi : manger du Salers à Salers. La nature me rappellera sa grandeur et sa beauté avec ses paysages et cette espèce bovine magnifique. Mais aussi sa rage avec un orage final. 1600 mètres de dénivelé, 92km et 4h22 plus tard, j’arrive. Tel un chien mouillé, bis repetita.
Une fois séché, lors du dîner, nous échangeons sur mes idées de projets. Dans l’échange, je réalise l’ensemble des possibles qui s’ouvre à moi, je prends conscience de mon plaisir à découvrir chaque nouveau possible. C’est décidé, ce soir je ne peux pas m’engager. Je veux continuer à explorer.
Dès demain, je reprends ce chemin, je vais à Clermont pour participer à une conférence de Rob Hopkins.
Jour 11 : L’imagination pour nous sauver
« Si vous avez construit vos châteaux dans les nuages, votre œuvre n’est pas perdue, car c’est là qu’ils doivent être. Installez-les maintenant sur des fondations. »
Dernier jour de ce voyage, direction Clermont-Ferrand. Nous partons à 3 en voiture, après une matinée logistique passée à plier les vélos pour les mettre dans le coffre et déplacer des grands tableaux du lycée pour les attacher sur le toit.
C’est un retour à ma terre d’enfance, celle de mes vacances, celle où j’ai réalisé mon premier projet post CDI : construire un escape game. Je suis curieux de redécouvrir cette ville sous un autre angle.
Nous y rencontrerons un tiers lieu venant d’ouvrir “la Goguette” à côté de la gare et ensuite Rob Hopkins à l’opéra de Clermont. Emma est enthousiaste, le permaculteur anglais lui donne la motivation, renforce sa conviction et ses idées pour agir depuis plus de 10 ans. De mon côté, je ne le connais pas encore.
Durant 2 heures, le fondateur de « villes en transition » explique que tout part de l’imagination et des récits. Dès que nous consacrons du temps à l’imagination, nous pouvons réaliser des choses incroyables et agir différemment. Ce temps donné pour soi, pour son imaginaire permet de sortir du fatalisme de l’urgence climatique, tout en ayant une grande conscience. Il permet surtout de prendre du plaisir, d’agir avec envie, d’explorer et d’expérimenter différents chemins pour nous sauver.
Oui, une ville sans voiture est possible. Oui, les places de parking peuvent être des places de jardinages. Le mouvement Spark l’a montré. Oui, le pont de la Tamise peut devenir un jardin qui fait sortir les banquiers de la City. Le mouvement Extinction Rebellion l’a réalisé. Oui, des villes peuvent commercer grâce à une monnaie locale et une production de la région. La ville de Liège en Belgique, le fait déjà.
Oui, il est possible d’avoir une belle vie sobre, en rêvant, explorant tout en agissant. C’est ce que je veux m’appliquer. Et surtout, oui, il est encore possible de changer le système.
“Si nous attendons le bon vouloir des gouvernements, il sera trop tard. Si nous agissons en qualité d’individus, ce sera trop peu. Mais si nous agissons en tant que communauté, il se pourrait que ce soit juste assez, juste à temps.” — Rob Hopkins
Cette conférence me donne ma ligne de conduite pour la suite, elle précise les possibles que je dois explorer : vivre en communauté, faire vivre mon imaginaire, agir quotidiennement.
Je ne voyagerai pas en vélo solo, j’habiterai en collectif à 26. Je ne partirai pas avec les schémas de pensées que l’on m’a enseignés, j’en cultiverai des nouveaux en repartant de zéro. Je ne partirai pas à “la rencontre de…”, je participerai à une communauté pour agir. Je ne partirai pas à la recherche de plus de confort, je vivrai dans un eco-lieu, mangerai végétarien, partagerai ma chambre à 3. Je ne partirai pas avec des supposés, je partirai avec de la curiosité. Je ne partirai pas avec des solutions, je questionnerai tout en « Et Si.. ».
23h54 — je sors mon vélo du coffre de la Kangoo, je le remonte sous la pluie. Je dis au-revoir à Emma avec les cheveux d’un chien mouillé, ter-repetita. Tout trempé, je pédale heureux, ma prochaine aventure est la bonne : ré-apprendre à coopérer dans un éco-lieu en suivant le programme fertiles — l’aventure d’un nouveau monde.
POUR ALLER PLUS LOIN ⬇️
À lire
- La définition d’un tiers-lieu par la Coopérative des Tiers-Lieu
- Livre : Le bug Humain. Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher de Sébastien Bohler
- Livre : Ravage par Barjavel. Un livre sur l’aveuglement au progrès qui nous mène à l’effondrement écrit en 1946…
- Ubsek & Rica : L’entrepreneuriat social, amuse-bouche du capitalisme ou plat de résistance de l’économie de demain ? par Léa Zaslavsky, co-fondatrice de makesense.
- Tribune Les Échos —Tribune de la Convention 21 : “Entreprises, climat et biodiversité : ce que leur avenir impose, ce que l’Histoire pourrait retenir” — La Convention 21 est la Convention pour le Climat des Entreprises
- Livre : “Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?” de Rob Hopkins
- Article : Introduction au cadran solaire de l’imagination par Rob Hopkins (en anglais)
- Recueil : Et si… On dessinait le monde d’après par Alternatiba. 60 personnalités dessinent le monde d’après et proposent des actions pratiques à réaliser dès aujourd’hui. Une pépite
À regarder
- Un TedX par le scientifique Arthur Keller sur les constats de l’effondrement et sur l’importance de choisir notre avenir maintenant. Le déclic ou le déclin. “Renouvellement des imaginaires, résistance, résilience, tout est là, c’est la clé.” 18 minutes passionnantes.
- La chaîne Youtube de Cécile et Martin : Earthsip inspiré
- Dans la description de cette vidéo, les liens vers d’autres vidéos d’Earthship dont cette belle présentation du concept avec l’accent québécois.
- La vidéo de présentation de Time for the Planet — “L’entreprise au service de l’urgence climatique. Pisser sous la douche ne suffira pas.”
- TedxBologna — Rob Hopkins : What if (en anglais)
- Film : Demain par Cyril Dion
À écouter
- Podcast : “From What if to What Next” par Rob Hopkins (en anglais)
- Podcast : “Et Si..” la version française, podcast de Benoit Hamon :p
- PodcastBasilic —Le podcast consacré à l’environnement et aux initiatives positives.
- Podcast Hélène Le Téno — Passer à une comptabilité en triple-capital — un système de comptabilité qui intègre le capital naturel et le capital humain, en plus du capital financier.
Les iniatives à (re)découvrir
- Le site de Landestini
- La petite laiterie d’Aubrac
- Beeodiversity : créez de la valeur avec la biodiversité comme solution !
- Distributeurs automatiques de produits locaux
- En transition France : trouver votre ville et une belle liste d’associations à suivre. Une mine d’or.
- Spark it : se réapproprier les places de parking
- Waterloo Uprising par Extinction Rebellion
- Le site de Liège en Transition
Merci d’avoir suivi cette aventure !

Pour aller plus loin, voici quelques liens utiles à découvrir sur notre site ressources :
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